La confusion des genres : à qui le tour d’être décapité ?

La rage égalitariste n'est pas morte avec la Révolution. "Le retour à l'indifférenciation s'origine dans la rancoeur que l'athéisme nourrit envers les religions qui avaient institué la différence homme/animal comme un axe majeur de leur enseignement."

LE DESIR D'EGALITE est une terrible passion, qui peut faire tourner les têtes, et même, on sait cela en France, les faire tomber. Cette passion n'est pas morte avec Thermidor. Les Français se regardent, s'interrogent du regard silencieusement : à qui le tour d'être décapité ? Et si ce n'était plus à un monarque quelconque, fût-il laïc, ni à quelques ci-devant nouvellement déchus de leurs prérogatives ou de leur rang, de passer sous les fourches caudines des nouveaux épurateurs, mais à l’espèce tout entière ? Si le temps était en effet venu de priver le genre humain dans son ensemble de ses privilèges immémoriaux ?

La rage égalitariste

La rage égalitariste qui anime certaines idéologies de notre temps, ajoutée à leur obsession des discriminations, ne pouvait pas ne pas aboutir à ce résultat terrifiant : la volonté d'en finir avec la différenciation immémoriale, insupportable aux nouveaux « enragés », des espèces, des genres. C'est ainsi que des courants de pensée en sont arrivés à vouloir dénier à l'homme toute supériorité sur les bêtes. Le chat, le chien ne sont-ils pas déjà des êtres de compagnie ? Et si cette familiarité s'étendait à l'ensemble du genre « animal » ? La question de savoir si les bêtes ont une âme a-t-elle jamais été tranchée ?

Après tout, pourquoi l'animal n'aurait-il pas autant de dignité que sapiens sapiens ?

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« Il est évident, même pour un aveugle, que l'on ne peut élargir à l'infini les droits de l'homme. Posés d'emblée comme universels, ils ne sont pas susceptibles de s'ouvrir outre mesure aux animaux, aux plantes, aux pierres et aux objets matériels ou virtuels. Les tentatives d'élargir l'universel humain à un universel inhumain reviennent à refermer l'universalité sur des fragments de particularités réelles ou imaginaires.

Le procédé fait boule de neige. À chasser l'Européen de sa position ethnocentrique, on chasse l'homme de sa position anthropocentrique, bientôt l'être vivant de sa position biocentrique, pour aboutir à l'être minéral dans une position géocentrique ou l'être matériel dans une position matériocentrique. Pour être au clair sur cette exigence, le caillou aurait des droits à faire valoir aux hommes du fait, sans doute, de l'innocence dont le paraît Hegel [1]. »

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On assiste ici au pire déchaînement d'un égalitarisme devenu démence pure.  

La haine de l'homme                                                       

Dans le cas de l'athéisme pratique de l'Occident, il est important de remarquer ce qui se cache derrière cette sollicitude envers les animaux et les plantes, voire envers les minéraux : rien de moins que la haine de l'homme, ainsi qu'un violent ressentiment envers la tradition qui nous avait hissés hors du rang des bêtes.

Le retour à l'indifférenciation s'origine dans la rancoeur que l'athéisme nourrit envers les religions qui avaient institué la différence homme/animal comme un axe majeur de leur enseignement. Rejeter les traditions de la foi chrétienne revient, ipso facto, à récuser en doute cette différence fondatrice. Ici aussi le ressentiment est premier par rapport au besoin de promouvoir plus d'animalité, de plantitude. L'animal ne ment pas, lui... Et pour cause : il ne possède pas de langage articulé !      

Derrière cette promotion de l'idéalité de l'animal, innocent et pur, transparaît ainsi une haine de l'homme, être ambivalent, menteur, fluctuant, qui se sert de sa parole pour camoufler sa pensée, et de son esprit pour s'ériger en terreur de la nature. L'hybridation généralisée que nos épurateurs désirent promouvoir, sous couvert de progressisme, se veut au service d'un seul but : revenir au chaos originel dans l'espoir que le dernier détenteur de privilèges indus, l'homme laisse la place à plus innocent que lui. C'est un peu le dessein poursuivi en politique, mutatis mutandis, par le mouvement de la deep ecology.

Les techniques aident puissamment ces nouveaux justiciers dans leur projet fou. Ainsi les raccourcis avec la nature que s'autorisent certains industries agro-alimentaires, comme l'épisode de la vache folle en porte témoignage, ont puissamment contribué à brouiller les différences entre les espèces. Transformer en carnivores des bestiaux jusqu'alors herbivores, faire manger à l'animal sa propre espèce : voilà une promotion inattendue de l'Égalité, une transgression des barrières dont la transposition au genre humain fait froid dans le dos!

Mais si tout se vaut, s'il n'existe plus de frontière entre l'homme et la vache folle, pourquoi ne goûterions-nous à notre tour à l'anthropophagie afin de nous mettre en appétit, en attendant de brûler les vaisseaux et passer outre l'interdit de l'inceste ? Ainsi gagnerons-nous le rivage de l'Indifférenciation où n'existeront plus les frontières entre les sexes, les cultures et les espèces, où règneront sans partage la Mixité, le Métissage généralisé !

Le déni du péché originel

Au fond la raison pour laquelle ce délire égalitariste n'arrive pas à aimer l'homme réside principalement dans son déni du péché originel. Loin de penser que tous les hommes sont enfermés dans le même penchant au mal, son manichéisme lui fait au contraire discerner, au sein de l'humanité, les purs et les impurs, fossilisés dans leur essence infrangible. Selon lui, il existe une source pure que certains auraient souillée : ceux-là, nos charmants épurateurs se proposent de les identifier, les traquer et pour finir de les ostraciser sans faiblir de l’espace médiatique où ils seront empêchés de nuire plus longtemps.

Quant à cette pureté perdue, seuls les animaux et les plantes l'incarnent à la perfection. C'est chez eux qu'elle s'est réfugiée. Voilà pourquoi il est nécessaire de déboulonner l'homme, son corps dégoûtant, son esprit impur, sa morale douteuse, et de le forcer à partager avec les animaux le rang dont il estimait à tort avoir le privilège.

L'ignorance du péché originel explique en partie la folie nihiliste d'un tel projet de confusion des genres. Son amour déçu des hommes a tourné en mépris et en haine. Et chacun sait la force explosive d'une passion déçue. Comment expliquer autrement l'indifférence rencontrée par la réalité de l'avortement, alors que les cas de maltraitance d'animaux enflamment la Toile et suscitent des réactions disproportionnées ? Bien sûr, il est normal de s'élever contre la cruauté envers les animaux. Même la Bible nous y invite. Cependant il serait temps de rétablir certaines vérités, comme de mettre certains courants écologistes devant leurs contradictions.

Les contradictions des mouvements extrémistes de la cause animale

On ne peut pas en effet refuser les expériences scientifiques sur les souris ou les chiens, et dans le même temps se servir de la technique afin de satisfaire notre besoin d'enfant à tout prix. D'autant plus que nous fermons souvent les yeux sur les conditions dans lesquelles l'industrie agro-alimentaire élève les animaux de grande consommation : poulets, porcs, bovins.

Que nous devenions plus sensibles à la souffrance animale, est un point positif. Cependant nous devrions tout de même appliquer le plus gros de notre compassion au sort réservé aux enfants à naître, auxquels la société refuse le droit élémentaire de voir le jour. Prendre la défense d'un chat sur les réseaux sociaux, et militer pour l'incarcération de la personne qui a publié la vidéo des sévices qu'elle infligeait à l'animal est une chose ; plaider la cause de l'extension de la pratique des soins palliatifs, plutôt qu'approuver la solution expéditive de l'euthanasie envisagée par certains hommes politiques, en est une autre, autrement plus importante.

Notre sensiblerie envers les animaux domestiques ne doit pas en effet nous exonérer de notre devoir d'assistance envers nos frères humains. Les genres n'ont pas fusionné. Un petit chiot n'est pas égal en dignité à un fœtus humain dans le ventre de sa mère, à un handicapé mental ou à une personne en fin de vie. Notre foi chrétienne en l'inaliénable dignité de toute personne humaine nous pousse à témoigner, à temps et à contretemps, qu'un chat ou un chien n'appartiendra jamais au même genre qu'Isabelle ou Pierre, et qu'entre l'espèce animale et la nôtre, il n'existe pas seulement une différence de degré (malgré la proximité de notre génome avec celui des singes bonobos), mais une différence de nature.

 

Jean-Michel Castaing est essayiste. Il vient de faire paraître 48 Objections à la foi chrétienne et 48 réponses qui les réfutent (Salvator).

 

 

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[1] J.-Fr. Mattéi, Le Procès de l'Europe, PUF, 2011, p. 191.