Henri Guaino tire la sonnette d'alarme

Source [Le Point] L'ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, alerte sur un État qui, selon lui, n'est plus respecté : « On a beaucoup de politiciens et pas beaucoup d'hommes d'État »

Les samedis se suivent et se ressemblent avec des images désormais familières : des manifestations pacifiques qui dégénèrent, des forces de l'ordre débordées, des magasins saccagés et du mobilier urbain dégradé. L'autorité de l'État est-elle atteinte ? C'est ce que semble penser Henri Guaino. L'ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, ex-député et commissaire général au Plan entre 1995 et 1998 tire la sonnette d'alarme et met en garde contre l'affaiblissement de l'État, notamment en cette période de crise sanitaire, économique et sociale. Tout en expliquant qu'il ne faut pas confondre autorité et autoritarisme. Henri Guaino est l'invité du grand entretien du Point.

 

Le Point : Manifestations violentes, défiance d'une partie de la population, gronde des collectivités locales… Que vous inspire la crise que semble traverser l'État ?

Henri Guaino : Il y a de quoi s'alarmer. Sur fond de crise générale de l'autorité, de toutes les autorités, et de montée de la violence, l'effondrement de l'autorité de l'État serait catastrophique : il ferait tomber l'ultime rempart contre le chaos et la sauvagerie qui menacent nos sociétés. On en est, hélas, pas loin.

L'autorité de l'État est, certes, contestée, mais n'est-il pas exagéré de parler d'un risque d'effondrement ?

Il faut tordre le cou à l'idée que tous les désastres auxquels l'humanité a été confrontée dans le passé ne peuvent plus se reproduire. Après la chute du mur de Berlin, une bonne partie de l'intelligentsia occidentale s'était ralliée à la théorie de la fin de l'histoire par le triomphe planétaire et définitif de la démocratie et du marché. La majorité des élites occidentales en a fait une religion sur laquelle a été bâti le monde d'aujourd'hui. Et quand on regarde l'état du monde actuel, on voit à quel point c'était une idée folle. On a eu la crise financière de 2008 qui ne pouvait plus se reproduire et nous nous sommes arrêtés in extremis au bord du gouffre, on a eu le terrorisme qui ne pouvait pas revenir, on a eu l'explosion de violence des Gilets jaunes qui était impensable, on a eu un type de pandémie, dont les pays les plus développés avaient fini par se croire définitivement à l'abri. Cela ne pouvait plus nous arriver, donc, nous n'y étions pas préparés. Si nous continuons à croire que ce qui est arrivé à toutes les sociétés humaines ne peut plus se produire, nous le payerons très cher. Et ce qui arrive à toutes les sociétés humaines, c'est que lorsque leur malaise est trop grand, leurs divisions trop profondes, elles cherchent instinctivement à reconstituer leur unité dans la violence. C'est l'histoire du bouc émissaire du malheur, de la persécution unanime, de la violence mimétique si bien décrite par René Girard et dont le XXe siècle nous a confirmé qu'elle n'était pas l'apanage des sociétés primitives.

Pourtant, beaucoup se plaignent d'un État trop autoritaire, la France a été rappelée à l'ordre par la haut-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU…

Le remède n'est pas dans l'autoritarisme. C'est une dangereuse illusion de croire que l'autorité se décrète. L'autorité, ce n'est pas quelque chose que l'on impose, c'est quelque chose qui s'impose, c'est la légitimité du commandement reconnue à celui qui l'exerce par ceux sur lesquels elle s'exerce. L'autorité véritable, ce n'est pas celle du chef selon les généraux qui en 1916 envoyaient les poilus à l'abattoir pour rien jusqu'à provoquer les mutineries qui ont bien failli nous faire perdre la guerre. La vraie autorité, c'est celle du chef, selon Lyautey, ou selon de Gaulle dans Le Fil de l'épée. Ou selon le lieutenant Tom Morel, chef du maquis des Glières : « Pour être chef, il faut avoir du prestige, et ce prestige, il faut l'acquérir par la générosité, de l'entraide mutuelle, du dévouement. » L'autoritarisme met en danger l'autorité. On le sent très bien quand on en touche les limites comme dans la gestion de la crise sanitaire. Quand on dit que l'État dispose de la violence légitime, le mot important, c'est « légitime ». C'est fragile, la légitimité. La maintenir, c'est tout l'art de gouverner.

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