Vient de nous quitter dans la nuit de samedi à dimanche Henri Guérin, peintre verrier installé à Plaisance-du-Touch, près de Toulouse. À quatre-vingts ans, l'apprenti de la lumière comme il aimait sobrement se présenter n'a pas survécu à une ultime opération. Sa famille et ses amis étaient inquiets, l'hebdomadaire France catholique avait appelé à prier pour lui.

 

Henri Guérin avait créé de nombreux vitraux pour des églises, des édifices publics et des demeures privées, sa renommée dépassait les seules frontières françaises. Son œuvre ne se limitait pas à son activité de maître-verrier, et une abondante œuvre sur papier ainsi que la création de tapisseries d'Aubusson en disait long sur sa fécondité. Avec saint Augustin, l'artiste murmurait : Longtemps je t'ai cherchée, beauté...
De sa quête perpétuelle de la lumière, il n'hésitait pas à témoigner comme par exemple lors d'un très beau colloque à Paris organisé par Dominique Ponnau à l'École du Louvre : Art et culture religieuse aujourd'hui . Passionnant, le récit modeste qu'il fit de ses années d'apprentissage et de l'étape décisive pour sa foi et son art que fut la rencontre avec un moine d'En-Calcat, son maître bénédictin qui avait soupçonné très vite l'artiste qu'il allait devenir. Cinq ans d'apprentissage malgré tout, lui qui s'était entendu dire : Voyez en dix minutes, vous savez tout, mais vous n'aurez pas trop de toute une vie pour apprendre.
L'absolu désiré
Un grand croyant nous quitte, un homme au caractère trempé, exceptionnellement intelligent ; gageons qu'il est très attendu à la Porte du ciel. Contemplant le Verbe, la Lumière qui vient dans le monde éclairer tout homme, Henri Guérin se présente Là-haut avec des mains qui ont peint, taillé, coulé, dessiné, mastiqué, nettoyé, gratté, brossé... et touche enfin ce que son cœur insatisfait mais plein de l'intuition de ce qu'il voulait faire, l'absolu désiré n'avait pas encore atteint. Avec ses vitraux, lumières sur la lumière, il avouait ne l'entrevoir que fugitivement . Humble. La beauté, il ne cherchait pas à la capter, elle l'attendait à l'intérieur.

Ce que j'ai fait a le mérite d'exister. Pour moi ce qui est né est plus fort que ce qui a été rêvé ou pressenti, je le touche, je le vois. Je sais bien que ça ne sera jamais ça, mais c'est un peu de l'inconnu que je suis à moi-même qui s'est échappé et est venu à la lumière. De ce décalage entre la chose rêvée et l'œuvre née subsistera toujours une tension, et ma volonté de combler cette distance n'y pourra rien et ne finira qu'avec ma vie.

Au mois d'août dernier, l'exposition Lumières d'été à l'orangerie du Sénat, avait introduit le flâneur dans des jeux de lumière et d'ombre subtils, ceux d'un artiste dont l'art était la vie. L'exposition avait récapitulé pour le bonheur des Parisiens en vacances une œuvre intime révélant l'intense vie créatrice d'un peintre qui a voué sa vie à la lumière par le verre [1].
La dernière oeuvre d'Henri Guérin ? Un vitrail destiné à la crypte Notre-Dame-Sous-Terre de la cathédrale de Chartres. Il l'avait appelé Marie Porte du Ciel. Heureux, il disait que sa coupe débordait. Il a présenté en octobre ce vitrail mais n'en aura pas vu la mise en place. Toute sa vie, Henri Guérin aura su écouter la lumière [2] . Le journal de Toulouse La Dépêche a trouvé le beau titre : Henri Guérin a rejoint la lumière.
L'heure est désormais à un absolu plus seulement désiré mais rencontré. Sous terre, la Porte du Ciel s'ouvre avec l'Immaculée contemplée. Le vitrail d'une vie s'illumine. Voir la lumière originelle. Voir enfin Dieu.

 

 

 

[1] Sophie Guérin-Gasc, architecte et historienne de l'art. A publié avec Henri Guérin, son père auquel elle rend hommage, l'Œuvre vitrail, Privat, Toulouse, 2005. Préface de Dominique Ponnau.
[2] Actes du colloque Art et culture religieuse, Henri Guérin, Écouter la lumière , p. 128-131. Le Monde la Bible, École du Louvre, La Croix, Bayard.

Photos : en haut, Henri Guérin dans son atelier ; au centre, Verrière de l'Esprit-Saint (détail, 1998), basilique mariale de Mvolyë (Yaoundé, Cameroun) ; encadré, Soeur Eau (1994), église Saint-Julien de Meyrin (Suisse). Source : Actes du colloque  Art et Culture religieuse aujourd'hui.

 

Henri Guérin
En chemin vers la beauté
La cellule de l'artiste, c'est l'atelier, là où travail et silence, compagnons fidèles des jours, justifient malgré déceptions, angoisses et fatigues, ce bonheur d'être présent à ce qui s'élabore, jusqu'à cette joie si rare et si inattendue qui surgit d'un accord, d'un son juste et qu'on ne peut partager, car joie née dans la solitude de l'acte.
En ce lieu, entièrement confié au désir d'actes justes, constamment sanctionnés par la résistance des matériaux, l'artiste est conduit peu à peu, par la droiture de ses actes, à la vérité intime du cœur. L'on découvre à travers cette réalité, une morale de l'art, par la vérité du geste relié à la rigueur intérieure dans cette relation si étroite, si dépendante. Une intention qui ment produit un acte faux, il n'est pas question ici de maladresse, elle trahit une pensée morte ou calculée. Souvent le plaisir et le jeu m'absorbent en entier. La pudeur avouera rarement le lien avec l'enfant intérieur qu'on rejoint alors dans la saveur, l'étonnement et aussi la surprise, comme lui jadis si passionnément confié à l'instant. Aussi, lorsque je m'éloigne de ce lieu de vérité, souvent me vient une tristesse d'avoir déserté ce lieu de paix qui me protège des vanités toujours à l'affût. L'atelier m'a sauvé et me sauve encore.
Extrait de la revue Kephas, n ° 15, septembre 2005.