Le temps des faussaires

Source [Marion Duvauchel] Le coronavirus signe le temps des assassins et des menteurs. Sans aucun doute viendra le temps du jugement, qui effacera les responsabilités de ceux qui l’ont préparé, ce temps des assassins et des menteurs : les faussaires en tous genre, pas seulement en matière de pensée politique, mais aussi en matière de spiritualité.

Mention spéciale dans ce domaine à Frédéric Lenoir. Auteur d'une trentaine d'ouvrages sur les religions, c’est un démagogue de la spiritualité. Et un authentique charlatan. Depuis une dizaine d'années, dès que l'actualité place le catholicisme, l'islam ou la laïcité sur le devant de la scène, les médias le consultent et son diagnostic a presque valeur scientifique puisqu’il ne se revendique d’aucune chapelle, et surtout pas de la chapelle catholique. Convaincu que l'avenir du monde est dans l'épanouissement d'une spiritualité universelle détachée des traditions particulières (et en particulier de la tradition chrétienne) il a corrigé cette théosophie directement issue d’Helena Blavatski, par l’humanisme rationaliste qui a le vent en poupe dans notre siècle malade, qui, après s'être saoulé de politique, de matérialisme historique et de matérialisme tout court, a la gueule de bois et cherche désespérément cette denrée rare qu’il a détruite : le sens. Aux deux sens du termes : celui de direction et celui de signification.

Frédéric Lenoir vous en donne à revendre, du sens. Il pioche dans les corpus spirituels qu’il prétend connaître et en garde ce qui l'arrange, opposant la méchante Église au message évangélique (revisité) de liberté supposée (sans la Grâce), d'amour (lequel ?) et d'égalité (la mystique actuelle), qui n’a plus aucun ancrage dans les textes canoniques mais revu à la lumière des lunettes roses d’une exégèse laïque et relâchée. En toute humilité, il a publié la guérison du monde, où il se fait l’apôtre de la capacité supposée de chacun à trouver le bonheur, en lui-même évidemment, et accessoirement grâce à ses livres, qui en livrent  la recette, de ce bonheur forgé dans un stoïcisme de bas étage mis à la portée du plus grand nombre. On le lit beaucoup dans le métro parisien, que ses moyens le dispensent de prendre. Ce petit malin cultivé dont l’horizon est le syncrétisme a été proche du père Dominique-Marie et de la communauté de saint Jean, dont on connaît aujourd’hui les présupposés éthiques et les tristes agissements. Voilà qui devrait engager à réfléchir sur le bonhomme.

Il vend beaucoup.

Il pille aussi beaucoup.

La preuve ? Son ouvrage intitulé La rencontre du bouddhisme et de l’Occident  (Fayard 1999), qui copie mot pour mot le titre de l’ouvrage de Henri de Lubac publié en 1952. Il ne risque pas grand chose : qui lit encore l’œuvre du cardinal ? C’est bien dommage, car à la lumière de cette œuvre, le livre de Frédéric Lenoir apparaîtrait pour ce qu’il est, l’œuvre d’un petit malin syncrétiste qui s’est fait un pont d’or avec la crédulité des incultes d’aujourd’hui, en mal de Dieu ou de spiritualité, l’un et l’autre le plus souvent confondus.

Le Cardinal de Lubac fut initié au bouddhisme d’une manière aussi abrupte qu’efficace par l’abbé Monchanin qui lui mit entre les mains le Mahayana nikara dans une traduction de Sylvain Lévi, et il tint ce chef-d’œuvre conjugué de la pensée mahayanique et de l’indianisme occidental pour le stimulant rêvé. Pour le reste, son apprentissage du bouddhisme fut celui d’un autodidacte méthodique, servi par sa mémoire et sa puissance de travail légendaires.

Relevé de son enseignement à cause de son soutien à Teilhard de Chardin, on l’autorisa à écrire  sur le bouddhisme. Felix culpa, car on lui doit un travail inégalé et inégalable quoique totalement ignoré, à commencer des siens. Il eut ainsi le temps de mettre par écrit vingt ans de réflexion et d’enseignement sur la question. La rencontre du bouddhisme et de l’Occident  est une œuvre qui répond à la méthode de l’apologétique classique de l’époque, et dont l’analyse philosophique s’accompagne de son pendant historique et d’une prodigieuse (et quasi exhaustive) enquête historiographique. Tout ce qu’on sait sur le bouddhisme y est examiné, à commencer par la manière dont il a été découvert par le monde savant, découverte qui ne touche pas seulement à l’histoire des religions mais à celle des missions chrétiennes. De Lubac signale avec précision l’apport des missionnaires chrétiens de l’Inde dans l’étude du sanskrit et avec une légitime fierté il y relève la part des jésuites, notamment français, lequel apport n’avait pas été reconnu jusqu’à Sylvain Lévy (Génie de l’Inde), et encore, avec quel dédain.

Romano Guardini voyait en le Bouddha le dernier génie religieux avec lequel le christianisme aurait à s’expliquer. Selon lui, personne n’aurait encore dégagé sa signification chrétienne. Lubac avait vu clairement que c’est toute la notion de personne qui est niée par le bouddhisme. Sa démonstration est impeccable : par l’image divine qui est au fond de lui, tout homme participe à l’éternité de Dieu. Cette ressemblance (dans son ombre et sa consanguinité, pour reprendre la traduction littérale) est ce qui fonde la solidité définitive de son être. Rien de tel dans le bouddhisme où l’on ne rencontre qu’agrégats sans consistance. Il n’y a rien alors qui appelle et qui rende possible un amour définitif.

On voit aujourd’hui dans le bouddhisme un idéal de charité. De Lubac a établi que cet idéal fut surtout le fruit de croyances dépourvues de tout fondement historique. Le Bouddha, tel qu’on se mit à le dépeindre en ses existences antérieures, et les boddhisattva, sont des êtres de pure légende. Les innombrables textes contant leurs histoires merveilleuses sont également irréels. La charité bouddhique « ressemble à la charité chrétienne comme le rêve à la réalité » et tout le bouddhisme même « ressemble à un rêve ».

L’idéal abstrait de la compassion bouddhique sert tout particulièrement la nouvelle bureaucratie de l’humanitaire, celle qui vous envoie des demandes de dons avec des stylos, des cartes postales et tout un tas de gadgets de marketing qui doivent coûter un bras. Cette compassion sans visage ni raison devient disponible pour toute les causes : le bien être animal, la planète à sauver. Que sais-je encore…

La charité chrétienne n’a rien d’abstrait, elle implique un « prochain ». Qui est ce prochain, c’est la question du petit malin qui veut piéger Jésus qui répond par une parabole encore un petit peu connue, dite du « bon Samaritain ». Un homme est attaqué par des brigands. Passent successivement un Pharisien puis un Lévite (figures de l’homme rituel) qui n’accordent pas un regard à ce manant sur leur route. Arrive un Samaritain, c’est-à-dire un hérétique pour les Juifs de l’époque: il prend l’homme en pitié, le ramasse, le fait soigner puis continue sa route. La charité chrétienne implique un prochain, un homme mis sur notre chemin, qui ne nous est rien hormis qu’il est sur notre route. Il ne fait pas partie de la bande, de la tribu, de la famille religieuse. La charité chrétienne implique une décision libre, celle d’aider ou de ne pas aider, et le discernement. Elle implique que l’obligation de prendre soin de son prochain franchit les frontières habituelles de la famille, du clan ou de la tribu. Mon frère, c’est celui qui est blessé sur mon chemin.

Il n’y a pas de signification chrétienne à trouver dans le bouddhisme. Il est essentiellement une fabrication européenne, avec les lunettes d’un christianisme apostasié, par un orientalisme savant qui cherchait ses bases institutionnelles.

Romano Guardini poursuivait par une recommandation qui traduit à quel point nos meilleurs cardinaux furent aveuglés : « Celui qui voudrait le faire (dégager la signification chrétienne du bouddhisme) devrait avoir été parfaitement affranchi par l’amour du Christ et en même temps être uni très respectueusement à cet homme mystérieux du VIème siècle avant Jésus-Christ ».

Ce n’est que récemment qu’un chercheur du Minnesota, David Drewes, a établi, sources à l’appui, que rien, absolument rien, n’a jamais permis d’établir le moindre fait attestant de l’historicité du Bouddha. Cet homme mystérieux, rien, absolument rien n’atteste de son historicité. Comment être à la fois uni à Jésus Christ et à une fable transmise et répercutée par l’indianisme français et européen ?

Qu’on se rassure, les Frédéric Lenoir et autres faussaires n’ont pas terminé leur patient travail de destruction des racines religieuses du christianisme. Le cocktail est simple : un savoir bricolé, un syncrétisme de bon aloi, un humanisme arc en ciel, le bonheur comme horizon transcendantal.  Si l’on en croit Wikipédia, qui lui consacre une page fournie), la Fondation de France soutient son association SEVE. La réhabilitation des taudis n’entre pas dans les cadres de la Fondation de France, elle s’occupe entre autres de développer la pratique du sport pour les femmes. On ira vérifier sur le site les grands cadres de ses « appels d’offre ». C’est édifiant. Et si l’on cherche à les joindre, on n’a pas de réponse. C’est la bureaucratie anonyme de la bienfaisance.

Le coronavirus est une pandémie qui a au moins une conséquence reposante. On n’entend plus les cris d’alarme des associations de lutte pour le bien-être animal : quel repos. Ni celle contre le racisme et l’homophobie. On respire. Et enfin, enfin, Mlle Greta Thunberg s’est tue (ou en tous les cas, la presse qui relayait chacune de ses interventions prophétiques et visionnaires).

Seuls nos évêques dans leur dernier papier public n’ont vu comme horizon à cette catastrophe sanitaire que le nouveau monde écologique qui doit surgir des décombres, une fois la pandémie maîtrisée. En quoi, ils continuent de faire allégeance à la nouvelle divinité proposée par le pape François : l’écologie. Dieu soit loué, lui aussi se fait discret. La dernière fois qu’il a béni, ce fut devant une place vide. C’est peut-être une image prophétique. Compte tenu des âneries théologiques qu’il a produites et formulées ces derniers mois, on tiendra cette image pour une bénédiction. L’avenir confirmera la signification spirituelle de cette bénédiction solitaire devant une place aussi vide que nos églises aujourd’hui.

Le cardinal de Lubac participa activement au concile Vatican II et devint membre de certaines des structures qui en sont issues. En particulier le Secrétariat pour les non-chrétiens. En 1970, cet organe publia un guide au nom évocateur : À la rencontre du bouddhisme.

Le nom du cardinal n’y figurait pas…

C’est faute d’un enseignement véritable que tous ces hommes et des femmes vont chercher dans les sources frelatées qui leur sont proposées des réponses à leur vide ou à leurs attentes spirituelles. Enseignement que depuis plus de quarante ans, nos pasteurs ne donnent plus et n’invitent plus à donner.

De cela aussi, il leur faudra rendre compte.

De cela surtout.

Marion Duvauchel

Professeur de philosophie

Fondatrice de la Pteah Barang à Tra peang Anshang (Cambodge)