Le Conseil économique et social a été transformé en Conseil économique, social et environnemental (CESE) par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008.

La loi organique qui doit préciser les transformations de composition et de fonctionnement à effectuer dans la foulée n'a pas encore vu le jour ; sans doute est-ce dans la perspective de cette réorganisation que le président de la République a missionné, par lettre du 14 novembre, un des membres de cette Assemblée consultative, Dominique-Jean Chertier, pour faire des propositions, d'une part sur les modalités pratiques de mise en œuvre des missions nouvelles du CES, d'autre part sur la rénovation de sa composition afin de mieux asseoir sa représentativité.

On pourrait s'étonner du fait que cette lettre de mission n'émane pas du Premier ministre, puisque, selon les termes mêmes qu'elle utilise, le Conseil économique et social [curieusement, l'adjectif environnemental ne figure pas dans cette missive] permet d'associer les représentants des principales activités économiques et sociales à la définition de la politique du gouvernement [1] [c'est nous qui soulignons]. Mais cela est assez conforme à la pratique présidentielle qui s'est instaurée en France.

Le rapport Chertier a été remis le 15 janvier, date limite fixée par le président de la République, et il est disponible sur le site de l'Elysée. Il s'en tient strictement au programme fixé par la lettre de mission – et c'est bien là le problème car, nous allons le voir, ce cadre étriqué n'est pas du tout à la hauteur des besoins de la République. Il aurait été autrement plus intéressant de réfléchir à l'absorption par le CESE (ou à la suppression pure et simple) de bon nombre d'instances, parfois irrévérencieusement surnommées comités Théodule , qui encombrent le paysage institutionnel français, et dont la prolifération va bon train.

Cela aurait été d'autant plus normal que Dominique-Jean Chertier avait remis au Premier ministre, le 21 avril 2006, un rapport sur la modernisation du dialogue social où il proposait de restructurer les lieux du dialogue social et responsabiliser les administrations dans le processus de concertation , et pour cela de passer en revue les instances existantes et procéder à la suppression de nombre d'entre elles , de réexaminer l'utilité et la composition des multiples instances existantes pour en réduire drastiquement le nombre.

Création inutile d'un nouveau conseil : un exemple récent
Pour prendre conscience de l'utilité qu'il y aurait à simplifier le patchwork d'instances de concertation, il suffit d'ouvrir le JO du 25 janvier 2009 : un arrêté du ministre de l'Écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire en date du 18 décembre nomme 26 personnalités membres du Conseil économique pour le développement durable. Passons sur le retard – plus d'un mois – avec lequel a lieu cette publication : ce n'est qu'un signe de plus de l'engorgement provoqué par la boulimie législative et réglementaire dont la France est atteinte depuis des décennies, et qui va s'aggravant. Réfléchissons plutôt à ce nouveau Conseil.

Créé par décret n° 2008-1250 du 1er décembre 2008, sa mission consiste à éclairer, par la confrontation des analyses économiques, l'élaboration des politiques du ministère en permettant aux services compétents de s'appuyer sur les références scientifiques, les méthodes d'évaluation et les instruments d'intervention publique les plus récents. Il réalise, à la demande du ministre chargé du développement durable, des études et recherches concernant les perspectives et les enjeux de ces politiques, du point de vue économique et du développement durable.

Ce Conseil s'appuie sur les services de l'administration, notamment le Commissariat général au développement durable qui lui apporte son soutien. Qu'est-ce donc que ce commissariat ? Une structure très étoffée, comportant quatre composantes, dont la direction recherche et innovation, qui regroupe elle-même douze services, y compris un centre de prospective et de veille scientifiques et technologiques . Pourquoi diable rajouter un Conseil à tout cela ? Ne serait-ce pas le rôle des services d'aller chercher l'information auprès des scientifiques, économistes, sociologues, etc., d'en réunir quelques-uns pour recueillir leur point de vue si la nécessité s'en fait sentir, et de s'attacher plus durablement les compétences de certains, sans tomber dans le formalisme d'un Conseil ?

Qu'ensuite il puisse être utile de soumettre aux représentants des partenaires sociaux et associatifs une version abordable de certaines des études réalisées par le Commissariat, nul n'en disconvient. Mais le CESE n'est-il pas fait pour cela ? En le chargeant des questions environnementales, le législateur constitutionnel ne venait-il pas, justement, d'en faire l'instance idoine pour organiser l'information, la confrontation et le débat sur les travaux des experts dans le domaine couvert par les services du ministère de l'Écologie et du développement durable ? Le ministre d'État responsable de cette création n'aurait-il été au courant ni de la réforme constitutionnelle, ni du rapport Chertier de 2006 ?

Cet exemple suggère que la réflexion relative au CESE devrait impérativement prendre en compte la prolifération des conseils, hauts conseils, comités, commissariats, centres, observatoires et autres commissions qui valent à notre pays une réunionite aiguë et une production de rapports et avis absolument pléthorique. Les pouvoirs publics sont évidemment dans l'incapacité de tirer profit de la masse de documents émanant de ces instances. Lesquelles instances, composées souvent de personnalités éminentes mais, pour cette raison, surchargées, ne produisent d'ailleurs pas nécessairement des constats, analyses et propositions d'un intérêt palpitant pour les décideurs.

Un autre exemple d'actualité
Tout récent, le Haut conseil de la famille a pris la succession du Haut conseil de la population et de la famille. Disciple d'Alfred Sauvy, ayant consacré beaucoup de temps et d'énergie aux réalités démographiques et familiales, je ne vais certes pas dire que ce thème n'est pas de toute première importance ! Mais autant il serait vital de développer l'INED pour en faire un centre de recherche sur tous les aspects familiaux aussi bien que démographiques, un institut capable de réaliser des évaluations et des études d'impact et de faisabilité sur toutes les dispositions légales et réglementaires et les projets de réforme concernant les familles, notamment sur les prestations familiales et les retraites, autant un Haut conseil de plus paraît superfétatoire.

Un INED renforcé pourrait soumettre pour avis aux partenaires sociaux et familiaux, dans le cadre du CESE, les études (particulièrement d'ingénierie sociale) qui lui auraient été commandées par les pouvoirs publics. On sortirait ainsi des querelles stériles qui bloquent actuellement le démarrage de ce Haut conseil du fait que l'Union nationale des associations familiales, qui se croit investie d'un monopole de la représentation des familles, et les syndicats, se disputent depuis des mois sur le nombre de leurs représentants respectifs dans cette instance.

Ces querelles dignes de Clochemerle montrent que les instances représentatives des forces vives du pays souffrent trop souvent des mêmes maux que les Conseils politiques (municipaux, généraux, régionaux, etc.) : leurs enceintes fournissent un champ clos où les ego peuvent s'affronter à loisir, qu'il s'agisse de celui de personnes ou de groupes. Le mimétisme institutionnel par rapport aux conseils politiques favorise le mimétisme comportemental des membres de ces instances, incités à se comporter comme des partis et des personnages politiques. Cela ne fait guère avancer le travail utile, à savoir la communication entre les hommes politiques, les experts, les hauts fonctionnaires et les hommes de terrain.

La pléthore de hauts-conseils et autres comités Théodule

Charles de Gaulle lança l'expression comité Théodule lors d'une allocution prononcée à Orange en 1963 : L'essentiel pour moi, ce n'est pas ce que peut penser le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte, c'est ce que veut le pays. J'ai conscience de l'avoir discerné depuis vingt-cinq ans. Je suis résolu, puisque j'en ai encore la force, à continuer encore à le faire. Par la suite, Théodule l'a emporté sur Gustave et Hippolyte.

Ces quelques phrases ne valent peut-être pas condamnation définitive et générale de tous les conseils, hauts-conseils, etc., mais elles nous incitent pour le moins à ne pas les regarder avec la résignation d'un veau (autre figure du vocabulaire gaullien) voyant passer un train. Il faut aimer l'État , comme disait Jean Picq [2], ne signifie pas qu'il faille aimer la prolifération des comités Théodule : on peut, comme le Général, se dévouer à l'un, et considérer qu'il existe parmi les autres nombre de parasites, notamment au sens acoustique du terme : des organismes dont le babillage sature les capacités auditives des citoyens (y compris celles de nos dirigeants) et brouille des messages de plus grande importance.

La multiplicité de ces instances est en effet impressionnante. À l'occasion de la préparation de la loi de finances pour 2007, un document (un jaune ) annexé au projet de loi a dénombré plus de 800 instances consultatives ou délibératives gravitant autour du gouvernement (donc sans compter les instances régionales, départementales et locales) [3]. En voici un tout petit échantillon :

  • Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie ; à l'intégration ; du commissariat aux comptes ; des professions paramédicales ; de la science et de la technologie ; des biotechnologies ; de l'éducation ; de l'école ; de l'éducation artistique et culturelle ; du dialogue social ; etc.
  • Conseil d'orientation des finances publiques ; des retraites ; pour l'emploi ; etc.
  • Conseil supérieur des musiques actuelles (créé le 4 janvier 2006) ; de la fonction publique de l'État ; du service public ferroviaire ; d'hygiène publique de France ; de l'enseignement de l'architecture ; etc.
  • Conseil national de la chirurgie ; des opérations funéraires ; de la recherche scientifique ; français de géographie ; d'évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et technique ; etc.
  • Conseil d'analyse économique ; de la société.
  • Conseil consultatif des personnes handicapées ; des terres australes et antarctiques françaises (mis en place en janvier 2009) ; etc.
  • Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale ; scientifique et culturel de la cité nationale de l'histoire de l'immigration ; de l'hospitalisation ; pour la transparence des statistiques de l'assurance maladie ; etc.
  • Haut comité éducation, économie, emploi ; français pour la défense civile ; pour le logement des personnes défavorisées ; etc.
  • Comité national de l'organisation sanitaire et sociale.
  • Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses de l'assurance maladie.
  • Comité consultatif national d'éthique ; du secteur financier ; etc.
  • Comité de la démographie médicale ; pour l'histoire économique et financière de la France ; de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la cinquième République ; etc.
  • Commission nationale du débat public ; de la formation médicale continue des médecins libéraux ; de la pharmacopée ;consultativedes droits de l'homme ; etc.
  • Commission permanente d'odontologie (créée le 15 octobre 2004) ; consultativedes arts martiaux ; etc.
  • Conférence nationale des services d'incendie et de secours.
  • Observatoire des territoires ; de l'aménagement du territoire européen ; des pratiques commerciales ; nationalde la démographie des professions de santé ; etc.

Et pourtant un élagage a été réalisé en 2004 !
Un nettoyage de printemps dans la bureaucratie française , comme disait le Figaro du 27 mars 2004, a eu lieu il y a presque cinq ans. La Commission d'homologation des pièges, le Conseil national du froid, la Commission nationale du peuplier et la Commission des orgues non protégées ont alors disparu, en compagnie de 344 autres instances analogues. Selon le secrétaire d'État à la réforme de l'État, cela aurait permis d'économiser 3 500 emplois (ou plus exactement 3 500 équivalents temps plein).
Pourquoi s'est-on arrêté en si bonne voie ? Peut-être faute de savoir quoi faire pour les instances dont l'objet n'a rien de désuet ni d'insignifiant.
En ce qui concerne celles-là, par exemple le Conseil d'orientation des retraites ou le Conseil d'orientation des finances publiques, il s'agit d'abord et avant tout d'organiser au mieux la réflexion prospective sur des sujets d'une extrême importance. Il faut donc commencer par se demander si cette réflexion relève davantage, au point de départ, d'une instance rassemblant les partenaires sociaux, ou des services des ministères concernés.
Une forte raison plaide en faveur de la seconde solution : les administrations centrales ne doivent pas être réduites à des fonctions d'exécution ; l'imagination et l'étude des réformes doivent faire partie de leurs missions, faute de quoi elles ont nécessairement tendance à se réfugier dans le traditionalisme administratif, et à bloquer des réformes à la préparation desquelles elles n'ont pas été étroitement associées.
La même préoccupation milite en faveur d'une réduction des cabinets ministériels : la matière grise, la responsabilité, doivent se situer autant que possible dans les directions des ministères – à condition que le ministre reste suffisamment longtemps en place pour embrayer réellement sur les services.
Une occasion à ne pas manquer
Le 8 décembre 2008 – en tant que Lyonnais, ce jour des illuminations me paraît être un heureux symbole – le Premier Ministre a signé à l'intention de ses ministres une circulaire d'une concision exemplaire (30 lignes) relative à la modernisation de la consultation , publiée au JO du 10 décembre. En voici le début :

 

Associer à l'élaboration d'une réforme les acteurs économiques et sociaux est à la fois une marque de bonne santé démocratique et un gage d'efficacité dans la réforme. Notre pays souffre toutefois d'une accumulation et d'une stratification des organismes consultatifs. Moderniser l'organisation de la concertation afin de la soustraire aux pesanteurs du formalisme, combattre son émiettement entre les multiples instances qui se doublent et se chevauchent relève d'une exigence de loyauté envers la société civile. C'est aussi une nécessité pour rendre l'État plus efficace, ainsi que l'a relevé le Conseil de modernisation des politiques publiques. (...)
Je souhaite par conséquent que la pratique de la consultation évolue rapidement et profondément. Je rappelle, à cet égard, que, par application du décret n° 2006-672 du 8 juin 2006, l'ensemble des organismes consultatifs créés par voie réglementaire (c'est-à-dire par décret, arrêté ou circulaire) avant le 9 juin 2006 seront supprimés le 8 juin 2009 à 24 heures.  

Le Premier ministre demande ensuite à ses ministres de lui adresser d'ici la fin du mois de février 2009, un document faisant apparaître comment vous entendez organiser la pratique consultative dans le champ de vos attributions. Il précise :

 

Vous vous garderez d'une approche institutionnelle. Les nouvelles pratiques sociales et les technologies de l'information permettent désormais d'organiser consultations et concertations sans nécessairement recourir à la création d'instances administratives, conseils ou commissions.  De plus, il est demandé à chaque ministre de faire l'inventaire des instances créées par la loi dans son domaine de compétence et d'examiner, dans chaque cas, si leur suppression mérite d'être envisagée.

Il est regrettable que Nicolas Sarkozy, signataire du décret du 8 juin 2006 en tant que ministre d'État, ministre de l'Intérieur, n'ait pas songé, en adressant dans ses nouvelles fonctions une lettre de mission à M. Chertier, à l'opportunité qu'offre la suppression prochaine de nombreuses commissions et conseils, ainsi que le fait de réexaminer l'utilité et le rôle de nombreux autres (ceux créés par la loi) : en recentrant sur le CESE la consultation des acteurs économiques et sociaux , on pourrait faire l'économie de nombreux organismes, et rentabiliser ainsi cette assemblée consultative dont le coût paraît élevé à bien des observateurs au regard des services qu'elle rend à la République.

L'approche typiquement institutionnelle qui est celle de la lettre de mission adressée à Dominique-Jean Chertier offre ainsi avec la circulaire du Premier ministre un contraste assez saisissant. Devrais-je terminer, adorant ce que j'ai brûlé, en réclamant la création d'une instance de concertation entre les deux acteurs les plus importants de notre vie politique, économique et sociale ?

*Jacques Bichot est économiste, membre honoraire du Conseil économique et social.

 

 

[1] La Constitution (articles 69 à 71) met le CESE en relation privilégiée avec le Gouvernement et le Parlement, sans évoquer aucun rapport avec la Présidence de la République.
[2] Titre de son ouvrage paru chez Flammarion en 1995.
[3] Les Echos du 10 octobre 2006. Le rapport Chertier de 2006, publié dans Liaisons sociales du 4 juillet 2006, fait état d'une liste des commissions et instances délibératives placées directement auprès du Premier ministre ou des ministres qui, s'agissant de la loi de finances pour 2006, constituait un tableau de 96 pages.

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