La crise de l'euro-libéralisme

Depuis au moins quinze ans, la politique économique de la France est déterminée par trois  paramètres fondamentaux que la crise de Gilets  jaunes a remis  en cause.

Ces paramètres : d’abord l’euro auquel  les gouvernements  successifs ont choisi de s’accrocher coûte que coûte, quels que soient les inconvénients que certains y voient pour l’économie française. L’euro, on est dedans ou dehors , il n’y a pas d’entre-deux. Ce premier paramètre est donc déterminant.

En découle l’objectif de l’équilibre budgétaire, conforment aux engagements communs des membres de la zone,  et même, si  possible,  d’excédents afin de commencer à résorber la dette.Un objectif que la France n’a jamais réussi à atteindre.

S’y ajoute un troisième paramètre, inavoué celui-là  : le refus de toucher à l’Etat social particulièrement généreux qui caractérise notre pays. Cela est particulièrement vrai de la  dernière période : 2012-2018. Macron était  le  conseiller économique puis le ministre  des finances de Hollande ; il y a donc parfaite continuité intellectuelle entre les deux mandatures. Ceux qui attendaient de Macron un vrai  libéralisme , conduisant à la réduction des prélèvements obligatoire  oubliaient qu’il avait  été élu d’abord avec les voix   de gauche.

Mais si l’on remonte dans le temps, la configuration n’était  pas sensiblement  différente : Chirac et Sarkozy avaient beau venir de la   droite, leur tempérament  ne les poussait pas particulièrement  à la rigueur  et donc à remette en cause les acquis sociaux,  d’autant que sentant leur assise  fragile ,  ils ne souhaitaient   pas  se confronter  aux syndicats. Les deux lois Sarkozy sur les retraites eurent  peu d’effets immédiats.

La hausse des impôts, variable d’ajustement

Maintien de l’euro,   objectif d’équilibre budgétaire mais faible volonté de contrôler les dépenses publiques,la seule variable d’ajustement restait celle des impôts lesquels  n’ont  cessé en conséquence de s’alourdir , particulièrement depuis 2012 .  Au demeurant , de l’équilibre budgétaire recherché , la France ne s’est approchée que de manière imparfaite.  Elle a obtenu par dérogation de ne l‘atteindre  que de manière progressive, à partir d’un premier objectif  de 3 % qui devait se réduire mais  qui qui  a été reconduit d’année en année.

Comme la hausse de la fiscalité ne pouvait  peser ni  sur les très grandes fortunes, trop mobiles,  et que Macron a même fait bénéficier de la  suppression de la part financière de l’ISF , ni  sur le tiers  du bas de l’échelle , smicards ou assistés,  il ne restait qu’à écraser chaque année un peu plus les classes moyennes, au sens très large, en y incluant par exemple les petits retraités propriétaires de leur logement.  Cela ne choquait  ni la fibre socialisante du pouvoir actuel , de l’école Terra nova, plus  indulgente aux « exclus » , migrants compris, qu’ aux travailleurs véritables,  ni son  libéralisme de type mondialiste peu sensible au sort des classes moyennes  jugées  trop enracinées . Un libéralisme très différent par exemple de celui de Margaret Thatcher qui s’appuyait, elle, sur les classes moyennes.

Ajoutons,pour compléter le tableau,  la mollesse chronique de la  croissance. Pour compenser  l’avance de compétitivité que l’Allemagne s’était donnée, de manière d’ailleurs assez peu loyale,  dès l’entrée dans l’euro( réformes Schröder) , il aurait fallu une « dévaluation interne » à l’espagnole ou  à  la grecque    par la baisse des salaires et  des  charges publiques .Même la droite n’en a jamais eu que la velléité : on sait combien le programme Fillon qui  l’envisageait un peu  lui a porté préjudice. Et  rien ne dit qu’une telle stratégie  qui aboutit à contracter la demande  et l’activité et donc les recettes fiscales aurait réussi . Ni que le peuple français ait été prêt à l’ accepter , comme le montrent les événements  actuels.

Le handicap de compétitivité que certains chiffrent à 25 %  a donc perduré  avec l’effet attendu : du côté allemand, croissance et excédents ; du côté français, déficit, même agricole,  et  désindustrialisation rapide.  Macron président n’a pas fait mieux à cet égard  que Macron ministre.

Dans ce contexte  peu stimulant, les présidents successifs , Hollande surtout, ont annoncé régulièrement , jusqu‘au  ridicule,  le redémarrage de l’économie  et la baisse du chômage. Aujourd’hui personne n’y croit. Et personne ne croit surtout que les réformes de Macron vont ramener la croissance; nul   ne pense donc que les sacrifices qu’il veut imposer au peuple français serviront  à quelque chose.

La politique monétaire  flexible  de la BCE ( quantitative easing) a un moment donné l’illusion que l’activité  pouvait repartir. Mais elle n’a produit  qu’une  bulle, atténuée en France pour les raisons qu'on a dites, et  d’autant mieux dissipée  que la BCE a cessé cette politique.

La coupe est pleine

Dans sa dimension économique, le mouvement des Gilets jaunes est l’aboutissement de cette conjoncture : une croissance molle, des dépenses publiques élevées, des impôts lourds  pesant sur la classe moyenne et la  classe moyenne inférieure ayant le sentiment d’être devenues la « vache à lait » du système. Même si  les sacrifices exigés des Français n’ont pas été jusqu’ici aussi lourds que ceux qui ont été imposés à certains pays du Sud, pour  beaucoup, la coupe est  pleine.

C’est en vain que Macron a cru qu’avec une forte volonté , il réussirait là où ses prédécesseurs avaient échoué. L’équation telle que nous l’avons exposée, fondée sur une posture qui se veut à la fois européenne, libérale et sociale n’a pas de solution.  La crise que la France traverse ( avec d’autres pays d’Europe ) ne pourra se résoudre que par un changement de paradigme.

Roland HUREAUX