Le bénévolat culturel en danger. Lettre ouverte de Philippe de Villiers

Fondateur de la cinéscénie du Puy-du-Fou, ancien secrétaire d’Etat à la Culture, Philippe de Villiers tire la sonnette d’alarme. Le ministère de la Culture travaille sur un projet d’encadrement et de contrôle des pratiques artistiques amateurs. Si le texte est adopté, les créations comme celles du Puy-du-Fou seraient soumises à autorisation. Un projet clairement liberticide.

[Actualité, 7/02/14] — D’après le blog du Puy-du-Fou, après une réunion rue de Valois, le cabinet du ministre de la Culture a accepté de revoir sa copie, et de différer la présentation de l’avant- projet de loi au conseil des ministres. Le ministère de la Culture a promis aux responsables du Puy-du-Fou de les associer étroitement à la révision de ce projet de texte. Le Puy-du-Fou se félicite de cette avancée mais réaffirme sa grande inquiétude face à ce projet de loi dans son état actuel.]

 

Lettre de Philippe de Villiers au président de la République

Monsieur le président de la République,  

J’ai l’honneur d’appeler votre attention sur l’inquiétude des 3400 bénévoles du Puy-du-Fou ainsi que des 1375 salariés de cette grande aventure qui a obtenu récemment, à Los Angeles, l’Oscar du « plus beau parc du monde ».

Cette inquiétude sera, à la publication de cette lettre, très largement partagée par les 3000 personnes qui, du fait des retombées indirectes, tirent l’essentiel de leurs revenus du Puy-du-Fou dans les régions Bretagne et Pays-de-la-Loire, avec un chiffre d’affaires de 193 millions d’euros.

Le Puy-du-Fou sous tutelle ?

En effet, nous avons appris récemment qu’un projet de loi en préparation, visant soi-disant à codifier les « pratiques amateurs », aura pour conséquence de mettre le Puy-du-Fou sous tutelle et de le soumettre pour chacune des représentations de la cinéscénie à une autorisation de l’État.

Nous avions déjà combattu le projet Albanel du gouvernement Sarkozy-Fillon qui était un projet identique. Il ne s’agit donc pas d’un combat politique mais d’un combat culturel qui vise à ramener les hautes sphères au sens commun.

L’avant-projet que nous avons pu nous procurer est très clair : il considère que le régime juridique normal du spectacle vivant en France est le salariat. Le bénévolat est ainsi réputé illégal. Il ne peut donc être toléré, selon les penseurs du ministère de la Culture, que, de manière exceptionnelle et par un système dérogatoire, avec des conditions draconiennes dont l’administration énoncera le contenu dans un décret à venir.

Autorisation conditionnelle

Aujourd’hui, le Puy-du-Fou est libre. Libre vis-à-vis de l’État et de quiconque. Il s’organise comme il l’entend, pour son calendrier et l’appel aux bénévoles.

Demain, par une application simple de cette loi, le Puy-du-Fou sera soumis à autorisation. Il devra donc remplir une déclaration annuelle et attendre l’agrément du gouvernement avant de commencer les réservations.

Selon le projet de loi, la déclaration adressée au ministre de la Culture devra « décrire les engagements de la structure » (sic).

Le gouvernement vérifiera alors si les engagements en question sont conformes aux conditions figurant dans le décret à venir. L’autorisation sera donc conditionnelle, soumise au bon vouloir et aux humeurs du gouvernement, pour ne pas dire à son contrôle idéologique.

Celui-ci fera connaître par récépissé sa décision d’autoriser ou non la cinéscénie à faire appel à des bénévoles.

Le bénévolat en danger de mort

Cette novation, liberticide, est proprement incroyable : pour faire jouer un spectacle vivant à des salariés, il n’y a pas d’autorisation à demander. Mais pour faire jouer le même spectacle à des bénévoles, il faudra une autorisation précaire de l’État, renouvelable chaque année.

D’ores et déjà, le projet de loi, anticipant sur le décret à venir, prévoit, parmi les conditions d’obtention de la permission, « un nombre limité de représentations ». Ce qui veut dire concrètement que si on joue moins de trente fois, on pourra solliciter l’autorisation de faire appel à des bénévoles, mais au-delà de trente fois, il faut alors faire appel à des salariés.

Beaucoup d’associations, qui ne s’en doutent pas aujourd’hui, sont dans la même situation que nous.

Le ministère de la Culture entend nous faire entrer dans un nouveau monde, celui du bénévolat sous bracelet électronique. Pour nous, il y a alerte rouge : le bénévolat, dont le nom n’est même pas prononcé dans le projet de loi, est en danger de mort. Si cette loi est votée, de nombreuses associations à but non lucratif et qui font rayonner les activités culturelles et sportives de notre patrimoine seront frappées à mort.

Danger économique…

C’est pourquoi, Monsieur le président de la République, je vous adresse ce cri d’alarme : en tuant le bénévolat français, en voulant tout codifier, tout monétiser, tout soumettre à l’argent, privé ou public, en prétendant tout réglementer, jusqu’aux cris du cœur et aux larmes d’émotion, vous allez tuer la meilleure partie de la France, celle qui s’exprime par le volontariat ; et, en décourageant le bénévolat associatif, vous allez priver la France de tout un monde qui génère une économie puissante et riche de nombreux emplois. 

Ce projet de loi nous paraît dangereux, infondé et néfaste. Il s’appuie sur l’idée que les scènes françaises ne devraient être réservées qu’aux seuls professionnels. En d’autres termes, si l’on en croit ce projet, il faudra demain percevoir un salaire pour prétendre être un artiste.

… et danger artistique

Cette loi inique représente un danger majeur pour la création artistique en France. Des millions d’artistes amateurs dans notre pays ont su prouver, depuis des décennies, que le bénévolat est sans aucun doute l’une des toutes premières sources de création artistique. Tuer le bénévolat revient à tuer l’initiative populaire et la libre expression d’une passion. Une telle mesure aura pour conséquence inéluctable la disparition de très nombreux arts et traditions largement répandus et faisant la richesse de l’exception culturelle française.

Vous avez le pouvoir d’arrêter ce projet absurde.

Je vous prie de croire, Monsieur le président de la République, à l’expression de ma haute considération.

Philippe de Villiers,
Président de Puy-du-Fou Stratégie

http://www.philippedevilliers.fr/

 

En savoir plus :
 Le site du Puy-du-Fou
 La lettre de Philippe de Villiers (PDF)
 Le site du ministère de la Culture

 

Titre et intertitres de la rédaction
Photo : capture d’écran , site du Puy-du-Fou

 

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