Un concert de louanges a salué Les Insomniaques, premier roman de Camille de Villeneuve, jeune écrivain de 28 ans. Cette chronique acerbe de la décadence d'une famille aristocratique, au siècle dernier, a recueilli tous les suffrages. Camille de Villeneuve fait preuve, déjà, d'une réelle maîtrise , écrit Josyane Savigneau dans le Monde. Roman impressionnant, extrêmement abouti , renchérit le Figaro.

Notre grand coup de coeur de la rentrée , s'enthousiasme Point de vue. Admirablement bien écrit, très incisif , s'écrie Olivia de Lamberterie au Masque et la Plume . C'est dire si nous abordions ce livre avec les meilleures intentions du monde. La déception est à la hauteur de notre attente.

Que le roman soit maîtrisé, abouti, très bien écrit, c'est indéniable. Le style est celui d'un écrivain confirmé, pas d'une débutante de 28 ans. Les personnages sont habilement campés, les descriptions sonnent juste, les formules font mouche. L'auteur connaît le milieu qu'elle peint de l'intérieur. D'où vient, alors, qu'on se lasse assez rapidement de ce récit et qu'il nous laisse comme un goût de cendre dans la bouche ?

La lassitude vient d'abord de la succession de petits chapitres décrivant des scènes assez banales : l'enterrement du vieux marquis d'Argentières, une soirée de rallye, un mariage élégant, un thé entre gens du monde dans un palace parisien... Nous avons droit aussi à un accouchement et un avortement, décrits avec un luxe de détails inouïs, dont nous n'avons pas bien saisi l'intérêt romanesque. Il est permis de ne pas trouver tous ces micro-événements très palpitants. Mais l'essentiel est ailleurs. Le problème principal de ce roman, ce sont ses (innombrables) personnages.

Des aristos... petits bourgeois

Aucun d'eux n'est attachant. C'est même tout le contraire. Dans le meilleur des cas ils sont falots et insignifiants. Au pire ils sont veules, cruels, hargneux, bêtement snobs, égoïstes. Ils se détestent, se jalousent, se méprisent, se haïssent. Ces sentiments n'ont d'égaux que le regard que l'auteur jette sur eux. Les jaugeant implacablement, elle est aussi dure et impitoyable avec eux qu'ils le sont entre eux. Elle les méprise aussi : le terme dérisoire revient plusieurs fois sous sa plume. Il y a dans ce livre une acidité, une agressivité que la joliesse du style et la douceur du ton ne parviennent pas à masquer — elles les rehaussent d'une certaine façon.
Même les scènes d'amour — un mot plus cru conviendrait mieux — sont exemptes de tout sentiment. Les hommes sont des cosaques, qui montent à l'assaut sabre au clair, et les femmes des pauvres victimes plus ou moins consentantes. Ah si, tout de même, il y a une scène empreinte de douceur et de tendresse dans ce livre : elle réunit deux femmes...

Mais, nous dira-t-on, ces personnages, l'auteur les décrit tels qu'elle les voit. C'est bien le problème. Ce qui manque à ce roman, c'est un regard qui transcende la réalité, qui la transfigure et en fasse un objet littéraire. En l'absence d'un tel regard, on risque plus d'avoir affaire à un procès verbal détaillé qu'à de la vraie littérature. Exactement comme un tableau ultra réaliste n'est pas de la peinture mais une imitation plate de la réalité.
On ne fait pas de la littérature avec des bons sentiments, nous dira-t-on encore. Certes, mais les mauvais ne suffisent pas non plus. Et à trop s'acharner sur sa cible, on finit par la manquer. Camille de Villeneuve a sans doute mis beaucoup d'elle même dans ce livre. Peut-être avait-elle des comptes à régler. Souhaitons qu'ils soient, désormais, définitivement soldés. Pour qu'elle nous offre, à l'avenir, le vrai roman que l'on attendait.

 

 

  ***