Villepin pour la dépénalisation, Guéant  absolument opposé , la gauche divisée... Les médias publient à la chaîne depuis plusieurs jours les analyses, points de vue, et positions officielles ou officieuses des politiques à propos de la légalisation du cannabis. Cette insistance peut en faire un sujet du débat présidentiel.

A l'origine de ce maelström médiatique, deux rapports. D'une part, celui de la commission mondiale sur la politique des drogues (Global Commission on Drug Policy),  publié récemment, qui pointe l'échec de la politique répressive en matière de drogue et incite les Etats à envisager la possibilité de la dépénalisation plutôt que la répression (analysé ici par Thibaut Dary). D'autre part, le rapport d'un groupe de travail de députés de gauche présidé par le socialiste Daniel Vaillant qui préconise une  légalisation contrôlée du cannabis .

 Il ne s'agit plus de prôner une abstinence illusoire, mais de modérer la consommation des Français , peut-on lire dans ce second rapport publié le 15 juin 2011. Pour l'ex ministre de l'intérieur, la solution réside dans la mise en place d'une filière nationale – sur le modèle de la Seita – encadrant cette consommation !  Tentons le pari de la réglementation pour faire baisser la consommation  exhorte-t-il. Le cannabis bénéficierait alors du même statut légal que l'alcool ou le tabac.

Cette position très libérale en matière d'addiction crée le débat. Au sein de la gauche, la proposition est loin de faire l'unanimité. Le député-maire de Sarcelles (Val-d'Oise), François Pupponi, estime que  si on peut limiter les trafics de drogue par l'encadrement, et ainsi éviter leur développement, ce sera un accompagnement dans le cadre d'une politique globale . Ségolène Royal, elle, s'est déclarée contre la légalisation  tant qu'on aura pas tout fait contre les trafics . Martine Aubry qui s'était au départ déclarée en faveur d' un grand débat , estimant qu'il s'agissait  d'un sujet trop sérieux pour qu'on prenne des positions tranchées  s'est finalement dite elle aussi  contre  sur TF1 martelant par ailleurs qu'il fallait  redresser notre pays .

Du côté du gouvernement, Fillon déclarait lors d'un meeting devant des militants UMP à Nice :  J'ai pris connaissance avec peine des débats ambigüs qui agitent le Parti socialiste sur la dépénalisation du cannabis . Le premier ministre, s'inscrivant dans la droite ligne de la politique exemplaire de la France en matière de lutte contre la drogue, a déclaré qu'il ne pouvait  envisager une seconde  une dépénalisation du cannabis, ce qui reviendrait, selon lui, à  légitimer, justifier et encourager l'usage  de cette drogue douce.

Au delà des déclarations médiatiques, un débat tronqué

Au pari de Daniel Vaillant, (la légalisation contrôlée), Etienne Apaire, président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, oppose le bon sens. Dans les pages opinions du Figaro, il écrit le 18 juin :  Si l'on comprend bien, le cannabis est nocif pour la santé, mais, pour en réduire la consommation, il faudrait que l'État en organise la distribution. Le trafic est condamnable, mais, puisqu'on ne parvient pas à l'éradiquer, légalisons-le !  La proposition de Daniel Vaillant est donc un pari risqué pour le responsable de la MILDT qui rappelle les dangers de la consommation de cannabis (cf. www.drogue-danger-debat.org).

Etienne Apaire n'hésite pas non plus à contredire le consensus actuel. Alors que la proposition de Daniel Vaillant comme le rapport de la commission mondiale sur la politique des drogues constatent l'échec de la politique de répression dans le combat contre la drogue, ce spécialiste du sujet déclare :  Contrairement à ce que certains disent, le combat contre la drogue n'est pas perdu dans notre pays. Si, au début des années 2000, près d'un jeune de 17 ans sur deux avait expérimenté le cannabis, ce chiffre est en diminution constante depuis 2003. De fait, 58% des jeunes n'ont jamais expérimenté cette drogue.  Le président précise par ailleurs que le dispositif français n'est pas seulement répressif.   800 millions d'euros sont consacrés chaque année à la prévention et à un dispositif de soins et de réduction des risques unique en Europe, anonyme et gratuit.  Sans oublier  les succès des dernières années sur le nombre d'overdoses, et la contamination par le VIH. 

La légalisation : le chemin du pire

La politique française en matière de lutte contre la drogue, à la fois répressive et préventive, semble donc plus efficace que certains ne le prétendent. Et s'il est vrai qu'il est nécessaire de s'interroger aujourd'hui sur les phénomènes de trafics qui prolifèrent malgré les nombreux efforts de la police, ce n'est pas la dépénalisation ou la  légalisation contrôlée  qui y mettront fin !  L'idée selon laquelle les trafiquants renonceront au marché si le cannabis est légalisé témoigne d'un angélisme surprenant : les trafiquants se tourneront vers d'autres drogues, comme la cocaïne ou l'héroïne. Dans cette logique, jusqu'où faudra-t-il aller pour appauvrir le crime ? Légaliser en série ? Drogue après drogue ?  demande Etienne Apaire. Sans compter  l'attrait pour les organisations criminelles du commerce parallèle des produits licites comme le tabac .

Si la légalisation – même contrôlée –ne met pas fin aux trafics et aux violences qui en résultent – principal enjeu de cette mesure – les conséquences pourraient être dramatiques comme se fut le cas en Espagne après la légalisation (dont ils sont revenus depuis). Au lieu de protéger les citoyens, la légalisation les expose à un nouveau risque d'addiction nocive par ailleurs incohérent avec la politique de prévention actuellement appliquée au tabac et à l'alcool (une étude australienne a démontré que la consommation de cannabis à la puberté rend les rats appétant à l'alcool alors que ces deniers ne le sont naturellement pas). Pourquoi l'Etat se contredirait-il ? Pourquoi prendre un tel risque ? Cette proposition dictée par l'idéologie et des intérêts qui ne sont pas neutres va à l'encontre de toute prudence.

 

 

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