Malgré le scepticisme général avec lequel la formation de son gouvernement a été accueillie, Dominique de Villepin n'est pas assuré d'échouer.

Le discours qu'il a prononcé devant l'Assemblée nationale le 8 juin dernier a été tenu pour habile : clair, concret, digne.

En centrant son intervention sur la question du chômage, le nouveau Premier ministre est allé au devant d'une des principales préoccupations des Français. Certes, le "non" au référendum allait au-delà de cette seule question : ce n'est pas seulement contre le chômage que les Français se sont prononcés le 29 mai, mais il y avait là une manière de dire qu'on avait entendu sinon leur message, du moins leur souffrance. En ne parlant guère d'affaires étrangères, Villepin a pris à contre-pied ceux qui estiment qu'il ne connaît que la sphère internationale. Il a ainsi évité de remettre au premier plan la question européenne, ce qui, après ce qui venait de se passer, eut entraîné une réaction immédiate de rejet. Sans emphase excessive, il a parlé aux Français de la France, comme il avait déjà montré qu'il savait le faire.

Les limites indéniables des mesures proposées reflètent davantage l'absence de marge de manœuvre que la pauvreté de l'inspiration.

L'affaiblissement sans précédent du président de la République dans les sondages intérieurs et dans l'opinion internationale n'est pas nécessairement un handicap pour le nouveau Premier ministre. Il lui donne un espace dont bien peu de ses prédécesseurs ont bénéficié. C'est une chance s'il réussit à l'occuper.

Sans doute les foucades, voire le travail de sape de son encombrant ministre de l'Intérieur sont-ils à craindre. Mais les Français sont légitimistes : dans ce type de conflit, ils donnent le bénéfice du doute au premier par rapport au second, ce que Nicolas Sarkozy semble avoir, au moins provisoirement, compris.

Il reste que le plan de lutte contre le chômage que propose Dominique de Villepin, dont la mesure essentielle est le contrat de première embauche, est risqué. Qu'il soit contesté par une partie des syndicats n'est pas le plus inquiétant : pouvait-il en être autrement dès lors que la lutte pour l'emploi passe, qu 'on le veuille ou non, par une certaine libéralisation du marché du travail ? Mais dans une conjoncture économique aussi maussade que celle qui règne aujourd'hui, il est peu probable qu'un tel plan puisse relancer l'emploi de manière significative, en tous les cas dans le délai de cent jours que le chef du gouvernement s'est, un peu trop ostensiblement assigné ou laissé assigner.

En matière d'emploi, quel que soit le volontarisme des gouvernants, les données macroéconomiques prévalent toujours. Le seul facteur qui pourrait réduire significativement le chômage au cours des prochains mois, serait une baisse de l'euro par rapport au dollar. Celle-ci a eu lieu du fait des inquiétudes que le résultat du référendum a fait un moment planer sur l'avenir de la monnaie unique, mais il est difficile de dire si elle sera suffisante.

Si, comme le risque existe, la réduction du chômage que le gouvernement escompte, n'est pas tout à fait au rendez-vous, le Premier ministre n'aurait sans doute d'autre moyen de rebondir que de mettre en cause la politique de la Banque centrale européenne. Il ne s'agirait pas là de démagogie ou d'une recherche vulgaire du bouc émissaire : ce serait seulement poser , en matière d'emploi , le problème de fond. Si une telle mise en cause était tenue pour taboue, on ne voit guère d'autre manière d'éviter un discrédit progressif .

Que le Premier ministre connaisse le succès ou qu'il soit amené à se démarquer de la politique menée par les institutions européennes, il serait de toutes façons conduit à prendre ses distances par rapport au chef de l'Éat.

Concurrent de Chirac ?

Le premier ministre est aujourd'hui plus populaire que le président de la République qu'il a mission de "protéger" : c' est, on le sait, une anomalie dans les institutions de la Ve République. La cote du chef de l'État paraissant peu susceptible de se redresser, des difficultés entre les deux premiers personnages de l'État pourraient survenir, quelle que soit leur proximité jusqu'ici. Que Dominique de Villepin vienne à tenir un discours européen décalé par rapport à celui du chef de l'Etat au cours des dernières années, ne pourrait avoir que le même effet. Quel homme politique peut au demeurant prendre son envol sans connaître le psychodrame du père et du fils ? Le jour où Chirac et Sarkozy se rapprocheront pour contrer Villepin, on pourra dire que ce dernier tient le bon bout.

Une autre conséquence de la situation actuelle est que, sans renier ses engagements européens de principe, Villlepin devra sans doute se rapprocher des tenants du "non" de droite, d'abord au sein de l'UMP. Il n'a à ce jour esquissé aucun geste en leur direction. L'eut-il fait qu'il se serait heurté au président de la République pour qui une telle orientation serait apparue comme un reniement (*). Alors que ses idées sont entièrement à l'opposé du "souverainisme" républicain sur à peu près tous les plans, Nicolas Sarkozy ne se prive pas, lui, de multiplier les appels du pied en leur direction. Son énergie en séduit plus d'un. Il serait paradoxal que Villepin , dont l'attachement à " une certaine idée de la France , est indéniable se prive de cette carte.

D'autant qu'elle lui sera indispensable s'il entre à son tour dans la course à la présidentielle - ou veut soutenir efficacement une nouvelle candidature de Jacques Chirac.

L'emprise de Nicolas Sarkozy sur les cadres de l'UMP est solide. Les éventuels succès du Premier ministre pourront ébranler l'opinion, ils n'ébranleront pas les militants du parti de la majorité. Ces derniers ont été pendant 25 ans des enthousiastes de Chirac. Ils ont aujourd'hui effectué un transfert sur Sarkozy: il seront les derniers à le lâcher.

En cas d'échec, le gouvernement actuel n'aura rien d'autre à faire que d'attendre la Bérézina de la droite aux prochaines élections. Le gouvernement Villepin n'aura été dans cette hypothèse qu'une réédition des épisodes Couve de Murville ou Bérégovoy – voire Polignac. En cas de succès, Villepin aura, s'il n'est pas candidat lui-même, aplani les voies du candidat Sarkozy. S'il se résout à l'être, il n'aura, quelle que soit sa popularité, même pas les atouts de Balladur qui en 1995 pouvait compter sur une partie des grands notables UDF. Il ne devra donc pas renouveler l'erreur de ce dernier qui n'osa pas se résoudre casser le RPR, opération qui lui eut sans doute permis de l'emporter. Si Villepin tente de le faire, quel autre appui trouvera-t-il sinon l'aile des partisans du "non" ? Seule une minorité des parlementaires et des cadres de l'UMP a osé s'engager dans cette direction, tant était forte la pression en faveur de la constitution européenne. Mais même au sein de ce parti ( si l'on ne prend pas en compte les retraités massivement pour le "oui") cette sensibilité n'était pas, quoi qu'on ait dit, loin d'être majoritaire.

Pour séduire cette aile, le premier ministre devra lui donner des gages. Sans nécessairement se renier : qui peut imaginer en effet que l'on puisse sortir la construction européenne de l'ornière sans prendre pleinement en compte des aspirations des 55 % de Français qui ont refusé la constitution ?

Dominique de Villepin peut réussir, mais la voie est étroite. Elle passe en tout état de cause par une telle prise en compte.

Note

(*) En recevant ce lundi 27 juin toutes les formations politiques, y compris le Front national et les trotskystes pour parler de l'Europe, Dominique de Villepin fait un geste habile en ce sens (malgré l'oubli du FRS de Christine Boutin).

 

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