[ENQUETE SUR LES MEDIAS CHRETIENS] Dans le cadre de notre série d'été, libertepolitique.com rencontre les acteurs de la presse chrétienne et tente avec eux de comprendre le rôle qu'ils jouent dans l'actualité et le débat politique. Comment ces médias voient-ils leurs vocations à l'aube de l'année électorale de 2012 ? Cette semaine, Jean-Luc Mouton, directeur de la publication et de la rédaction de Réforme répond à nos questions.

Sur quelle ligne éditoriale repose votre publication ?

A Réforme nous attachons une grande importance au contexte historique dans lequel a été créé le journal. Ces circonstances définissent parfaitement l'esprit qui nous anime.

Reforme est né en 1945, à la libération, et à été fondé par des personnes qui étaient engagées dans la résistance, non en raison d'une idéologie politique mais à cause des valeurs bibliques. C'est ce même engagement qui continue aujourd'hui de nous guider dans nos choix et la manière dont nous abordons les différents sujets. Aujourd'hui, nous cherchons à comprendre comment nous pouvons nous situer dans l'actualité et prendre position, (faire des choix, discerner, prendre des engagements, etc.) à partir de notre identité de chrétiens de tradition protestante.

Pour nous, il est essentiel avant tout que l'homme soit au centre de la vie économique et politique et que la tolérance et la dignité humaine soient en toutes choses respectées... Nous avons un véritable contrat avec nos lecteurs qui veut qu'au delà de l'écume des jours, nous reprenions seulement l'essentiel en l'analysant à partir de nos valeurs. Nous sommes un journal d'opinions, nous ne faisons pas dans le spectaculaire ou le sordide.

La conséquence directe de ce positionnement fondamental est que nous n'appartenons à aucune famille politique en particulier. Nous ne pouvons pas être partisans sur le plan politique si nos analyses sont avant tout dictées par les valeurs de l'Evangile.

C'est ainsi que Reforme a par exemple été très engagé pour la décolonisation et demeure encore aujourd'hui très actif sur les questions d'immigration. On pourrait donc penser que nous nous rangeons plutôt à gauche sur le plan idéologique. Pourtant, nous défendons également des positions qui n'appartiennent pas forcément à la gauche, notamment à propos de la construction européenne, le souci des équilibres budgétaires, ou l'insistance protestante sur la responsabilité individuelle, contre l'assistance ou le recours systématique à l'État. Nous ne sommes ni jacobin, ni étatiste..., mais très attachés à la notion de subsidiarité, à la décentralisation et aux contre-pouvoirs au plus prés des citoyens.

Comment définiriez-vous votre lectorat ?

Nos lecteurs sont très exigeants. Ce sont des personnes éduquées et diplômées avec un haut niveau d'érudition. Souvent il s'agit de seniors, parfois de retraités qui lisent beaucoup. Ils font énormément circuler le journal et, si nous sommes protestants comme la majorité d'entre eux, une part importante (30 à 40%) est également catholique, ou non chrétienne. Ces derniers sont abonnés à Réforme parce qu'ils apprécient notre approche non partisane et non confessionnelle bien que liée à des valeurs. Nous n'avons aucun parti et ne dépendons en rien des institutions. Nous voulons demeurer libres à l'égard des puissances économiques autant que des puissances spirituelles ou politiques ! Libre à l'égard de tous et de tout, c'est notre marque spirituelle.

Comment abordez-vous le débat politique ?

Nous parlons énormément de politique dans les pages de notre journal. C'est quelque chose qui ne nous fait pas peur, bien au contraire. Notre seule limite est que nous nous interdisons de laisser la parole au Front National dans nos colonnes par choix éditorial en accord et cohérence avec nos valeurs.

Sur ces sujets politiques, nous visons toujours le fond des choses, souvent par le biais de l'éthique. Nous portons une attention toute particulière à ce qui engage l'avenir de notre pays et ce qui touche aux plus faibles. Le quotidien nous importe moins que les conséquences pour demain. Nos sujets prennent souvent la forme de débats car nous ne pensons pas que le domaine politique soit un domaine de vérités absolues. Je dis souvent en utilisant une transcription théologique que c'est le lieu des vérités avant-dernières qui sont de l'ordre du relativisme. Nous acceptons donc volontiers la contradiction et nous considérons que nos papiers politiques sont davantage écrits pour introduire une réflexion que pour asséner une vérité. Pour nous, il n'y a pas de bonne ligne politique. Cela nous permet de montrer également que les choses ne sont jamais simples. A la suite de Ricœur, nous pensons qu'il faut compliquer les débats pour aller au fond. Le débat est un remède à la simplification et aux manipulations !

Vous citez beaucoup vos valeurs chrétiennes, quel est leur apport dans le débat politique ?

Tout d'abord, nos valeurs nous garantissent l'indépendance qui est à l'origine de notre liberté et notre ligne éditoriale. L'appartenance au christianisme nous offre paradoxalement la liberté de n'appartenir à aucune famille de pensée et nous encre dans un système de valeurs construites autour du respect et de la bienveillance. Cela explique notamment pourquoi nous ne dénonçons pas dans notre journal. Même dans nos entretiens avec les politiques, nous cherchons toujours à faire ressortir le meilleur de leurs discours.

Dans la Bible, il est également dit qu'il faut discerner l'esprit des temps. Nous appliquons cette exigence en ayant toujours le souci de décrypter ce qui se passe dans notre monde, en dissociant l'essentiel de l'accessoire. Notre tâche est d'aider les gens à se situer et leur permettre de s'engager s'ils le veulent. C'est notre travail de chrétiens d'aider les gens à comprendre en étant honnête et vrai.

Vous dite vouloir aider les chrétiens à s'engager en politique mais y ont-ils leur place ?

Il est essentiel que les chrétiens s'engagent. Il faut se mettre dans la mêlée ! Nous sommes le levain dans la pâte comme le dit la parabole. C'est une vision protestante : Luther était très sévère vis-à-vis des monastères et des gens qui se retiraient du monde. Pour lui, la vocation du chrétien c'est d'être en plein cœur du monde, de prendre sa part de la vie du monde. Il ne faut donc pas avoir peur de s'engager tout en sachant qu'on sera de mauvais compagnons de route, comme le dit Jean Bauberot. Nous ne sommes pas extrêmement fiables dans les combats politiques et partisans !  Le chrétien peut et doit s'engager totalement mais il n'ira pas au bout de son engagement si ce dernier exige de lui qu'il remette en question les valeurs de justice et d'honnêteté qui régissent la vie chrétienne.

Le chrétien doit donc s'engager dans le monde et la politique tout en étant conscient que l'engagement n'est pas un chemin facile et que son adhésion ne pourra jamais être totale car il devra demeurer vigilent. Il faut aussi savoir dire non !

Comment abordez-vous aujourd'hui les questions relatives aux élections de 2012?

Comme toujours, nous visons dans nos pages le débat d'idées. Nous nous attachons donc au fond et au sens. C'est d'ailleurs de mon point de vue une tendance vers laquelle s'oriente la campagne électorale en général. Les idées sont de plus en plus présentes dans le débat et les déclarations publiques.

Depuis le début du mois de juillet, nous essayons d'interroger les gens qui travaillent sur le long terme, Fondations et think tank. Nous avons par exemple commencé un tour des différentes fondations qui travaillent en politique comme la Fondation pour l'innovation politique, Terra Nova, ou l'entourage de Nicolas Hulot. Nous nous intéressons à leurs perspectives et comment ils voient le monde dans dix ou vingt ans. Cela permet de faire entrer le débat politique dans une dynamique de choix. Des choix politiques, économiques ou institutionnels. L'essentiel étant d'avancer et de construire l'avenir.

Dans la forme, nous nous situons donc au niveau du débat d'idées et proposons à nos lecteurs à la fois des décryptages qui mettent en avant les grands principes du débat public, et des interviews qui permettent aux acteurs et aux leaders de la vie politique de s'adresser directement et personnellement à notre lectorat. Il nous apparaît essentiel aujourd'hui que le débat public soit réellement axé autour de deux projets de société afin qu'une réflexion et des choix en découlent qui construisent réellement la France de demain. Je ne suis pas pessimiste. Nous sommes l'un des pays qui s'intéresse le plus au débat d'idées et c'est notre richesse.

 

Propos recueillis par A.B.

 

 

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