Israël et la responsabilité de l’Occident en Orient

La poudrière de Gaza n'est pas le fruit du hasard. Pourquoi la politique occidentale à l'égard d'Israël est contreproductive. Le retour aux frontières de 1948 est une priorité.

L’ÉTÉ A ÉTÉ TRISTE. Je ne fais pas allusion au temps froid et humide qui a pourri nos vacances mais aux trois explosions de violence par lesquelles la tranquillité du monde vient d’être secouée. De Gaza, Mossoul et Donetsk, nos télévisions nous ont transmis les mêmes images de civils massacrés, de populations fuyant avec terreur et de familles réduites à la misère et à l’errance.

Dans chaque cas, les mêmes questions ont été posées : l’Occident doit-il agir ? A-t-il mis sa puissance au service du retour à la paix ? Comme ces trois conflits n’appelaient pas les mêmes réponses, je limiterai l’analyse qui suit à la bataille de Gaza parce qu’elle a soulevé chez nous le plus de passions antagonistes.

Soutien unanime…

Selon nos dirigeants, l’Occident peut avoir bonne conscience. Le détonateur de l’explosion a été, nous disent-ils, une volée de roquettes lancée par le Hamas sur le territoire d’Israël. Le gouvernement de Jérusalem avait dès lors le droit et même le devoir de riposter à cette provocation.

François Hollande n’a pas manqué d’approuver la contre-attaque annoncée en proclamant qu’il « appartenait » à l’État hébreu de « prendre toutes les mesures pour assurer la sécurité de sa population face aux menaces ». Les autres dirigeants européens se sont exprimés en termes semblables.

Les États-Unis sont allés encore plus loin dans leur soutien en fournissant à l’armée israélienne les armes et les munitions dont elle estimait avoir besoin. L’offensive terrestre, aérienne et maritime qui a suivi, a mis à jour, nous a-t-on affirmé, un danger encore plus grave pour la sécurité de la population juive : des tunnels par lesquels les militants du Hamas s’apprêtaient à franchir la frontière de Gaza. Dieu merci, ils ont été découverts et dynamités.

… et condamnation hypocrite

Il est apparu cependant que la riposte israélienne était d’une brutalité disproportionnée. Elle tuait beaucoup plus de civils sans défense que de « terroristes » du Hamas et détruisait davantage d’immeubles d’habitation que de rampes de tir.

Nos gouvernements n’ont pas manqué de demander à l’état-major de Tsahal que ses bombardements soient plus précis. Ils n’ont pas hésité à dénoncer le caractère « déshonorant » des coups portés contre les écoles et les hôpitaux gérés par les Nations-unies. Et pour mettre une touche finale à leur volonté d’équilibre, ils ont offert de participer aux frais de la reconstruction de Gaza.

J’estime qu’en réalité leur façon d’agir a été biaisée et leur bonne conscience hypocrite.

L’observateur qui s’efforce de prendre du recul par rapport à l’enchaînement des combats récents discerne la partialité d’une politique « occidentale » menée par l’Amérique et suivie plus ou moins passivement par ses alliés européens. Ce n’est pas qu’elle ignore où est la justice mais, au lieu de se mettre à son service, elle aide au maintien d’un rapport de forces inégal.

Un instinct dominateur

Comme chacun sait, l’État d’Israël est né en 1948. Les conditions discutables de son établissement et l’hostilité farouche que lui portaient les Arabes auraient dû le conduire, comme Charles de Gaulle l’avait suggéré en son temps, à une attitude de modestie dans ses relations avec ses voisins. Il a fait le contraire.

La croissance rapide de sa population, l’appui inconditionnel des diasporas européenne et américaine, la vigueur de sa vie économique, sociale et culturelle, l’ont persuadé d’être appelé à un destin exceptionnel. Il s’est senti à l’étroit dans les frontières imposées par les circonstances de ses débuts. Il rêva d’étendre son territoire jusqu’au fleuve Litani, au nord, et au canal de Suez, au sud, et de la Méditerranée au Jourdain.

Une guerre éclair, menée au prétexte de contrer les menaces mortelles pesant sur sa sécurité mais préparée en secret et depuis longtemps avec une supériorité militaire écrasante, lui permit d’atteindre d’un seul coup, sauf au nord, les « frontières idéales » qu’il ambitionnait. Sa victoire foudroyante le convainquit qu’il était, au milieu de populations arabes misérables et ignares, le représentant d’un peuple d’élite. Il devint sûr de lui et dominateur.

 L’Occident, après avoir discrètement fourni les armes qui avaient fait pencher la fortune de la « guerre des Six Jours », acclama le vainqueur, ne lui contesta pas ses conquêtes et abandonna les Arabes à l’amertume de leur cuisante défaite. En cajolant ainsi l’État juif, il prit la lourde responsabilité de le conforter dans sa politique de domination.

Pour l’honneur de la France, seul Charles de Gaulle eut le courage de dénoncer le véritable agresseur et la clairvoyance d’annoncer que la victoire israélienne, loin d’apporter la paix à l’Orient, était le prélude à un régime d’oppression et de répression des résistants arabes, évidemment qualifiés de terroristes par l’occupant, et la cause inévitable de nouveaux conflits. La suite a montré qu’il avait dit la vérité et indiqué la voie d’une paix juste. L’Amérique et l’Europe auraient été bien inspirées de l’écouter.

Les replis de Tsahal

Car les explosions de violence se sont succédé depuis la tentative hégémonique israélienne de 1967 : en 1973, guerre contre l’Égypte et la Syrie ; en 1978, 1982 et 2006, combats dévastateurs au Liban ; depuis 1987, soulèvements répétés en Cisjordanie ; et enfin, en 2008, 2012 et 2014, affrontements sanglants avec les Palestiniens de Gaza.

Peu à peu, les ruines, les morts et le poids excessif des dépenses militaires ont obligé l’État juif à renoncer aux plus hasardeuses de ses conquêtes. Le Sinaï a été évacué le premier, le Sud Liban abandonné ensuite. Gaza a suivi en 2005. La Cisjordanie est passée sous un régime compliqué de liberté partielle. Quant au Golan, les responsables politiques et militaires de Jérusalem admettent à voix basse qu’il faudra bien négocier son sort le jour de faire la paix avec la Syrie.

Au rebours des prédictions les plus tranchées, les replis de Tsahal n’ont pas mis la sécurité nationale en danger quand ils ont consisté à restituer à un État arabe sa souveraineté sur des terres envahies. Le double exemple de l’Égypte et du Liban le prouve.

Alors pourquoi ne pas revenir spontanément à toutes les frontières de 1948 ? Parce que l’instinct dominateur est encore vivant dans les milieux dirigeants d’Israël. Il s’accroche aux territoires de Cisjordanie, qui sont les plus riches et les plus proches parmi tous ceux qui ont été conquis. Des grappes de colonies y préparent sournoisement une annexion. Seuls quelques chefs tardivement lucides, comme Rabin ou Sharon, ont fini par comprendre que le rêve était irréalisable et que leur État ne pourrait subsister sans « sacrifices douloureux » à ses voisins arabes.

Le plus douloureux des sacrifices israéliens sera de renoncer à ses pulsions dominatrices.

Les conditions de la paix

À partir de là, la paix générale deviendra possible. Les modalités en sont bien connues. Elles ont été décrites cent fois par les véritables amis d’Israël, de Charles de Gaulle à Jean-Paul II en passant par des groupes de contact israélo-palestiniens.

D’abord, que chaque État d’Orient reconnaisse tous les autres, ce qui veut dire notamment que l’État juif doit accepter une Palestine souveraine et que les États arabes doivent souscrire à l’existence d’une nation israélienne dans les limites que la communauté internationale lui a fixées en 1948. Cette étape pourra être franchie aisément puisque les Arabes ont fait savoir solennellement, en 2002, qu’il y étaient disposés.

Des négociations s’engageront ensuite entre États voisins, avec le soutien de la communauté internationale, afin de résoudre les problèmes pratiques de vie en commun. Elles rectifieront les frontières mal ajustées, préciseront les droits des minorités, dédommageront les expulsés, répartiront les ressources d’eau et établiront un statut international pour Jérusalem. Alors la sécurité d’Israël, cette hantise nationale qu’aucune guerre, aucune conquête, aucune expédition punitive n’ont jamais pu assurer, sera garantie par ses voisins eux-mêmes avec la contre signature de l’Europe et des États-Unis.

Une population poussée au désespoir

L’Orient en est encore loin. Des deux côtés, un demi-siècle de violences accumulées a fini par corrompre les âmes. Les hommes de bonne volonté se découragent. Les intransigeants prennent le pouvoir. Le conflit menace de prendre un caractère politico-religieux qui interdirait tout espoir de paix.

Les Palestiniens sont tentés par des islamistes de plus en plus sectaires. En Israël, une « droite » qui mêle messianisme spirituel et intolérance temporelle, pèse de plus en plus lourd. À vue humaine, la balance de l’histoire penche dangereusement vers plus de sang et de larmes.

C’est le sort de Gaza qui illustre le plus tristement l’engrenage dans lequel tout l’Orient risque d’être emporté. Nul ne sait plus que faire de cette bande de terre surpeuplée que Tsahal avait triomphalement conquise en 1967. Le gouvernement juif, constatant l’impossibilité de la coloniser et donc de l’annexer, l’a évacuée. Mais à qui en remettre la responsabilité ?

L’Egypte, consciente des charges écrasantes que son administration exigerait, n’en veut pas. L’Autorité palestinienne, soigneusement refoulée dans l’impuissance par son tuteur israélien, est incapable d’y assurer l’ordre. Alors les Arabes de Gaza sont soumis à un régime d’attente interminable. Ils n’ont ni échanges libres avec le reste de l’humanité, ni État reconnu par la communauté internationale. Ils vivent dans une prison à ciel ouvert que l’armée israélienne surveille étroitement.

Faut-il s’étonner que cette population humiliée, comprimée et condamnée, sans avoir commis de faute, à une peine indéfinie de détention collective, se révolte contre son geôlier ? Elle est devenue un danger pour la sécurité de la population d’Israël parce que les dirigeants d’Israël l’ont poussée au désespoir. L’extrémisme politique ne peut rêver de terreau plus favorable.

La lâcheté de l’Occident

Les chancelleries occidentales sont parfaitement informées de tout ce qui vient d’être décrit. Elles ont le pouvoir de faire pencher le fléau de l’histoire vers la paix mais n’y mettent pas la main. Ce qui leur manque c’est le courage.

Dix fois, il aurait suffi que les pays de l’Alliance atlantique menacent, même secrètement, de suspendre leurs livraisons d’armes pour empêcher les expéditions israéliennes les moins justifiables. Jamais elles ne l’ont fait.

Dix fois, il aurait suffi que l’Amérique ou la France dénoncent fermement les atteintes insupportables aux droits de l’homme portées par Israël contre la population de Gaza pour que les portes de sa prison s’entrouvrent. Elles n’ont pas osé. La mauvaise conscience de nos dirigeants s’exprime par des appels timides à un dialogue, qu’ils savent futile, entre dominant et dominés.

La partialité de nos gouvernants ne passe pas inaperçue du monde arabe. Elle y a suscité une indignation qui s’est muée en haine de l’Occident chez les plus jeunes et les plus exaltés. Leur hostilité latente éclate çà et là en mouvements politico-religieux qui nous rejettent violemment, en attentats terroristes dans nos capitales et en persécution des chrétiens orientaux, nos complices supposés.

La dernière bataille de Gaza va déboucher sur un compromis instable entre Israël et le Hamas. Mais les germes de violence ne seront pas éteints, faute de justice véritable pour la population arabe de ce territoire. Ils continueront de fermenter et de se répandre dans tout l’Orient.

Tardivement inquiet des conséquences de sa longue complaisance, l’Occident s’interroge sur ce qu’il doit faire. Il lui faut, tout simplement, mettre sa politique orientale en accord avec les principes universels dont il se réclame. Il n’est pas sûr que nos dirigeants actuels en soient capables.

 

Michel Pinton est ancien député au Parlement européen.

 

 

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