Catalogne, la récréation est finie

source[Roland Hureaux]La Catalogne avait tout pour plaire au courant dominant.

 

La Catalogne avait tout pour plaire au  courant dominant (mainstream) européen : une forte identité mais régionale, pas nationale,  non exclusive  d’un vif  sentiment europhile,  Bruxelles apparaissant comme un garant de l’autonomie  face  aux tentations  unitaires de Madrid ;  le souvenir de la guerre civile où  cette province se trouvait du   côté « sympathique » , celui des républicains, une large ouverture à  l’immigration ( plus de 15 % de la population) , la métropolisation ( 5,5  des 7,5 millions de Catalan vivent   dans l’agglomération de Barcelone),  une grande tolérance de mœurs:    paradis des rencontres  « gay », de la prostitution (certains villages y sont entièrement dédiés) et   jusqu’ à une date récente, des  Françaises  allaient se  faire avorter à Barcelone ; sur la voie royale menant du Maroc  à l’Europe, le cannabis  y était quasi en vente libre.

Au sérieux traditionnel que l’on reconnait au peuple catalan, s’ajoutait ainsi une image de modernité progressiste de bon aloi.

On se serait attendu à ce que le mouvement pour l’indépendance soutenu par près de la moitié de la population, avec des appuis à droite mais surtout à gauche et à l’extrême gauche, reçoive tout naturellement l’aval de la nomenklatura politique et médiatique ouest-européenne.

Las, les choses se sont gâtées.

Les élites européennes prennent peur

La perspective de l’ indépendance se rapprochant, sous l’impulsion de l’actuel gouvernement régional catalan de Carles Puigdemont et sur fond de grave crise des partis nationaux ( populaire, socialiste)  , les forces qui dominent l’Europe ont vu  tout à coup avec effroi le danger que représenterait  une indépendance « pour de bon »  de la Catalogne:  la contagion  à d’autre provinces espagnoles, à la Corse, des tensions accrues entre les régions italiennes ou belges, un  précédent pour l’Ecosse .   Comme il s’en faut de beaucoup que l’idée d’indépendance fasse l’unanimité dans ces régions, où l’opinion est généralement divisée par moitié, les risques de guerre civile pointaient un peu partout. S’agissant de la Catalogne elle-même, qui pouvait dire si l’ordre public serait sérieusement assuré par un gouvernement régional habitué depuis longtemps à se positionner contre l’Etat  sur un territoire qui intéresse de plus en plus les réseaux mafieux ? 

L’Union européenne qui avait si ardemment   encouragé la dislocation de la Yougoslavie et si longtemps prôné une « Europe des régions » destinée à affaiblir les Etats, a tout à coup perçu le danger : elle    ne peut pas se permettre une dislocation de l’Espagne et une fragilisation de toute l’Europe méditerranéenne, dont les économies sont déjà affaiblies par    la toute-puissance d’un euro plus fait pour l’Allemagne que pour elles. C’est toute l’Europe occidentale qui en subirait le contrecoup ; la construction européenne pourrait même être remise en cause.

Au même moment, Bruxelles prend  conscience qu’il est plus facile de faire appliquer les directives européennes dans un Etat discipliné comme la France que dans quinze  länder allemands : le régionalisme débridé pourrait passer de mode.

Devant la provocation que représentait l’organisation d’un référendum sauvage par la Généralité, le 1er octobre dernier, le président du gouvernement Mariano Rajoy n’a fait que son devoir en faisant intervenir la police de manière parfois musclée pour empêcher les opérations de vote. L’unité de l’Espagne a reçu   l’appui du roi Philippe VI.  En d’autres temps, l’opinion européenne, toujours portée à la sensiblerie, aurait crié à la provocation, dénoncé les violences d’Etat, la répression policière. Mais elle a au contraire appuyé Rajoy.   Juncker, Macron et même   le pape François sont venus à sa rescousse.  

La grande manifestation du 8 octobre à Barcelone a montré que, quand le contexte s’y prête, la fermeté emporte autant l’adhésion que la gentillesse. Et en tous les cas qu’une partie substantielle des Catalans ne voulait pas couper les ponts avec Madrid.

Ces événements et le retour à l’ordre qui s’amorce, rappellent, après des années de « fête catalane » un peu irresponsable, que la politique est une chose sérieuse et qu’elle peut même parfois virer au tragique. La question de l’unité de l’Espagne ne fut-elle pas, au moins autant que   la question religieuse et bien plus que la lutte des classes, au fondement de la guerre civile espagnole de 1936-1939 ?  

En Catalogne, la récréation est finie.

 

Roland HUREAUX