Les libertés éducatives, synthèse du colloque

Le colloque du Cercle Jean-Paul II – Liberté Politique du 5 octobre à Nantes, dont voici la synthèse des travaux, avait comme objectif d’établir la place des libertés éducatives dans la chaîne de la subsidiarité famille, société civile, Église, État. De là, explorer les conditions d’exercice de ces libertés dans les circonstances culturelles du moment présent.

LA DEMARCHE fut la suivante : d’abord poser les « masses de granit » anthropologiques sur lesquelles se fondent ces libertés (Thibaud Collin) puis considérer les obstacles que peuvent poser à l’acte de transmission les exigences de la post-modernité (Chantal Delsol). Il est alors possible de préciser les conditions d’exercice des libertés éducatives dans trois domaines essentiels, qui concernent les systèmes éducatifs. En premier lieu, les droits économiques et les droits de prestation qui doivent garantir l’exercice effectif de ces libertés (Lionel Devic) ; ensuite, le rôle de l’État et la question de la laïcité de l’enseignement (Guy Coq) ; enfin, le rôle de l’Église et la finalité religieuse de toute éducation (François-Xavier Clément).

Le droit humain naturel d’éduquer

Thibaud Collin rappelle que les parents sont le sujet des libertés éducatives. Le lien biologique entre l’enfant et ses parents fonde le droit naturel. Les parents ont le droit d’avoir des enfants et le droit et le devoir de les éduquer. Ils ont aussi le droit de déléguer une part de leur responsabilité éducative, mais sans jamais abdiquer leur responsabilité première, ce qui condamne tout monopole éducatif. Il cite Henri Hude pour qui la liberté d’enseignement résulte de la conjugaison des droits à avoir des enfants, de les éduquer, de libre entreprise et de la libre association.

Les dérives vers l’État-éducateur ne sont pas nouvelles. De Platon pour qui la Cité doit être responsable de l’éducation des citoyens, aux idéologues des Lumières, on en vient à l’État-éducateur de la IIIe République, marqué par le positivisme comtien, dont la mission est d’imposer la modernité politique. Après la seconde guerre mondiale, le thème social-démocrate de l’égalité des chances s’impose aux systèmes éducatifs européens. Ainsi se trouve promu le collège unique. Mélangée à l’individualisme libertaire, la volonté égalitariste dicte les orientations éducatives et pédagogiques de l’école et répond désormais, si l’on suit M. Peillon, à une volonté de mainmise spirituelle. Thibaud Collin en appelle enfin à l’éducation libérale, telle que définie par Leo Strauss, en consonance avec les arts libéraux de la tradition scolastique et humaniste.

La post-modernité contre la transmission

Pour Chantal Delsol, la condition moderne ne permet plus la transmission des choses qui supposait, dans l’ordre ancien, l’abandon des talents personnels pour perpétuer un héritage riche de la plus-value des ancêtres et des traditions. Depuis que les choses ont perdu leur immortalité symbolique, tout héritage requiert l’esprit critique. Mes idéaux ne seront pas forcément ceux de mes enfants qui doivent se déterminer eux-mêmes. Les déchaînements de violence du xxe siècle au nom d’idéologies inculquées aux peuples sous forme de certitudes indiscutables ont laissé dans le paysage culturel les traces de la désolation.

Les régimes totalitaires, politico-religieux, ont en même temps discrédité les religions soupçonnées de fermeture et de sectarisme. Si l’on ajoute que les valeurs morales elles-mêmes évoluent en fonction de l’émotion médiatique, on constate que la seule valeur subsistant dans ce monde instable est la liberté individuelle.

Cette rupture de transmission de la post-modernité rend illisibles les grandes Lumières et plus encore la culture judéo-chrétienne dont elles sont issues. Se pose alors la question : peut-on transmettre la forme – la liberté – sans son contenu – idéal, conviction, foi ? Peut-on apprendre à juger  sans porter de jugement, à croire sans apprendre une religion, à aimer sans aimer ? La post-modernité refuse la particularité et l’incarnation : elle produit donc des enfants « dégriffés, déréférencés ». Seul pourra les réintroduire en humanité l’éducateur qui signera du témoignage de sa vie son action éducative.

Pas de liberté éducative sans liberté économique

Partant de ces constats, Lionel Devic estime que la massification de l’enseignement depuis 1945, le rôle de l’État et l’égalitarisme imprimé dans la société et dans son école, par le biais du collège unique, n’ont fait qu’accroître les inégalités. La méritocratie républicaine fondée sur la maîtrise des savoirs a cédé au tout-éducatif pédagogiste. Il faut remettre au centre le principe de subsidiarité avec à sa base la synergie parents, professeurs, chefs d’établissement. La liberté première des parents se conjugue nécessairement avec celle d’un chef d’entreprise éducative qui propose un projet éducatif et pédagogique, et avec celle de professeurs et d’éducateurs qui choisiront leur établissement en fonction de son projet et qui seront choisis dans ce but par le chef d’établissement.

Cette liberté aujourd’hui occultée par le monopole d’État intéresse tout éducateur : peut-on, demande Lionel Devic, former des êtres libres avec des professeurs contraints (par la laïcité mal comprise, par les programmes et les méthodes obligatoires, par la formation étatique des maîtres…) ? Il égratigne au passage l’oubli par l’enseignement catholique, devenu une structure iso-étatique, du principe de subsidiarité. Car il n’y a pas de liberté éducative ou scolaire sans liberté économique. Il faut rendre aux familles leur liberté financière pour qu’elles puissent exercer leur souveraineté éducative. Dans une société libre, l’application du principe de subsidiarité consiste à distinguer le financement qui revient à l’État comme redistributeur de l’impôt et la prestation qui peut être privée.

Le rôle de l’État

Il revient à Guy Coq de définir le rôle de l’État dans l’éducation. Dans notre système éducatif, la laïcité est centrale. Il constate avec Blandine Kriegel que la République a la mémoire trop courte par suite de son refoulement du théologico-politique dans son rapport entre foi et raison. La définition de la laïcité ouverte qu’il défend répond à ses origines chrétiennes avant tout comme liberté de conscience ; elle ne peut donc pas exclure du cadre scolaire les héritages religieux qui fondent notre culture. Il existe des conditions non libres à l’apprentissage de la liberté et au choix des valeurs. L’institution précède l’enfant : elle a sur lui une autorité et un droit de contrainte légitimes.

L’école diffère de la famille en ce que l’autorité du professeur n’est pas l’autorité paternelle. Le pouvoir de contrainte dont il dispose permet la friction avec la réalité par le truchement de la culture scolaire, artefact qui recrée le monde commun. D’où l’importance de la culture classique. Guy Coq souligne enfin les limites de la laïcité : elle ne doit en aucun cas, sauf à le rendre stérile, exclure le religieux du champ culturel. De même, la prétention au tout-démocratique : l’indétermination démocratique entraîne la crise mortelle de la tradition alors que toute société s’inscrit nécessairement dans l’espace et dans l’histoire. Reprenant l’intuition des pères fondateurs de l’école républicaine, il veut que la logique égalitaire de l’école soit pondérée par une logique élitaire.

La mission de l’école catholique

François-Xavier Clément montre l’apport spécifique de l’école catholique. « À ses enfants, l’Église est tenue, comme Mère, d’assurer l’éducation qui imprègnera toute leur vie de l’esprit du Christ… », dit la Déclaration conciliaire Gravissimum educationis.

Car l’acte éducatif est eschatologique : l’enseignant est un éveilleur de l’Esprit. Le travail d’écriture des nouveaux statuts de l’Enseignement catholique a fait redécouvrir à ses responsables l’importance de l’insertion de l’école catholique dans le tissu social pour la mission d’évangélisation. Dans le système éducatif, l’Enseignement catholique doit tenir le juste milieu entre une tendance intégrative très forte chez certains syndicats de maîtres et la privatisation totale rêvée par d’autres.

Les nouveaux statuts consacrent cette voie d’équilibre en rendant à la juridiction épiscopale l’autorité sur les grandes orientations de l’institution. François-Xavier Clément rappelle enfin que, dans ses applications, le caractère propre interdit la séparation de l’éducatif et du pédagogique. Par ailleurs, l’Église reprend la main par le biais des Instituts catholiques sur la formation de ses maîtres.

Synthèse : l’impossible monopole éducatif

La liberté éducative procède du droit naturel. Elle s’inscrit dans la chaîne de la subsidiarité famille/société civile/Église/société politique. Tout monopole éducatif est par avance disqualifié par cette architecture primordiale. L’État-éducateur ne peut que promouvoir une pédagogie constructiviste. Il y a donc une logique pédagogique dans tout monopole éducatif. Cette logique pédagogique est antinomique avec la tradition de l’éducation libérale.

La crise de la culture/crise de la transmission dans la post-modernité marquée par l’individualisme et le nihilisme entraîne un aplatissement de l’héritage et une volonté de table rase qui doit permettre aux in-héritiers d’exercer leur liberté pure de tout lien de terre et de sang dans la construction de leur être et leurs propres valeurs. Ce refus de l’incarnation procède de l’antihumanisme contemporain qui ruine toute possibilité de vraie liberté référée au réel.

Cette anthropologie négatrice néglige les libertés réelles pour l’utopique liberté de l’homme autocréateur. Le choix éducatif sera soit celui de l’hétéronomie (éducateur témoin d’un monde qui prend sens au-delà de lui-même et ouvert sur une espérance), soit celui de l’autonomie (éducateur placé sous un ciel vide et devant un monde à créer par ses propres intelligence et volonté) : deux modèles antagonistes.

Dans l’ordre temporel, toute liberté nécessite des moyens pour prendre forme. Les libertés éducatives ne peuvent exister sans liberté économique. Il appartient aux familles de choisir le type d’éducation qu’elles souhaitent pour leurs enfants. Il appartient aux sociétés civiles et politiques de leur fournir ces moyens dans le cadre de la subsidiarité. Il importe de distinguer les droits de financement qui peuvent être publiques et les droits de prestation éducative qui doivent être privés.

Le modèle constructiviste procédant du tout-démocratique a mené à un système éducatif égalitaire où l’éducation prime l’enseignement dans la finalité d’ancrer les jeunes dans la démocratie. Il existe des conditions non-libres à l’éducation qui tiennent aux institutions qui le précèdent et à une filiation qui l’enracine dans l’humanité.

Il faut se réapproprier la laïcité dans son sens premier de respect de la liberté de conscience et approfondir la notion de laïcité cognitive.

Avant d’être laïque au sens moderne, l’école est religieuse en ses fondements. L’Église reste Mater et Magistra parce que son école est celle du plus grand dénominateur culturel commun.

 

Emmanuel Tranchant est chef d’établissement scolaire, président du Cercle Jean-Paul II.  

 

 

 

Nota. Les actes du colloque « Les libertés éducatives » seront publiés par la revue Liberté politique.