L'Avent est un temps curieux, pas si facile à comprendre de prime abord. Par un certain côté, il est comme un temps de préparation à Noël, héritier du petit Carême qui, dans beaucoup d'Églises (et longtemps en Occident), s'étendait sur trois semaines avant la Nativité et comportait jeûnes et veilles.

Par un autre côté, il est la fin de l'année liturgique qui ouvre sur l'avenir, après l'évocation des mystères de la vie du Christ et ceux de l'Église.

Notre Avent, c'est un peu tout cela à la fois et l'on se perd en conjectures pour savoir qui a eu l'idée bizarre et géniale de marier les deux, en un temps qui est à la fois temps de pénitence et de joie, de mémoire et d'attente, mêlant ensemble deux venues du Messie, celle de l'Incarnation et celle du Retour glorieux, et nous faisant refaire le parcours de l'Ancien Testament au-delà du Nouveau.

Essayons de comprendre.

Dieu est venu chez nous. En réponse à l'attente multiséculaire d'Israël, Dieu a visité son peuple, le Père nous a envoyé son Fils Unique qui s'est fait vraiment l'un d'entre nous. En lui "habite corporellement toute la plénitude de la divinité" (saint Paul aux Colossiens 2,9), toute espérance est comblée, le ciel a visité la terre, la vie éternelle est déjà commencée. Que pouvons-nous désirer de plus ? Rien en apparence. Et pourtant... le monde est loin de connaître la paix messianique annoncée par les prophètes, Israël comme l'Église souffre persécutions, notre transformation tarde à venir. La nouvelle et définitive Alliance est là, mais elle n'a pas encore porté tous ses fruits, le Règne de Dieu est arrivé, mais il demeure caché.

Le maintien d'un Israël non encore converti, qui campe en dehors de l'Église, est le signe tenace et irritant que les promesses ne se sont pas réalisées sans reste, et qu'il y a encore quelque chose à attendre quand on a déjà tout. L'Avent est là pour nous le rappeler. En nous remettant à l'école des prophètes, nous réapprenons à espérer, à dépasser la ligne de l'horizon pour attendre autre chose qu'un aujourd'hui amélioré.

Les chrétiens ont grand besoin de retrouver cette vérité de l'espérance, une espérance qui ne soit pas seulement individuelle (le paradis à la fin de mes jours) mais large, communautaire, réunissant l'humanité entière et — pourquoi pas ? — le cosmos, une espérance à la fois charnelle et spirituelle qui recueille l'homme tout entier, car ce n'est pas pour rien que Dieu a créé ces visages, ces regards, cette vie qui bat dans nos veines. Notre histoire sur terre n'est pas qu'une illusion, nous y creusons un sillon, qui, certes, doit être purifié, mais qui débouchera en moissons éternelles.

Nous apprenons à y fréquenter un Dieu imprévu, merveilleux, qui n'a pas dit son dernier mot et qui nous surprendra toujours.

Alors, peut-être, nous pourrons revenir vers Noël et recevoir le don de Dieu comme il doit être reçu, non comme un dû, mais comme une grâce, un sourire de Dieu, sur lesquels nous n'avons aucun droit. Nous verrons dans l'Enfant de la Crèche la réalisation cachée, bien cachée, de ces promesses. En lui et autour de lui, le monde est comme visité de l'intérieur par la lumière du ciel, "le bœuf connaît son possesseur et l'âne la crèche de son maître" (Isaïe 1,3), des étrangers mis en mouvement par une étoile viennent s'incliner devant le Messie juif, le cœur des pauvres est consolé par une soudaine lumière qui troue la nuit...

Tout cela est si peu de choses et pourtant tout est là. C'est comme dans l'eucharistie : un peu de pain, quelques gouttes de vin, et le monde est changé en son centre, un foyer rayonnant l'habite. À nous de savoir vivre de ces dons : les avoir sans les posséder (un peu comme une maman "attend" l'enfant qu'elle porte déjà en elle), et d'attendre avec une ardente espérance qu'ils portent tous leurs fruits en nous et pour le monde.

*Le père Michel Gitton est recteur de la basilique Saint-Quiriace de Provins.

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