La « liberté » n’est pas un vain mot pour Boris Johnson ou Donald Trump, tandis qu’en France les confinés applaudissent l’état de guerre

« Nous retirons aux personnes du Royaume-Uni, nées libres, le droit ancestral et inaliénable d’aller au pub. Et je peux comprendre ce que les gens en pensent, » a tweeté Boris.

Les Anglais ont le coquelicot (poppy) comme nous avions le bleuet, la différence c’est que pour les Anglais la liberté n’est pas un vain mot et que la guerre 14-18 était déjà celle de la liberté face à l’organisation bureaucratique allemande, quand les Français semblent applaudir l’état de guerre.

Le Président Trump, nous rapporte James Delingpole dans Breitbart News[1], a dit la chose la plus importante qui ait été dite – et la chose la plus importante qu’on puisse dire – sur la pandémie de coronavirus. « Nous ne pouvons pas laisser le remède être pire que le mal lui-même. À la fin de la période de quinze jours, nous prendrons une décision quant à la voie à suivre ! »

C’est dans des moments comme celui-ci, poursuit le journaliste anglais, qu’on se rappelle à quel point nous sommes chanceux — ceux d’entre nous qui vivent aux États-Unis et au Royaume-Uni en tout cas — d’avoir des dirigeants dont la position par défaut tend vers la liberté plutôt que l’autoritarisme. Certains chefs de file mondiaux semblent se réjouir de l’occasion de la pandémie de coronavirus pour donner dans l’autoritarisme musclé et imposer des restrictions draconiennes aux libertés. 

Si le président Trump et le premier ministre Boris Johnson [hospitalisé le 5 avril après avoir contracté covid-19, que Dieu le préserve] suivent la même voie, c’est à contrecœur. La clé de cette réticence est que les deux hommes veulent que leurs nations redeviennent ce qu’elles étaient aussi vite que possible. Ni l’un ni l’autre, nous rassure le journaliste conservateur Delingpole, ne pense : « Mouah ha ha ha ! C’est maintenant l’occasion d’étendre le pouvoir du gouvernement au-delà de mes rêves les plus fous. »

Dans le cas de Boris Johnson, cette tendance libérale — au sens ancien du terme — est évidente chaque fois qu’il parle des nouvelles restrictions qu’il juge nécessaire d’imposer au pays.

C’est à regret que le Premier ministre britannique suit l’exemple de l’Espagne, de l’Italie et de la France, de fermer restaurants, cafés, bars, pubs, discothèques, théâtres, cinémas et salles de sport, « à l’encontre des instincts de liberté du peuple britannique. »

« Nous retirons aux personnes du Royaume-Uni, nées libres, le droit ancestral et inaliénable d’aller au pub. Et je peux comprendre ce que les gens en pensent », a tweeté Boris.

« Imaginez à quel point cela aurait été très différent si un socialiste comme Jeremy Corbyn avait été Premier ministre ou si Hillary Clinton avait remporté les élections. Les restrictions que nous connaissons maintenant ne seraient que le début de leur plan directeur de contrôle pour tout socialiser», écrit le journaliste James Delingpole.

« Au lieu de cela, Dieu merci, des hommes comme Donald Trump et Boris Johnson sont horrifiés plutôt que tranquilles ou ravis par la perspective que leurs pays deviennent de quasi-États policiers. Ce qui est doublement important étant donné le grand nombre de nos commentateurs dans les médias et de membres du grand public qui sont devenus des maniaques du contrôle obsessionnel et hystérique en ces temps de pandémie. »

"Il me faut être franc avec vous - nous savons que les choses vont s'empirer avant de s'améliorer", vient d’écrire le Premier ministre britannique dans une lettre publiée par Downing Street. "Nous nous préparons bien. Au plus vous suivrez les règles, au moins nous perdrons de vies et au plus vite vous pourrez retourner à une vie normale", martèle Boris Johnson. "En cette période d'urgence nationale, je vous prie instamment de rester à la maison, de protéger le NHS (National Health Service) et de sauver des vies", poursuit-il. Lui-même atteint maintenant de symptômes modérés : température et toux persistante, il s'est isolé et travaille depuis chez lui. [Hospitalisé depuis, et bénéficiant d’un apport d’oxygène sans ventilation, il semble aller mieux, Dieu merci] "Si les mesures sont enfreintes, la police infligera des amendes et dispersera les rassemblements. »

Les anglais ont le coquelicot (poppy) comme nous avions le bleuet, mais la différence c’est que les anglais mènent toujours activement la campagne du poppys appeal (appel aux dons lancé par la Royal British Legion, visant à soutenir les familles des soldats morts ou blessés au combat) parce que pour les Anglais la guerre, et notamment celle de 14-18, n’est pas une absurdité (nonsense) au bénéfice des marchands d’armes comme le veut la vulgate marxiste en vigueur en France. La Grande guerre fut celle de l’organisation bureaucratique allemande contre la liberté. Et cette liberté, s’il faut la mettre entre parenthèses, avec des politiciens de la trempe de Boris Johnson, ce sera toujours en dernière instance, et le moins de temps possible.

Pendant ce temps-là, en France, un folliculaire prenant ses rêves pour la réalité nous raconte dans un média en ligne que « la parenthèse libérale initiée de l’autre côté de la Manche et de l’Atlantique, par Margaret Thatcher et Ronald Reagan » semble se conclure, et que sur « le Vieux Continent » le libéralisme qui serait devenu un temps « loi d’airain », cette même parenthèse se refermerait aussi. Faire de tels contresens prouve que ce plumitif issu de la « nouvelle droite » paganiste anti-chrétienne et anti-libéral, la véritable extrême droite en fait, ne sait vraiment pas de quoi il parle sur les deux sujets. Mieux informé, le très gauchiste Courrier International s’inquiète de « Donald Trump, qui se dit prêt à “rouvrir le pays” rapidement ».

De leur côté, Macron et Buzyn (ministre de la Santé au moment clef), inhibés par les principes de l’ordo-libéralisme allemand – doctrine économique de l’Union européenne , répétaient, confondant le coronavirus et le nuage de Tchernobyl, qu’il ne servait à rien de contrôler les frontières ; irresponsables, alors qu’ils connaissaient la situation à Wuhan et dans la province de Hubei, ils n’ont pas alerté à temps les fabricants de masques, de gel hydroalcoolique ou de paracétamol, de l’imminence de l’épidémie en France afin qu’ils passent à la production continue en trois-huit pour répondre aux commandes d’État. (Sans même parler de la question de l’étonnante mise à l’index de la chloroquine.)

« On a présenté Emmanuel Macron comme un politicien libéral avant même son élection et, curieusement, on continue souvent à lui donner cette étiquette, alors que sa politique fiscale – ainsi d’ailleurs que la plupart de ses autres politiques – atteste du contraire de manière évidente. Il conviendra alors de ne pas attribuer à son prétendu libéralisme l’échec de ses politiques, » [2] écrivait avant l’épidémie Pascal Salin, économiste, professeur émérite à l'université Paris-Dauphine [3].

Le changement de politique récent n’aura servi à rien si ce n’est à reproduire les erreurs du passé : loin des réformes dont la France a besoin, il n’y a, selon Pascal Salin, rien de libéral dans les politiques mises en œuvre.

L’hypothèse de l’alternative libérale s’est toujours heurtée aux mentalités d’une société française construite par l’Etat, et où l’Etat profond qui s’est enkysté a pris le pouvoir. Pire « en s’attribuant ainsi un quasi-monopole dans l’exercice de la solidarité, l’Etat détruit les solidarités naturelles. » La récente mutation de la « gauche étatiste » qui a abandonné la question sociale pour la question sociétale, réjouissant les gens de médias, journalistes, artistes, intermittents du spectacle qui penchaient déjà à gauche, n’a fait qu’amplifier cette sensation de pensée unique.

La déchristianisation massive de la France d’après soixante-huit a fait reculer l’idée d’un homme qui est un visage, un nom, une personne libre et responsable et pas une statistique. « C’est le christianisme qui a permis l’émergence de la liberté individuelle dans le monde occidental, ce qui a d’ailleurs permis le décollage économique et permis à des masses innombrables de sortir de la misère. Avec le christianisme, comme avec le libéralisme, l’homme n’est pas qu’un rouage dans la grande machine sociale, mais une personne qui mérite respect en tant que telle, » écrivait le professeur Salin pour le diocèse de Toulon-Fréjus en 2015.[4] Rappelons que le député libéral français, et économiste, du XIXème siècle, Frédéric Bastiat, était un chrétien convaincu. Il est d’ailleurs enterré à l’église Saint-Louis-des-Français à Rome.

 « Friedrich Hayek – qui portait beaucoup d’intérêt à cette « exception culturelle » française – y voyait l’influence du positivisme, également bien représenté dans le passé en France, et d’un penchant pour l’attitude d’esprit de l’ingénieur qui a conduit à penser que « l’ingénieur social » pouvait être aussi efficace pour la gestion des sociétés que l’ingénieur proprement dit pour le fonctionnement des machines ».

L’idéal d’une organisation scientifique de l’humanité comme « le dernier mot de la science moderne » et « son audacieuse mais légitime prétention », disait déjà le jeune Ernest Renan[5]. Le rationalisme constructiviste qui veut « l’organisation de la société en un tout » et qu’on appelle maintenant socialisme, prend, bien souvent d’autres noms, moins effrayants, comme le keynésianisme ou l’école de la régulation. Le développement de la « théorie de l’organisation »[6] est l’une des plus grandes réussites du constructivisme, l’un de ses plus graves défauts est la méconnaissance de ses propres limites, écrit encore Hayek. « Ce qu’elle néglige de voir, c’est que la croissance de cet esprit capable de diriger une organisation [ordre arrangé ou « taxis »] et l’expansion de cet ordre plus large à l’intérieur duquel fonctionnent les organisations [ordre mûri, issu de la pratique, spontané ou « kosmos », un ordre sans dessein humain], reposent sur l’adaptation à l’imprévisible ; et que la seule possibilité des bornes de la capacité du cerveau individuel est de s’appuyer sur ces forces supra-personnelles et « auto-organisatrices » qui créent les ordres spontanés »[7].

Le problème français est essentiellement un problème intellectuel. Il résulte du fait que les idées les plus généralement adoptées par les Français ont un fondement contestable, regrette Pascal Salin. Même s’il reconnaissait en 1996 qu’il existait encore des têtes pensantes dans la tradition intellectuelle de l’humanisme français, « en dépit de l’euthanasie des universités », mais qu’elles étaient marginalisées ; qu’il y avait des chefs d’entreprise qui avaient le courage d’innover et de surmonter les obstacles bureaucratiques, « mais [qu’ils étaient] exploités, blâmés et méprisés » ; qu’il y avait « des gens modestes qui s’accrochent encore aux valeurs traditionnelles du travail de qualité et de l’honnêteté. Mais [qu’ils] sont frustrés en voyant qu’ils ne vivent pas mieux que tous les parasites sociaux qui attendent les transferts publics au nom de la solidarité sans faire d’effort personnel. »

Quand nous sortirons de cette épidémie, affaiblis, ruinés, endettés, il nous faudra repartir sur des bases saines avec l’aide de Dieu. Les principes du véritable libéralisme seront alors d’autant plus nécessaires que les partisans de l’interventionnisme à tous crins voient dans l’économie de guerre et l’autarcie, non pas une réponse exceptionnelle, mais une solution pérenne vers une économie décroissante qu’ils semblent applaudir de leur fenêtre. Les Britanniques et les Américains viendront-ils encore nous sauver contre nous-même ? En tous cas, ils sont une fois de plus une chance qui reste à l’Occident.

Nous aurons besoin d’être moralement armés lors de la sortie de la crise sanitaire. Parce que les forces globalistes et constructivistes connues en France sous le nom de progressistes, qui chiffrent et planifient du haut vers le bas comme si la société était une organisation, seront plus que jamais réactivées. Le vrai libéralisme, celui qui croit à la multiplicité des interactions, et à une information qui monte du bas vers le haut, reste une idée neuve en France.

Thierry Martin

[1]https://www.breitbart.com/europe/2020/03/23/we-are-lucky-that-trump-and-boris-are-not-natural-authoritarians/

[2]Page 107, c’est ainsi que Pascal Salin conclut le désespérant chapitre intitulé « Des alternances politiques sans conséquences. » Parce que malheureusement ce n’est pas nouveau. In Le vrai libéralisme, droite et gauche unis dans l’erreur, Odile Jacob (2019)

[3]https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/vade-mecum-pour-les-survivants-de-222663

[4] Publié dans La NEF, janvier 2015

[5]Ernest Renan, L’avenir de la science (1890)

[6]Waldo Dwight, Organization theory: an elephantine problem, Public Administration Review, XXX, (1961)

[7]Friedrich August Hayek, Droit, législation et liberté, PUF (2007), livre 1, ch. 2 « Kosmos » et « Taxis », p155.