Le projet de loi Sarkozy relatif à l'immigration et l'intégration suscite un tollé de la part d'associations chrétiennes. Bien qu'il s'agisse d'une option politique très contingente, des prélats le critiquent ouvertement.

Que dit l'Eglise sur le phénomène des migrations ? Voici quelques remarques pour aider à une étude plus systématique des problèmes posés aux Eglises et aux autorités publiques*.

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LES FLUX MIGRATOIRES ont toujours existé et le brassage de populations qu'ils ont entraîné a été souvent bénéfique. Toutes les civilisations sont le fruit d'une symbiose entre des courants culturels différents.

2. L'Europe a été elle-même, au cours de l'histoire, contrée aussi bien d'immigration que d'émigration.

3. Il n'y a pas à s'étonner qu'elle soit à présent terre d'immigration ; elle a elle-même attiré une main d'œuvre étrangère abondante pour soutenir son développement économique et apparaît à des populations qui prennent conscience de leur misère comme un Eldorado.

4. La question des migrations a pris un caractère nouveau en Europe au cours de la seconde moitié du XXe siècle : le nombre des migrants, leur religion (souvent islamique), leurs coutumes étrangères à celles de l'Europe n'ont pas permis leur intégration dans la communauté nationale au rythme régulier qui avait été maintenu jusque là avec des populations cultivées, en majorité d'origine européenne et de souche chrétienne. Seule une frange d'immigrés ayant bénéficié d'une éducation supérieure à l'époque coloniale a trouvé une place dans les sociétés européennes ; il faut constater que la masse de travailleurs non qualifiés vit à part des communautés nationales dans une situation souvent marginale.

Le souci de l'Église pour les migrants

5. De forts mouvements migratoires d'Europe vers les Amériques ont eu lieu dans la seconde moitié du XIXe siècle. L'Église a organisé la migration de populations irlandaises, de même l'association St-Raphaël fut créée en Allemagne (1871) dans un but analogue. On sait par ailleurs que Mgr Scalabrini fonda une congrégation religieuse pour aider les migrants italiens dans leur voyage et au moment de leur intégration dans le pays hôte ; ce faisant, l'Église a répondu à sa mission de témoigner de sa sollicitude pour des populations en difficulté.

 

6. Il n'est donc pas surprenant que l'Église et les différentes Églises locales manifestent aujourd'hui leur préoccupation à l'égard des travailleurs et de leurs familles qui ont migré vers Europe et se trouvent marginalisées. L'Église a toujours eu le souci de dénoncer les causes de telles situations ; ici le manque de main d'œuvre dû à la dénatalité, l'échec de la politique internationale pour assurer le développement de tous les États et de tous les peuples, le manque d'attention de la majorité des populations occidentales à la situation précaire des populations migrantes, etc. Il ne fait pas de doute que l'un des devoirs des Églises locales en Europe est d'attirer l'attention sur la "misère imméritée" (expression de Léon XIII) d'une grande partie des populations immigrées et d'inciter les politiques et les citoyens des démocraties européennes à réfléchir sur les moyens d'y remédier.

Mise en œuvre des exigences morales

7. La mise en œuvre des exigences morales que rappelle l'Église dépend des choix que feront les responsables politiques entre différents types possibles d'action. Le discours de Pie XII aux juristes catholiques italiens en 1953 (6 décembre) évoque la difficulté de cette tâche du fait que nombre de circonstances ne permettent pas de traduire en loi toutes les exigences de la morale.

8. La question des migrations place l'Occident devant un problème très difficile à résoudre car les décisions qui seront prises devront concilier les droits des immigrés à franchir frontières, à pratiquer leur religion comme à garder leurs coutumes et leur langue avec ceux de la majorité de la population du pays hôte. "La France, pour reprendre un propos prêté à Michel Rocard, ne peut accueillir toutes les misères du monde", ce qui implique donc de la part des responsables politiques de réglementer le droit de libre circulation, de fixer les conditions d'installation, etc. Comme le déclarait René Rémond : "Tolérer des privilèges contraires aux lois de la République — telle la polygamie ou l'excision ou l'absence de consentement dans le mariage — la conséquence (en) est qu'il n'y a plus de valeurs. On met tout sur le même plan, la nation et la tribu, la liberté et l'esclavage, l'État de droit et l'état de violence" [1].

9. Un équilibre entre les exigences contraires des immigrés et des populations autochtones est devenu plus difficile à établir aujourd'hui que par le passé du fait que l'éthique sociale contemporaine (un ethically correct) culpabilise ceux qui revendiquent une identité comme croyants, comme membres d'une nation ou se réclamant d'une culture. Comme le disait René Rémond : tout est mis sur le même plan. Mais si toutes les civilisations sont respectables puisqu'elles expriment la manière dont un groupe humain envisage sa destinée, toutes n'ont pas pénétré avec la même acuité le mystère de l'homme.

10. L'affirmation d'une identité n'implique pas l'exclusion de l'autre si chacun se persuade que son expérience de l'humain est perfectible au contact de celle des autres. Les contacts établis au plan humain avec les groupes qui n'ont pas encore atteint ce degré d'ouverture est destiné à faire découvrir aux uns et aux autres qu'un dialogue dans la vérité peut exister entre eux à partir d'une expérience commune. Il sera alors possible de confronter les exigences contraires pour chercher la voie de les concilier en discernant l'essentiel du secondaire dans chaque tradition.

Concilier les droits

11. Il semble, dans la conjoncture actuelle, que les œuvres de charité et d'assistance aux populations étrangères sont à développer (aide matérielle comme le font les caritas diocésaines, assistance pour l'alphabétisation ou d'ordre scolaire pour ceux qui sont dans des conditions défavorables pour leurs études...) ; de telles initiatives permettent un contact au niveau de la satisfaction des besoins essentiels. Elles correspondent pleinement à la mission traditionnelle de l'Église.

10. D'autres requêtes doivent être jugées avec plus de discernement. On ne peut oublier que certains migrants viennent de pays qui n'accordent aucune liberté religieuse aux chrétiens et même les persécutent. Jean-Paul II a demandé plusieurs fois sans succès que la liberté religieuse soit reconnue partout. On peut se trouver ici devant des mentalités qui voient dans des gestes de bienveillance à leur égard une reconnaissance de la supériorité de leur religion et un début d'apostasie. Si la liberté de culte doit être reconnue, elle ne peut l'être dans des circonstances qui conduisent à une telle équivoque.

11. La mission de l'Église, dans le moment présent, semble donc être d'une part de stimuler les initiatives qui permettent un contact d'homme à homme et, d'autre part, d'inciter sans cesse la société civile à examiner d'une manière critique si les relations qu'elle établit avec les populations immigrées concilient les droits des uns et des autres comme l'avenir de la communauté nationale.

* Ces quelques remarques pour aider à une étude plus systématique des problèmes posés par l'immigration ont été rédigées en mars 2001.

Pour en savoir plus :

■ Notre dossier Immigration, ce que dit l'Eglise et le projet de loi Sarkozy

■ L'Instruction Erga migrantes caritas Christi

[1] J.-D. Durand et R. Ladous, Entretien avec René Rémond, Beauchesne 1992 où les pages 57-79 sont consacrées à la présence de l'islam en France.

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