Si nous ne voulons pas perdre l'Ascension, si nous voulons qu'elle reste une de nos grandes fêtes religieuses, à sa date, et pas reportée pauvrement au dimanche suivant, comme c'est déjà le cas en Italie, un seul conseil : la fêter du mieux que nous pouvons, assister bien sûr à la messe ce jour-là mais aussi - pourquoi pas ? - aux vêpres, mettre encore un gâteau et une bonne bouteille sur la table, s'interdire de travailler à ce qui n'est pas indispensable, pour rester avec les nôtres et leur partager quelque chose de la joie du Christ retrouvant la Maison paternelle.

Pour cela, il faudrait prendre le temps de mesurer l'importance du mystère de l'Ascension dans notre foi. Trois sur quatre de nos prières eucharistiques la mentionnent, à l'égal de la Passion et de la Résurrection, là où la Nativité n'est même pas citée. C'est dire que, pour l'Église, elle est au cœur de l'histoire de notre salut, qu'elle est l'épilogue magnifique de toute la trajectoire de Jésus parmi nous.

Alors pourquoi est-elle si peu prisée des chrétiens d'aujourd'hui ? Les raisons sont complexes : on ne sait plus très bien ce que sont les cieux, et on se méfie d'une sorte de mythologie qui semble bien loin de l'homme d'aujourd'hui, on redoute une évasion hors du sérieux de la condition humaine, on répète que l'Ascension et la Résurrection ne font qu'un et qu'il s'agit seulement d'une mise en scène illustrant la fin des apparitions, etc.

Un coup d'œil au Catéchisme de l'Église catholique nous instruirait utilement sur la question.

Nous y apprendrions, entre autres choses, que "l'Ascension du Christ marque l'entrée définitive de l'humanité de Jésus dans le domaine céleste de Dieu d'où il reviendra (cf. Ac 1,11), mais qui entre-temps le cache aux yeux des hommes (cf. Col 3,3)" (§ 665). Il y a donc là un véritable événement, survenant dans l'histoire de Jésus, au terme des quarante jours qu'il a voulu passer auprès des siens. Un transition qu'il a attendue, désirée même ("si vous m'aimiez, vous seriez dans la joie, puisque je pars vers le Père"), et qui confère à l'être humain qu'il a voulu être une plénitude, un accomplissement inégalés jusque là. Les "cieux" dont il est question ici sont l'image parlante d'une réalité plus haute, plus pleine, qui enveloppe notre condition présente et la dépasse, non pas un au-delà vaporeux et désincarné, mais le monde où Dieu règne effectivement, entouré des saints Anges et qui nous attend.

Nous n'avons pas trop d'une fête comme celle-là pour nous réjouir du bonheur de notre Maître, c'était une chose de l'accompagner jusqu'à la douleur du Golgotha, c'en est une autre, et tout aussi nécessaire, de partager son triomphe. Ne soyons pas des chrétiens moroses, et, sous prétexte que le monde va mal, ne nous croyons pas obligés de méconnaître ce qui seul peut mettre un peu de joie sur la terre : l'époustouflante victoire de l'Homme-Dieu.

Surtout que cette victoire est quelque part la nôtre et nous concerne. Le catéchisme poursuit : "Jésus Christ, tête de l'Église, nous précède dans le Royaume glorieux du Père pour que nous, membres de son corps, vivions dans l'espérance d'être un jour éternellement avec lui" (§ 666). Et il ajoute (§ 667) : "Jésus Christ, étant entré une fois pour toutes dans le sanctuaire du ciel, intercède sans cesse pour nous comme le médiateur qui nous assure en permanence l'effusion de l'Esprit Saint." Le Christ enfoui désormais dans l'amour du Père, caché à nos yeux, parti, invisible, est plus présent que jamais, mais d'une autre façon.

À Marie Madeleine, il avait dit le jour de Pâques "ne me touche pas (ou : ne me retiens pas), je ne suis pas encore monté vers le Père" (Jean 20,17). C'est maintenant qu'il y est remonté que nous pouvons vraiment l'avoir et le toucher par la foi et les sacrements. Ce qui n'était encore que contacts furtifs, gestes de tendresse ébauchés, devient, par ce lien qui nous attache désormais à lui dans l'Esprit Saint, union profonde et durable, mutuelle appartenance dans l'amour : "Demeurez en moi, comme moi en vous."

Fêter cet événement, c'est la moindre des choses...

* Le père Michel Gitton est le recteur de la basilique Saint-Quiriace de Provins.

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