Aron Lustiger naît à Paris le 17 septembre 1926. Ses parents sont venus de Pologne et tiennent un magasin de bonneterie, d'abord à Montmartre, puis à Montparnasse. Le jeune Aron découvre seul la Bible alors qu'il est élève au lycée Montaigne, et l'antisémitisme nazi à l'occasion de séjours linguistiques en Allemagne.

Lorsqu'éclate la Seconde Guerre mondiale, ses parents l'envoient avec sa soeur à Orléans. C'est là que le jeune Aron demande le baptême et prend le prénom de Jean-Marie. Il termine sa scolarité secondaire au petit séminaire, puis rejoint son père dans le Sud de la France et doit bientôt entrer dans la clandestinité, tandis que sa mère a été dénoncée comme juive, internée à Drancy et déportée à Auschwitz, dont elle ne reviendra pas.

L'itinéraire

À la Libération, Jean-Marie Lustiger s'inscrit à la Sorbonne avant d'entrer au séminaire des Carmes. Il est ordonné prêtre en 1954 et nommé au Centre Richelieu, aumônerie des étudiants de Paris. Il en devient le directeur en 1959 et, au coeur l'effervescence intellectuelle de l'époque, il accueille les intuitions du mouvement liturgique et des théologiens qui préparent les réformes de Vatican II.

Après un été passé aux États-Unis en 1969, il devient pour dix ans curé de Sainte-Jeanne-de-Chantal dans le XVIe Sud, où il aura pour vicaire André Vingt-Trois, fraîchement ordonné. S'inspirant de l'enseignement des jésuites de l'Institut d'Études théologiques de Bruxelles, fondé sur une spiritualité biblique et ignacienne, et ouvert à la pensée moderne et contemporaine, il conçoit et met en place une politique novatrice dans les domaines liturgique et pastoral.

En 1979, Jean-Paul II le nomme évêque d'Orléans, où il ouvre aussitôt un séminaire. Mais dès 1981, il revient à Paris comme archevêque. Il est créé cardinal en 1983 et élu à l'Académie française en 1995. Dix ans plus tard, le Pape accepte sa démission et nomme pour lui succéder André Vingt-Trois, qui avait été son auxiliaire et était depuis 1999 archevêque de Tours.

La force d'une personnalité

Par delà l'audience liée à sa charge et l'intérêt suscité son itinéraire exceptionnel, Mgr Lustiger s'est immédiatement imposé par la lucidité de ses analyses et son langage percutant. Son humanisme et sa vision de foi se sont imposés lors de la bataille de l'école en 1983-1984, et la qualité de ses réflexions s'est déployée dans Le Choix de Dieu (1987), qui est devenu un best-seller. Il a été invité à donner des conférences et envoyé comme représentant du Pape dans le monde entier. Son intérêt pour les arts ainsi que ses connaissances et sa curiosité intellectuelles lui ont permis d'aborder sans complexe les grandes questions de la société au tournant du XXIe siècle et de dialoguer dans le respect mutuel, publiquement comme en privé, avec les personnalités les plus diverses.

L'action du pasteur

Conscient du bouleversement des conditions de vie à la fin du XXe siècle et attentif aux mutations culturelles, le cardinal Lustiger a fait porter son effort d'abord sur la formation des prêtres et des laïcs (fondation du Séminaire de Paris et de l'École Cathédrale). Il a ensuite relancé la dynamique pastorale (avec la Fraternité Missionnaire des Prêtres pour la Ville, la Marche de l'Évangile , plusieurs sessions synodales, les JMJ de 1997, Paris-Toussaint 2004 dans le cadre des Congrès d'Évangélisation unissant les forces des diocèses de Bruxelles, Vienne, Budapest, Lisbonne et Paris...). Il a également ouvert de nouvelles paroisses et construit de nouvelles églises.

Il a encore multiplié les créations au service des pauvres et de ceux qui souffrent (Fondation Notre-Dame, Maison médicale Jeanne-Garnier, association Aux captifs la libération , Tibériade pour les malades du Sida, etc.). Il s'est aussi efforcé de remédier concrètement à la rupture de transmission entre les générations en lançant des actions d'éducation et de formation, et de promouvoir le dialogue et la recherche culturels, auxquels travaillera le Collège de Bernardins.

Persuadé de l'importance des médias, il a créé Radio Notre-Dame, l'hebdomadaire Paris Notre-Dame, le site internet du diocèse et la chaine de télévision KTO. Ses entretiens sur Radio Notre-Dame ont débouché sur de nombreux livres. Il a utilisé à chaque fois qu'il pensait devoir le faire (et comme il savait le pouvoir) les grands organes nationaux de la presse écrite et audio-visuelle.

Il est toutefois évident qu'il reconnaissait dans la célébration eucharistique la source et le sommet de son action épiscopale : la messe qu'il célébrait chaque dimanche soir à Notre-Dame attirait des foules, séduites par la qualité aussi bien de sa prédication que des liturgies.

Le lien avec Jean-Paul II

George Weigel, biographe de Jean-Paul II, a raconté comment celui-ci avait choisi, sans le connaître personnellement, Jean-Marie Lustiger au siège de Paris. Au-delà de la proximité avec le Pape qui est liée aux charges romaines du cardinal-archevêque d'une grande capitale, les affinités spirituelles et intellectuelles entre les deux hommes étaient patentes : foi trempée dans les épreuves, conscience aiguë des fondements philosophiques de la culture, de l'importance de la jeunesse, des racines juives du christianisme... Jean-Paul II, nourri du meilleur de la tradition catholique française, percevait clairement les enjeux que représentent la France et Paris pour l'Église universelle. Le cardinal Lustiger, pour sa part, n'a jamais caché tout ce qu'il devait aux intuitions, aux inspirations et aux initiatives du Pape, et à quel point il se sentait en communion avec lui.

La marque d'une pensée

Les réflexions que le cardinal Lustiger a été amené à produire peuvent s'ordonner autour de trois axes principaux :- L'Europe, qu'il a toujours vue dans son unité spirituelle et culturelle (et pas seulement politique et socio-économiques).

- Israël, en soulignant que l'élection divine est irréversible et que l'Église doit apprendre à aimer son enracinement dans le judaïsme. Cette vision a été développée dans La promesse (2002). Elle a également engagé le cardinal Lustiger à œuvrer, avec l'aide du cardinal Decourtray, pour résoudre la crise ouverte dans les années 1990 par l'installation d'un carmel dans le camp d'Auschwitz.

- La dignité de la personne, menacée désormais en Occident par la science et les techniques, alors que tout homme est appelé à reconnaître la vérité transcendante qui fonde sa liberté.L'épilogue

Le cardinal Lustiger, trahi par ses cordes vocales, obtient le 11 février 2005 du Pape que soit acceptée la démission qu'il a présentée, conformément au droit de l'Église, le jour de ses 75 ans (en 2001). Dans une de ses dernières décisions, Jean-Paul II nomme Mgr André Vingt-Trois pour lui succéder.

L'Archevêque émérite s'installe dans un pavillon de la maison de retraite des prêtres de Paris et donne des retraites et conférences. Il continuer de participer au dialogue judéo-chrétien (notamment pour le 40ème anniversaire de Nostra Aetate) et à soutenir activement le projet des Bernardins.

Un cancer est diagnostiqué en août 2006 et nécessite un traitement lourd. Le cardinal Lustiger célèbre ses 80 ans par une messe à Notre-Dame, et ne ralentit ses activités que lorsque la douleur l'y oblige. Il entre en mai 2007 à la Maison médicale Jeanne-Garnier pour des soins palliatifs.

*Note biographique diffusée par l'archevêché de Paris

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