Joël Hautebert : « Soyons solidaires des Français appelés à faire objection de la conscience »

Des Français de plus en plus nombreux vont se retrouver dans l’impossibilité d’exercer en conscience leur métier ou leur fonction, comme celle d’élu. Comment les aider ? C'est l'objet de l'association Objection ! qui vient de naître, avec le soutien de Liberté Politique.

LIBERTE POLITIQUE. — Dans le contexte du vote puis de la promulgation du texte dénaturant le mariage, l’association Objection ! vient de voir le jour. Pourquoi cette initiative ?

JOEL HAUTEBERT. — Si l’on veut être précis, il convient de dire que ce projet d’association n’est pas né au cours de ces derniers mois, mais qu’en revanche les circonstances politiques récentes ont accéléré le processus de création. Au départ, nous avons observé l’isolement de certains professionnels (les pharmaciens par exemple) soumis à des cas de conscience particulièrement compliqués. Il nous est apparu clairement qu’un nombre croissant de professionnels allait se retrouver dans une situation similaire.

Les offensives tous azimuts de l’actuel gouvernement contre la famille, l’identité, la vie, l’éducation et l’école ont confirmé l’intuition initiale. Des Français de plus en plus nombreux vont se retrouver dans l’impossibilité d’exercer convenablement leur métier ou leur fonction (comme celle d’élu). Ils risquent même d’en être purement et simplement exclus et de subir de graves sanctions affectant leurs carrières et leurs familles.

Pour le bien de chacun et pour le bien commun de notre pays, nous prônons l’exercice concret de la solidarité auprès de tous ceux qui font courageusement le choix de la fidélité aux exigences de la conscience et de la justice (les deux sont liées). Cette solidarité doit s’exercer au bénéfice de toute personne, quelle qu’elle soit, placée dans la situation objective que nous venons de mentionner.

Le vote et la promulgation du texte dénaturant le mariage ont bien sûr été l’élément déclencheur. L’extrême gravité du changement de civilisation ouvertement souhaité par le gouvernement exige une réaction immédiate et un soutien massif des réfractaires, officiers d’état-civil, notaires, personnel administratif des mairies, etc.

Encore, une fois, martelons-le s’il le faut, nous ne devons pas rester spectateurs, mais soutenir, et agir comme si nous étions nous-mêmes directement concernés. L’engagement de ces personnes est aussi le nôtre.

Comment comptez-vous agir ?

Nous avons lancé Objection ! parce qu’aujourd’hui le corps social français doit créer des défenses immunitaires contre les agressions causées par la multiplication des lois injustes. Nous sommes en état de légitime défense. Bien évidemment, notre originalité ne réside pas dans la dénonciation des maux dont souffre notre pays, ni dans la nature de ce que nous défendons, constats et principes partagés par beaucoup dont Liberté Politique.

Notre originalité résulte plutôt des modalités d’actions que nous avons choisies, ou si l’on préfère, de l’axe du combat. Aucune structure spécialisée et généraliste ne s’était placée en France sur ce terrain de l’objection, dont il faut bien définir les contours et la portée tant individuelle que politique, alors que les citoyens se sont déjà fermement investis en ce sens dans de nombreux pays.

Nous avons été très heureux de recevoir le soutien immédiat d’un grand nombre d’associations étrangères, européennes (d’Espagne, de Hongrie, de République Tchèque, des Pays-Bas, etc.) et américaines. En France, il importe de créer des synergies afin que les capacités, talents, engagements particuliers des uns et des autres soient démultipliés. Les graves enjeux politiques et moraux du moment présent sont propices à ces soutiens mutuels multiples et variés.

Très concrètement, les actions de soutien envisagées s’appuient parfois sur la collaboration avec d’autres structures existantes, comme Liberté Politique auprès des élus.

Prenons l’exemple de la collaboration prévue avec Alliance Vita, régulièrement interrogée par des praticiens au sujet des difficultés rencontrées dans l’exercice d’une profession de santé. À partir des questions posées, nous allons réaliser une série de fiches pratiques éclairant les professionnels sur les solutions juridiques existantes.

Il existe aussi des groupes plus ou moins informels de professionnels désireux de partager leurs expériences et de trouver des solutions communes pour résoudre leurs difficultés. Objection ! sera à leur service.

Comme vous le voyez à travers ces quelques exemples, l’association s’adresse aux praticiens, auxquels nous espérons apporter une assistance (juridique en particulier) et un soutien puissant et régulier. Cet aspect de notre engagement va rapidement apparaître sur notre site. Nous souhaitons que, dans des cas précis, nos demandes d’aide au profit de personnes en difficulté soient relayées par d’autres associations, sites ou blogs…

En lien avec cette action auprès des praticiens, une information régulière sur toutes les questions relatives au droit (droit français, droits étrangers, droit communautaire et droit international) et à l’actualité sera classée par rubrique professionnelle. Cette information, donnée et analysée, adressée au grand public, facilite la prise de conscience par tous des difficultés rencontrées par les uns et les autres, et de la nécessité de les soutenir, avec tous les moyens d’action accessibles.

Puisque toute action cohérente résulte d’une réflexion, nous souhaitons également proposer au public une analyse poussée sur des thèmes clefs relatifs à l’objection de conscience, en commençant par les plus fondamentaux : qu’est-ce qu’une loi et qu’est-ce que la conscience ?

Le concept d’objection de conscience mérite d’être précisé car, disons-le franchement, opposer la conscience à la loi pose problème. Soit il s’agit d’une vraie loi et dans ce cas l’obéissance lui est due en conscience, soit il s’agit d’une corruption de la loi et dans ce cas les citoyens doivent écouter la voix de la conscience pour suppléer, au nom du bien commun, à l’égarement du législateur. La multiplication des lois injustes et iniques affaiblit le sens de l’autorité, par la faute de ceux qui prennent de telles décisions.

Le sens et la portée tant individuelle que politique du refus légitime d’application de l’injustice méritent une analyse approfondie, et pour y parvenir, des discussions. Qu’est-ce qu’une loi injuste ou inique, et donc qu’est-ce que la justice ? Dans quelle mesure l’illégitimité d’une loi affecte-t-elle le respect et l’obéissance dus aux gouvernants et au régime ? Comment peut-on être bon citoyen tout en refusant de se soumettre à une décision du législateur ? Quelle différence y a-t-il entre l’objection de conscience et la désobéissance civile ? Et bien d’autres questions encore !

Naturellement, nous n’avons nullement la prétention de les résoudre nous-mêmes, tant elles demandent de connaissances, d’expériences et de discernement. Elles sont traitées aujourd’hui par tous ceux qui s’intéressent de près au droit et à la politique. En plus des articles écrits pour notre site, nous reprendrons régulièrement les analyses trouvées sur d’autres, surtout sur les sites des associations amies comme celui de Liberté Politique. Les réponses adéquates, circonstanciées, posées et opportunes à ces questions, d’une pressante voire oppressante actualité, méritent une saine confrontation d’idées.

Vous voyez que nous essayons d’être présents d’un bout à l’autre de la chaîne, de la réflexion théorique à l’action de soutien la plus concrète. C’est ce qui fait l’originalité d’Objection ! qui ne prend donc la place de personne et recherche au contraire le maximum de collaboration.

Quelles sont les principales menaces immédiates qui pèsent sur la liberté de conscience, et que vous avez identifiées ?

Dans l’actualité la plus immédiate, le combat le plus visible va très vite concerner les officiers d’état civil et tous les professionnels touchés par la dénaturation du mariage. Il ne nous appartient pas de prendre des décisions à leur place. En revanche, nous avons l’obligation de soutenir les hommes et les femmes d’honneur qui, écoutant la voix de la conscience, restent fidèles à la justice.

Le printemps des consciences ne se mesure pas à la seule aune des slogans répétés en chœur, mais à la pérennité dans le temps de l’investissement des citoyens. Au cours des mois qui viennent, le gouvernement va très certainement durcir les sanctions prévues contre les réfractaires au changement de civilisation. La mobilisation massive des citoyens peut contrarier cet avenir prévisible.

Aujourd’hui, la radicalité des projets gouvernementaux est telle que la défense de la civilisation demande un effort constant. Lâcher sur un point aura des retentissements sur d’autres. Le rapport étroit entre la théorie du genre et la dénaturation du mariage a été remarquablement démontré. Ajoutons-y le projet de refondation de « l’école républicaine », destiné à prendre en charge dès le plus jeune âge la formation sexuelle et affective des enfants, au détriment de la liberté des parents.

Dans l’un des ouvrages récents, La Révolution française n’est pas terminée, Vincent Peillon écrivait que « l’école a un rôle fondamental, puisque l’école doit dépouiller l’enfant de toutes ses attaches pré-républicaines pour l’élever jusqu’à devenir citoyen. Et c’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école ».

Il faut se préparer d’ores et déjà à agir comme nos voisins espagnols qui, sous le gouvernement Zapatero, ont refusé par dizaines de milliers que leurs enfants suivent les cours d’une « éducation civique » imprégnée d’idéologie. Et quel sort sera réservé aux maîtres refusant de délivrer un tel enseignement ?

Tout se tient, dans ce vaste mouvement de résistance contre ce qu’il faut bien appeler une logique totalitaire de création d’un homme nouveau. L’effet domino qui conduit de la théorie du genre à la dénaturation du mariage ira encore plus loin. Qu’on le veuille ou non, ceux qui sont en première ligne aujourd’hui protègent ceux qui sont appelés à l’être aussi demain. Acte individuel, l’objection est donc bien un acte politique, au nom du bien commun. Ce n’est pas nous qui le souhaitons, ce sont les projets gouvernementaux qui l’imposent.

Pour agir avec efficacité, Objection ! a besoin de vous. En signant notre manifeste, précisez bien votre profession ou dites-nous comment vous pouvez aider les personnes en difficulté par notre intermédiaire. Surtout, n’oubliez pas le nerf de la guerre. En cas de procédure administrative ou judiciaire intentée contre eux, nous souhaitons soutenir financièrement les objecteurs, en prenant en charge les frais du procès.

 

Joël Hautebert est professeur agrégé des facultés de droit, secrétaire général de l’association Objection !

 

 

Adresse du site : www.objectiondelaconscience.org