On parle de béatifier beaucoup de monde en ce moment. S'il y a un homme qui a illustré et sublimé le christianisme, c'est bien Léo McCarey, cinéaste bienheureux et oublié.

McCarey a dirigé ou produit 200 films. Comme tous les grands maîtres, il a débuté à l'époque du cinéma muet, où il est devenu l'un des plus grands réalisateurs de films comiques. Il s'est immortalisé en dirigeant un certain nombre de fois Laurel et Hardy.

L'étendue du savoir-faire de McCarey dans le domaine du rire est inégalable : on lui doit, au temps du parlant, le chef d'oeuvre des Marx Brothers, la Soupe au canard, satire de la guerre qui est bien plus qu'une satire de la guerre. McCarey pouvait flirter avec le surréalisme, le nonsense et l'humour celte à la Rabelais. Il était insensé, mais fou de Dieu. Son monument de rire reste pour moi l'Extravagant Mr Ruggles, où l'inoubliable Charles Laughton vient donner, en placide domestique britannique, une leçon de bonne conduite à ses ignares maîtres américains. Le film est irrésistible. Et notre grand homme remet à leur place les sornettes d'Umberto Eco dans le Nom de la rose sur les rapports du catholicisme et du rire.

J'ai dit que McCarey était un bon catholique : ce qui est étonnant, c'est qu'il le montre à l'écran avec une facilité et un succès qui à l'époque ne se démentait pas.

En 1943, il réalise avec Bing Crosby un de ses opus majeurs, la Route semée d'étoiles, qui narre la geste du père O'Malley, bon curé irlandais costaud et talentueux musicien, qui sauve sa paroisse par le chant (on reconnaîtra... le plagiat malsain de Sister Act, réalisé quarante ans plus tard). Le film dégage un immense bonheur et, comme l'écrit le grand Jacques Lourcelles, véritable maître spirituel de la critique contemporaine, une miraculeuse richesse morale .

Mc Carey reprend son Bing Crosby, et une surprenante Ingrid Bergman (excellente aussi dans le bouleversant Europe 51 de Rossellini) pour réaliser les Cloches de Sainte-Marie, qui narre les aventures du père irlandais supervisant le fonctionnement d'une école paroissiale tenue par des sœurs. O'Malley continue de faire le bien en faisant rire. Lourcelles parle d'un sentiment de béatitude à propos de ces films sublimes qui sauveraient bien des gens du désespoir ou de la dépression, si seulement ils étaient... en vente.

Et puis il y a Elle et lui . J'ai découvert il y a moins de dix ans Elle et Lui, grâce à l'hurluberlu de Libération, Louis Skorecki, lui-même disciple du maître Lourcelles (par ailleurs scénariste de l'étonnante Dilettante). Il est impossible de définir ce film infini autrement qu'en ces mots : la rédemption par l'amour. L'immense Deborah Kerr, l'éternel Cary Grant. Deux êtres riches et gâtés par la vie, victimes du people qui déjà ronge le monde comme il le ronge dans les Lettres persanes, apprennent à s'aimer au cours d'une croisière. Ils vont le payer cher, physiquement, financièrement et même affectivement suite à une de ces épreuves que seul le Ciel peut nous envoyer. Puis ils se retrouvent et nous sommes encore une fois plongés dans la béatitude.

De ce film immense, polysémique, humoristique, harmonique, on peut dégager une scène à l'aura médiévale et magique, digne d'une peinture de Fra Angelico ou de Filippo Lippi : celle où Grant – Français dans le film – présente sa grand-mère à Deborah Kerr dans un jardin arthurien à Villefranche-sur-Mer oubliée par le temps et la spéculation immobilière. La vieille dame a une chapelle privée, les invite au recueillement et de là naît leur amour transcendant. Rien n'est comparable à cette scène qu'en immense artiste McCarey accompagne d'une merveilleuse mélodie.

Voilà pourquoi je pense en toute bonne foi, que si l'on devait enfin béatifier un cinéaste, ce devrait être Leo McCarey.

PS. Il faut lire et relire l'opus magnum de M. Lourcelles, Dictionnaire du cinéma - Les films, aux éditions Laffont, collection Bouquins (1999, 1725 p., 31,35 €). Les films de Leo McCarey sont actuellement rediffusés sur TCM et heureusement distribués dans les FNACs.

 

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