Archi-classique. Telle est l'impression que donne le visage de l'Union européenne à travers ses nouveaux dirigeants. Le cahier des charges a été respecté ; les équilibres minutieux de l'Europe à 29 sont préservés ; les contentements et mécontentements sont équitablement distribués.

Rien à redire sur le quadrille qui s'est joué entre la présidence du Conseil confiée au belge Herman Van Rompuy, la fonction de haut-représentant pour les Affaires étrangères et la Sécurité commune à l'anglaise Catherine Ashton, la présidence de la Commission à laquelle le portugais José-Manuel Barroso avait été déjà reconduit, et la présidence du Parlement à laquelle a été élu au mois de juin le polonais Jerzy Busek. C'est même un chef-d'œuvre :

  • trois chrétiens-démocrates ou assimilés puisqu'ils avaient remporté les dernières élections au Parlement, et un socialiste (mais de la tendance la plus modérée du Labour) ;
  • deux personnalités issues de petits pays, une issue d'un pays moyen et seulement une d'un des grands ;
  • un pays fondateur à la présidence du Conseil, et un de chaque génération d'adhésion (ou presque), y compris un ex-pays de l'Est, au autres postes-clés ;
  • et évidemment une femme au milieu de trois hommes.

Pas de personnalité trop en vue ni trop marquée : une grisaille homogène et de bon aloi.
Pas de grand saut qualitatif
On nous avait vanté le grand saut qualitatif que devaient constituer la présidence stable du Conseil et le haut-représentant pour la PESC : ils étaient censés donner à l'Europe une personnalité plus politique et une plus grande visibilité internationale. N'ont été dupes que ceux qui l'ont bien voulu.
Dès lors que la présidence stable ne l'était pas vraiment puisque son mandat n'est que de deux ans et demi, la moitié de celui de la Commission, et qu'elle ne concerne que le Conseil des chefs d'État et de gouvernement, mais non le Conseil des ministres qui demeure l'instance décisionnelle de droit commun et qui continuera de tourner au rythme semestriel, l'enjeu devenait moindre. Les grands pays en sont-ils réellement mécontents ? Leurs dirigeants n'auront pas de véritable concurrent.
La politique étrangère et de sécurité échoit à une personne sans doute de qualité, mais plus technicienne que politique, peu expérimentée malgré ses fonctions actuelles de commissaire chargé du commerce : ses principaux atouts étaient de combler les trous de l'équilibre nécessaire. Les diplomaties nationales devraient continuer de mener le jeu.
D'aucuns en déduisent que José-Manuel Barroso serait le grand vainqueur de ces arbitrages. C'est oublier que sa crédibilité a été très affaiblie par son inexistence pendant la crise financière et qu'il a fait preuve d'une capacité réduite à s'imposer à ses collègues pendant son premier mandat. On en a encore eu une preuve au cours des dernières semaines où il n'a guère pesé.
Le premier à subir une déconvenue, et elle n'a pas tardé, fut Herman Van Rompuy. Dès sa désignation, il avait affirmé attendre avec impatience le premier coup de fil de Barack Obama ; il a eu droit à un simple communiqué de la Maison Blanche où il était dit que les États-Unis auraient à cœur de travailler avec tout le monde...
Le sacrifice de la Belgique

Voilà pourtant un homme de qualité, chrétien qui n'hésite pas à se ressourcer par des séjours réguliers dans une abbaye, modeste mais ferme dit-on, habile à maintenir un équilibre improbable entre Flamands et Wallons pendant l'année qu'il vient de passer à la tête du gouvernement belge.
Gageons qu'il saura faire fonctionner le Conseil européen de la même façon et y faire émerger les consensus habituels, sans se départir de la prudence et de la mesure nécessaires : c'est d'ailleurs très exactement l'objectif qu'il s'est assigné dans sa première déclaration officielle. N'est-ce pas ainsi qu'il a agi à la tête du gouvernement belge ? N'est-ce pas aussi le signe, involontaire sans doute mais réel, que l'Union européenne souffre finalement du même mal que la Belgique et qu'il lui faut recourir au même médecin ?
Ce faisant, la Belgique court à nouveau le risque de faire les frais de l'Europe. Elle est progressivement dépossédée de sa capitale par les instances communautaires [1] ; elle vient de lui sacrifier son Premier ministre. Comme si, en traversant la rue pour passer d'un palais à un autre, Herman Van Rompuy démontrait à son corps défendant que son propre pays n'avait pas d'autre avenir qu'une dissolution progressive dans l'Union européenne.
Quant au gouvernement du royaume, il va probablement tomber à nouveau entre les mains d'Yves Leterme, le vainqueur des dernières élections à la tête du parti chrétien-populaire flamand. Or celui-ci, au bout de six mois de tentatives infructueuses, n'était pas parvenu à en constituer un à cause de son incapacité à faire marcher ensemble les composantes d'un pays qui ne sait plus très bien quelle est son identité ni quel est son destin.
Bruxelles, nœud de contradictions et pierre d'achoppement : en cela, la Belgique et l'Union européenne ont au moins un point commun.
[1] Cf. François de Lacoste Lareymondie, La question belge au cœur de l'Europe, Libertépolitique.com, 21 novembre 2007.

 

 

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