REVUE | La vieillesse est le temps de l’exemple et de l’accomplissement. En mettant de l’ordre dans leur propre existence, les personnes âgées aident la société à trouver un sens à la vie.

Extrait de Liberté politique n° 67, automne 2015
Par Mgr DOMINIQUE REY, évêque de Fréjus-Toulon
Sujet : Préface au dossier « Vieillir, une vocation ».

Dossier : Vieillir, une vocation

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NOUS CONNAISSONS tous les symptômes du vieillissement. Les forces physiques et la vitalité qui diminuent : la fatigue apparaît plus vite. L'acuité auditive et visuelle faiblit, on se souvient plus difficilement du nom des personnes à des événements récents.

Des altérations marquent aussi l'apparence physique : rides, cheveux gris, visage affaissé. Elles se remarquent cruellement si l'on se compare avec d'anciennes photos.

En vieillissant, les personnes se sentent souvent de plus en plus isolées, et comme moins utiles dans une société qui évolue rapidement. Elles ont l'impression de ne plus compter pour grand-chose, d'être dépassées par les plus jeunes qui les poussent en quelque sorte vers la retraite.

La personne vieillissante ressent de plus en plus sa propre finitude. Autour d'elle, amis et connaissances meurent les uns après les autres. On épluche la nécrologie du journal : « Encore quelqu'un de mon âge », « Quelqu'un de plus jeune que moi ».

Finalement les initiatives diminuent : on a moins d'ambition, les plans et les projets deviennent de plus en plus modestes, car on craint de ne plus avoir le temps de les réaliser.

Ces constatations ont amené certains gérontologues à diviser la vieillesse en deux phases : la période où l'activité prédomine encore, et la période où l'on devient de plus en plus passif et dépendant des autres.

Les médecins, les économistes et bien entendu les hommes politiques se penchent sur les problèmes du grand âge, chacun à partir de son point de vue spécifique. On relève le plus souvent le poids financier des retraites qui pèse sur les actifs, alors que le nombre toujours accru des « seniors » est devenu un « problème social ». Et ce vieillissement généralisé n'a pas les mêmes résonances que dans une société « jeune » qui connaît un taux de natalité très élevé, comme dans les pays en voie de développement. Les aspects médicaux et économiques sont mis en exergue : dans une période de récession économique et de compressions budgétaires, comment assurer les soins nécessaires à des personnes âgées qui peuvent de moins en moins vivre de façon autonome ?

Le temps de l’exemple…

Quel est le problème existentiel majeur du vieillissement ? C'est probablement la peur. Beaucoup de personnes âgées ont peur de ne pas pouvoir vivre cette ultime période de leur existence d'une façon sereine. Chez la plupart d’entre eux, naissent alors l'impression et la crainte de devenir une charge, d'être « en trop », que ce soit dans le milieu professionnel, en société, ou même dans le cercle familial. Les forces physiques et psychiques diminuent progressivement, il devient de plus en plus malaisé de faire face à la dépendance et au stress, et l’angoisse grandit de devenir inutile et indésirable, ou, pire, de peser lourdement pour les autres. Le vieillard est une charge pour lui-même autant que pour son entourage.

Tout en cherchant à donner du sens à leur propre vie, les personnes vieillissantes donnent un exemple autour d'elles : leur façon de vivre, leurs paroles et même leur impuissance impressionnent leurs proches et les invitent à mieux définir leurs propres valeurs. Les aînés suscitent chez les moins âgés une prise de conscience de leur devenir. La personne âgée peut devenir une source d'inspiration pour son entourage, une invitation à davantage de bonté et d'attention à l'autre, une invitation à ne pas se laisser entraîner dans les tourbillons superficiels de la vie.

… et de l’accomplissement

Le stéréotype de la vieillesse évoque la plupart du temps des images de maladie et de décadence, sans tenir compte des nombreux aspects positifs qui caractérisent cette phase finale de la vie. La vieillesse est un défi qui peut devenir l'accomplissement véritable de notre existence. L’automne de la vie est un achèvement au double sens du terme : une terminaison et un accomplissement. La mort nous « finit ». La finitude nous finalise. La vieillesse est la période où nous regardons autant vers le passé que vers l'avenir pour parachever l'œuvre commencée à notre naissance, et mettre toutes choses en ordre dans nos relations avec Dieu, le prochain et nous-mêmes. La vieillesse est le temps par excellence pour unifier ces valeurs provisoires dans une signification ultime. Avec l'approche de la mort, chaque jour, chaque heure devient porteuse d'infini.

La proximité de la mort donne son orientation définitive à la vie. Rétrospectivement, la consistance des choses s’éloigne de leur apparence. Parvenu au faîte, la question de Dieu se fait plus envahissante. Notre espérance convoque sa venue prochaine au point que l’on ne s’aperçoive plus de soi-même.

Finir sa vie est tout autant une mission qu’une démission. Une tâche plutôt que l’addition de tout ce que, désormais, on ne peut plus faire. Il faut mettre de l’ordre à ta vie. Jusque-là, elle s’est déployée en avant de soi. Désormais, on ne peut la comprendre qu’à rebours, qu’en regardant en amont, vers l’arrière. Pour faire le bilan du chemin parcouru, il faut se délester de tout jugement propre, et accueillir celui que Dieu prononcera. Unifier les choix précaires que l’on a posés dans l’urgence de l’action, afin que surgisse une signification définitive, unifiante, inspirante.

La dernière phase de la vie humaine laisse deviner quelque chose de transcendant et permet de s'en approcher. C'est un temps saint en ce sens qu'il nous oriente vers une grandeur encore cachée et nous dispose à rentrer dans le mystère qui vient. C'est le temps des purifications, l'occasion de jeter par-dessus bord le superflu pour mieux se concentrer sur l'essentiel. Le prix de chaque instant se densifie au fur et à mesure que se raréfie le temps qui reste. Quand les jours sont comptés, chaque jour compte davantage. L’érosion du quantitatif convoque le qualitatif.

La vieillesse marque un temps d’arrêt, tant qu’elle est supportable. La durée se contracte, s’immobilise dans le présent pour faire sourdre un sens à tout ce que la personne âgée a entrepris en fonction de ce qu’elle est devenue. Profiter de l’instant ne suffit pas. Elle désire comprendre la signification, la durée, appréhender l’orientation d’une vie dont elle n’a pas choisi le commencement, et dont elle sait le terme.

 

+ D. R.,
 8 septembre 2015

 

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