Jean-Marie Le Méné : "Le CCNE renforce la dérive eugéniste du diagnostic prénatal"

Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu jeudi 25 avril un Avis sur une nouvelle technique de diagnostic prénatal de la trisomie 21 à partir d’une banale prise de sang sur la mère, possible très tôt dans la grossesse. Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme-Lejeune, dénonce un rendez-vous éthique manqué, alors que 90 % des trisomiques sont éliminés après le diagnostic prénatal. "Pour le CCNE, améliorer la technique du diagnostic prénatal généralisé est un moindre mal. Cette lâcheté est insupportable !"

LIBERTE POLITIQUE. — Vous avez été auditionné par le CCNE dans la phase d’élaboration de cet avis. Vous parlez aujourd’hui de « rendez-vous éthique manqué »…

 JEAN-MARIE LE MENE. — Le CCNE valide ni plus ni moins la « modernisation » de l’éradication des trisomiques. Je regrette profondément que le Comité n’ait pas pris la mesure de l’enjeu historique en rendant un avis technique quand il était attendu sur le plan de l’éthique, alors que le bilan de 15 ans de dépistage généralisé de la trisomie 21 est terrifiant.

Comment qualifier de réflexion éthique un texte qui n’envisage même pas la question fondamentale du bien-fondé de l’utilisation des tests et se cantonne à proposer des limites seulement en matière de condition d’utilisation et qui pose comme unique barrière la question de la performance technique et celle du coût ?

Un texte qui fait une différence entre la réflexion concernant la trisomie 21 et celle relative aux autres pathologies génétiquement détectables ? Un texte qui valorise la vie d’un enfant sain (épargné grâce au test non invasif) plus que celle d’un enfant trisomique (inévitablement éliminé) ? Un texte qui se réfugie derrière le dogme du « choix éclairé », à l’origine de l’angoisse puis de la culpabilisation de toutes les femmes enceintes (si l’enfant est atteint, la femme a le « choix » entre éliminer son enfant ou lui imposer la vie avec son handicap) ? L’énumération est longue mais elle pourrait l’être bien davantage !

Pourtant, on sent dans le rapport que votre audition et celle du Dr Henri Bléhaut (directeur de la recherche de la Fondation Jérôme-Lejeune) ont permis de souligner le contexte de stigmatisation à l’égard de la trisomie 21 et le manque criant de financements publics de la recherche en la matière. Pourquoi le Comité ne va-t-il pas plus loin ?

Compte tenu de l’avis favorable donné aux nouveaux tests, je me dis que le CCNE aurait pu faire l’économie de ces quelques lignes relatives à l’accueil et de l’accompagnement des personnes handicapées. Qui peut encore croire que de telles recommandations ont un sens quand elles sont formulées par une autorité morale qui valide un dispositif exprimant la stigmatisation, la discrimination, et le rejet : la négation de la valeur de la vie humaine handicapée ?

En 2007, Didier Sicard, alors président du CCNE alertait avec force et sans ambiguïté sur la dérive eugéniste de la généralisation du dépistage prénatal de la trisomie 21 : « La vérité centrale […] de l’activité de dépistage prénatal vise à la suppression et non au traitement : ainsi ce dépistage renvoie à une perspective terrifiante : celle de l’éradication » (Le Monde, 5 février 2007). Visiblement, ce n’est pas la ligne ni du président actuel, ni du Comité dans son ensemble qui ne suivait déjà pas Didier Sicard à l’époque. Le CCNE part du principe qu’on ne peut pas remettre en cause le dépistage prénatal généralisé qui existe. Pour lui, améliorer la technique de celui-ci est un moindre mal. Cette lâcheté est insupportable !

En somme, vous attendiez une remise en question éthique de la généralisation du dépistage prénatal qui aurait été à contresens de la culture de la transparence et de l’enfant parfait ?

Oui. Cet avis a manqué l’occasion historique de repenser collectivement le bien-fondé d’un système qui conduit à l’éradication, pour raison médicale, de la quasi-totalité d’une population. Curieuse vision postmoderne de la médecine qui élimine, faute de pouvoir soigner. L’Avis du CCNE est d’autant plus paradoxal qu’il justifie ce qui se passe pour la trisomie 21, et redoute fortement ce qui va arriver à l’identique pour les autres pathologies !

L’éradication de plus de 90 % des enfants trisomiques avant leur naissance en France exigeait un autre niveau d’analyse.

En attendant, les firmes fabriquant les tests remercieront le CCNE qui vient de leur dérouler un tapis rouge pour commercialiser leurs produits en France. Marché potentiel : 1 milliard d’euros. « Un mal nécessaire » selon le fabriquant.

 

Pour en savoir plus :
L'avis n° 120 du CCNE
Le site de la Fondation Jérôme-Lejeune

 

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