La mort du chef historique des FARC, Manuel Marulanda, relance l'espoir de la libération d'Ingrid Bétancourt. Est-ce devenu aussi simple ? Le portrait de la franco-colombienne par Clément Imbert (Décryptage, 24 avril 20087) a mis en évidence la radicalité de l'engagement de la prisonnière des FARC, à l'origine de la sympathie qu'elle inspire en France.

Mais cette image n'a pas le même retentissement en Colombie. Dans un pays où le patriotisme n'est pas un vain mot, les conditions politiques de la libération d'Ingrid Betancur (comme ont dit là-bas) répondent à des exigences objectives qu'on ne peut ignorer.

AU-DELA DU SYMBOLE — une femme, jeune, victime d'un dévouement sans nuances et de la cruauté du destin —, il faut admettre que l'autorité d'Ingrid Bétancourt a pris plus de poids dans sa captivité que dans les perspectives de son engagement politique. C'est cyniquement l'une des vérités à rappeler alors que le monde s'interroge sur l'attitude de l'État colombien à son égard.

Au moment où elle a été enlevée, le sénateur Ingrid Betancur cherchait à faire un coup médiatique contre l'avis du gouvernement Pastrana qui, consulté à l'avance, avait répondu qu'il serait dans l'impossibilité d'assurer sa sécurité. Ce sont des faits avérés. Rejeter la responsabilité de l'enlèvement sur le gouvernement, et pratiquer un amalgame entre Pastrana et Uribe, quand ce dernier a pris ses fonctions en août 2002, soit six mois après les faits, n'est pas sérieux.

Candidate aux élections présidentielles de 2002, ses chances de victoire étaient pratiquement nulles : Andrès Pastrana — dont elle attaquait le bilan pendant la campagne — n'était pas candidat, puisque la Constitution ne permettait pas à un Président de se faire réélire, et si Ingrid Bétancourt disposait d'une certaine notoriété dans le pays, d'autres candidats (notamment l'actuel Président, Alvaro Uribe) pouvait compter sur une assise électorale bien supérieure.

Otages nombreux, libérations peu probables

Que peut donc faire le gouvernement ? Celui-ci doit faire face à une véritable situation de guerre. Le peuple colombien déplore environ 3000 séquestrés par les FARC, certains depuis plus longtemps qu'Ingrid Bétancourt et ayant occupé des fonctions politiques bien supérieures : anciens ministres, anciens députés et sénateurs... Des parlementaires, un ancien "comisionado de paz" ont laissé leur vie dans la forêt colombienne, assassinés par la guérilla.

Les otages sont souvent abattus dès que l'armée colombienne attaque un campement dans lequel ils se trouvent. En ce cas, il n'est plus question de libération : les prisonniers politiques (anciens ministres, gouverneurs de départements...) sont exécutés par leurs geôliers, sans état d'âme.

Le statut difficile d'"otage international"

Les politiques et diplomates français, associés à sa famille, ont fait d'Ingrid Bétancourt un otage "international". Le gouvernement français, au prix d'opérations diplomatiques parfois un peu acrobatiques, veut montrer qu'il fait ce qui est en son pouvoir pour la faire libérer. Mais pourquoi ne s'occupe-t-il pas de la même manière de tous ses ressortissants ? D'autres Français ont été assassinés ou séquestrés et les familles ne sont l'objet d'aucune attention de la part du gouvernement français, pourtant parfaitement informé. Conscientes de l'importance pour la Colombie de mener et de gagner cette guerre, ces familles se sont faites discrètes.

Les médias relaient abondamment les initiatives publiques ou privées concernant Ingrid Bétancourt. Tout ceci complique sa situation et compromet peut-être sa libération : elle est devenue un otage très précieux. Comment les guérilleros ne comprendraient-ils pas que l'armée colombienne travaille avec une certaine retenue tant qu'ils gardent Ingrid Bétancourt prisonnière quelque part dans l'immensité de la forêt colombienne ?

Uribe, le président de la paix ?

Ingrid Bétancourt est une icône internationale, mais le gouvernement colombien ne peut la traiter différemment des autres otages, sauf à se couper de sa base électorale. Surtout, les autorités ne peuvent pas se donner comme objectif premier à l'égard de la guérilla la libération des otages sans menacer l'unité du pays : pour libérer à coup sûr les prisonniers, il faudrait une partition de la Colombie établie par un accord international (ce que souhaitent les guérilleros). On imagine mal le Président Uribe commettre un acte tellement contraire aux intérêts de son pays.

L'une des grandes plaies de la Colombie est le narcotrafic : cette source d'argent sale a corrompu la politique en finançant la guérilla des FARC, celle des para-militaires... d'où les nombreux scandales dans le financement des élections de députés et sénateurs. Il semble que le Président Uribe ne se soit pas compromis. Ce dernier a compris que quatre années étaient insuffisantes pour relever les défis que la Colombie doit affronter aujourd'hui. C'est pourquoi il a fait modifier la Constitution et autoriser sa réélection : les Colombiens lui en ont su gré qui l'ont réélu avec 75% des suffrages.

En outre, un fait a été établi à la lecture des informations contenues dans l'ordinateur de Raùl Reyes, l'homme des relations extérieures des FARC, tué le 1er mars par l'armée colombienne : les présidents du Vénézuela (Chavez) et de l'Équateur (Correa) se sont transformés en auxiliaires de la guérilla colombienne. En effet, dans leur ambition de développer la "révolution bolivarienne", ils ont trouvé dans les FARC un relais précieux. Alvaro Uribe est sans aucun doute celui qui a les meilleures chances d'empêcher ces admirateurs de Fidel Castro d'aboutir à leurs fins.

Une seule voie s'offre à lui : le chemin de la paix passe par une guerre sans merci contre les ennemis de la patrie.

Pour en savoir plus : ■ Ingrid Bétancourt : C'est cela vivre , par Clément Imbert, Décryptage, 24 avril 2008

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