Cinquante années dans une des régions les plus douloureuses du monde où la France a été la plus fortement impliquée. C'est cet anniversaire que les "Enfants du Mékong" célébreront les 22 et 23 novembre à l'Unesco, avec "la France universelle".

 

IL EXISTE de multiples ONG en France. Le décès récent de Sœur Emmanuelle a rappelé un type d'engagement en faveur des populations des bidonvilles. Il illustre la générosité du continent chrétien et la conscience de la civilisation européenne (dont l'Amérique) à prendre en charge les drames des peuples du monde entier. Héritières d'une vision chrétienne de l'homme, c'est-à-dire universelle, les ONG occidentales ne font pas de distinction entre les appartenances religieuses ou ethniques. Tout homme est mon frère, tout homme souffrant est de ma famille.
Le serment du fondateur
La particularité d'Enfants du Mékong est d'être tributaire d'une région du monde dont elle a partagé l'histoire tragique. Elle n'est pas spécialisée dans un métier —même si elle a fort tropisme pour l'éducation — comme le sont les ONG de développement ou d'urgence. Elle est la conséquence d'une parole donnée. Celle d'un homme emporté par les événements tragiques de l'ancienne Indochine. Il avait juré fidélité à des peuples que la France avait engagés à ses côtés. Hier, accueillant les enfants eurasiens abandonnés dans les rues de Vientiane, puis soutenant les boat et land people dans les camps où avec obstination (terme employé par le P. Ceyrac), malgré son grand âge et sa maladie, il arrachait un à un ses amis à ces enfers. Cet homme, c'était René Péchard, le fondateur d'Enfants du Mékong.
On se souvient que pendant qu'un silence de plomb s'imposait dans les médias européens, le Sud-Est asiatique subissait un martyr dont l'intensité atteignait des sommets dans l'horreur humaine. Même s'il faut se garder de limiter ces horreurs au seul Cambodge on se souviendra plus particulièrement de la période des khmers rouges. Aujourd'hui toujours lié par le serment de son fondateur, Enfants du Mékong donne à toutes les jeunes générations les capacités de se construire dans l'amitié avec notre pays.
L'humble action entreprise par René Péchard s'est développée en progression géométrique. Aujourd'hui, 60.000 enfants bénéficient chaque année des services de l'ONG. Cette œuvre profonde entreprise par un homme à la foi ardente ( Je vois dans les enfants qui souffrent Jésus au Golgotha ) est aussi l'œuvre d'un homme qui aimait sa propre patrie et voulait la faire aimer parce qu'elle a de plus haut : la générosité et l'intelligence de son peuple, peuple vif et curieux des autres. Tout a commencé dans le silence et le simple geste accueillant deux orphelins. Toutes les grandes œuvres commencent parce qu'un homme se penche sur un pauvre sans savoir que ce geste libère une dynamique aux conséquences considérables. Quand on se retourne sur le passé on est impressionné par l'importance insoupçonnée d'un simple geste. Ce qui frappe, c'est l'absence de projet , voire de business plan dans les grandes œuvres de charité.
Visages de la France
Cette entreprise s'est construite sur des principes assez simples. D'abord, elle s'édifie sur une amitié de peuple à peuple, en dehors des structures officielles. Ces dernières obéissent à des logiques politiques, idéologiques ou répondent à des jeux d'intérêt. Le réseau d'amitiés devenu impressionnant est là pour démultiplier des liens entre les familles françaises et les familles indochinoises. La France n'est plus une entité lointaine, étrangère, riche, égoïste et surtout historiquement coupable de colonisation brutale. C'est un homme, une femme ou un enfant qui expriment avec amour et délicatesse son attention pour son prochain, lequel porte un nom, a un visage, exprime des sentiments.
Les schémas économiques ou politiques obéissent à des rapports de force et n'intéressent que des élites . Ils n'ont aucun effet sur la conscience des peuples. Ils ne créent aucune sympathie profonde. Or c'est de cela dont il est question aux Enfants du Mékong. Mère Teresa répondait à des journalistes qui lui reprochaient son action déresponsabilisant les Etats : Je n'ai jamais vu un État donner de l'amour à une personne !
Les régimes passent mais les liens de peuple à peuple demeurent. C'est ce que De Gaulle s'obstinait à penser, il ne parlait jamais des Soviétiques mais des Russes, rappelant par là que les systèmes n'ont qu'un temps mais que la dimension spirituelle et culturelle d'un peuple transcende tout. On a reproché aux Français dans le passé d'avoir trop investi, dans leurs relations avec les peuples, sur cette dimension et de ne pas s'en tenir aux seules relations matérielles, à l'exemple des Anglo-Saxons. Les conséquences ont été des ruptures très douloureuses voire passionnelles. Sans doute, mais aussi est-ce pour cela que nous pouvons renouer aujourd'hui les liens sous d'autres formes que celles du passé.
Le père Martin
Lors des deux journées familiales des 22 et 23 novembre, quinze de nos enfants danseurs quitteront pour la première fois les rizières les plus pauvres du nord du Cambodge. Ils viendront avec leur père Martin, personnage mythique de ces provinces, mélange de Mère Teresa et du Docteur Schweitzer ! Sa réputation est aussi grande auprès des enfants magnifiques et souffrants qu'auprès des gouverneurs dont l'intégrité est discutable mais qui affirment dans ces provinces violentes : Lorsque Martin passe, la paix s'installe. L'accompagneront des grands-pères, rescapés des khmers rouges. Ceux ci viendront témoigner de l'espérance qu'ils mettent dans les jeunes qu'ils accompagneront.
Le grand ami du Père Ceyrac, l'ancien Vénérable de la pagode de Rittizen au Cambodge, Mony Chenda, diplômé d'Harvard, a préféré servir son peuple dans le dénuement en privilégiant les pauvres alors que les États-Unis et l'Allemagne lui proposaient des responsabilités internationales. Quelque soit l'état de chaos de leur propre pays, ces hommes sont la permanence de la pérennité des nations. Les empires s'écroulent, pas les patries parce que les patries sont composées d'hommes.
L'amie des premiers jours du fondateur est laotienne. Pays si doux, si délicat et si fidèle. Son roi est mort en 1996 dans un camp de rééducation pour sa fidélité à la France. Elle a soutenu à l'époque tragique des camps des milliers de réfugiés laotiens, vivant avec eux, partageant les mêmes conditions d'internement et subissant les mêmes violences.
Le sang des martyrs
Dans le mystérieux Vietnam qui hésite entre une idéologie d'un autre âge et un american Way of Life mafieux, l'Église joue un rôle extraordinaire d'audace et de sagesse. Ce pays exceptionnel a tout au long de son histoire été ensemencé par le martyr. Ses prêtres et ses religieuses ardents au service des plus pauvres, héroïques dans leur attitude quotidienne, nous donnent le témoignage quotidien de l'esprit de liberté. Il y a encore à peine un mois, le régime lâchait contre l'archevêque d'Hanoï Mgr Kiet, des repris de justice encadrés par les jeunesses communistes au cri de À mort Kiet ! . Ce dernier avait outragé le régime en réclamant publiquement le respect du droit. Aujourd'hui, il est comme Aung Sang Su Ky, l'héroïque prix Nobel en Birmanie, assigné à résidence. L'Église vietnamienne plonge ses racines dans le sang de nos propres martyrs. Il y a là comme une transfusion d'espérance qui soude la France et le Vietnam depuis et pour des siècles. Les écouter nous permettra de comprendre la réciprocité des liens qui unissent nos deux nations.
De très nombreux apôtres des enfants des rues de Manille ou sur les frontières du triangle d'or sauvent un à un les enfants victimes des prédateurs. Ils se nomment Nina, avocate de formation, Joe Dean ancien jeune premier du cinéma, Kruu Nam, jeune thaïlandaise. Ce que l'on ignore ici, c'est que s'opposer à l'instrumentalisation de l'enfance peut là bas se payer d'une balle dans la tête. Ils le savent.
Beaucoup de prêtres ont choisi de servir jusqu'à la fin de leurs jours ceux pour lesquels Dieu a une particulière tendresse : les plus pauvres, ceux que les puissants voudraient faire disparaître parce que leur seule présence gêne. Ces jeunes prêtres sont français, thaï ou vietnamiens.
Le programme du cinquantenaire

Ce sont des personnes d'exception qui se trouveront réunies pendant deux jours. Aucun plateau télé n'a rassemblé autant de héros vrais qui ont sauvé autant de vies d'enfants. Samedi, la soirée Lumières d'Asie , sur le principe du grand échiquier de Jacques Chancel, offrira des témoignages, des mini films sur nos témoins d'Asie, et aussi les danses et les récitals de ceux qui, grâce à un parrain, sont devenus des virtuoses du Conservatoire de Paris alors que leur destin les condamnait à vivre dans la rizière ou à mourir très jeune dans un bidonville.
Nous avons sollicité Jean Vanier pour introduire ces deux journées. C'est une chance. Sa douceur et sa force sont d'une telle fécondité qu'elles doivent inspirer audace aux chrétiens. Ceux-ci sont peut être les seuls à rendre lisible un monde de plus en plus incohérent et en fusion ; la voix d'un témoin de cette envergure rappelle que la grandeur de l'homme est dans l'amour de l'homme blessé d'abord. Dieu s'abrite chez le plus faible.
Pour répondre à cette invitation, se trouveront face à face les puissants du monde habités par le souci du bien commun : Augustin de Romanet, Jacques Rigaud, Jean-Hervé Lorenzi et des acteurs du monde social tels que Laurent de Chérisey, Atanase Périfan, Isabelle de Rambuteau ou encore cet homme issu des banlieues, Stéphane Méterfi, qui montre aux jeunes comment s'en sortir. Nous ne pouvons pas citer tous les intervenants, la place manque.
Pour conclure les conférences, nous avons invité Nicolas Buttet : cet homme politique à l'avenir particulièrement brillant, ministre de la Confédération helvétique à 28 ans, a tout quitté pour donner sa vie aux clochards, aux repris de justice. Passionné du service des plus pauvres, c'est lui qui nous a ouvert les chemins des minorités chinoises. C'est grâce à son audace que nous avons pu enfin répondre au souhait de notre fondateur qui nous demandait de remonter le Mékong jusqu'à sa source.
Monseigneur Rey, évêque de Toulon-Fréjus, fondateur des missions Bambou , concélébrera la messe aux Invalides avec les nombreux religieux qui ont vu naître leur foi pendant leurs missions en Asie. Il rappellera que la Mission est la source de la Joie. Une joie bernanosienne. Cet évêque atypique est connu pour son obsession d'annoncer l'Évangile urbi et orbi. Son rayonnement sur la jeunesse est visible : son séminaire est le plus rempli de France. Le nombre de communautés qui s'installent dans son diocèse avère un nouveau visage de l'Église en fidélité étroite avec Benoit XVI et en phase avec les demandes des jeunes générations.
*Yves Meaudre est directeur général des Enfants du Mékong.