“Hannah Arendt” au cinéma : Antigone devant la banalisation du mal

Allez voir un film extraordinairement actuel : “Hannah Arendt” de Margareth von Trotta. Une œuvre qui traite de la banalisation du mal, de sa fonctionnarisation. Ce film est à recouper avec “Le Maître des forges de l’enfer” du cinéaste cambodgien Rithy Panh. Anna Arendt face à Heydrich le chef nazi, Rithy Panh face à Duch le marxiste, analysent les yeux dans les yeux, ces tortionnaires sous un angle anthropologique. Ils bouleversent leurs contemporains car ils révèlent que ni Duch ni Heydrich ne sont des monstres.

EN VOULANT EVITER d’utiliser un adjectif sous copyright, la philosophe juive et l’écrivain khmer découvrent tous deux dans le box des accusés un homme « normal ». Et les deux tortionnaires réclament avec véhémence qu’on reconnaisse leur droit d’avoir été des fonctionnaires appliqués et respectueux de leur hiérarchie.

L’ordre moral

Scène surréaliste, lorsqu’Heydrich rappelle qu’on ne plaisante pas avec un serment qui vous fait une « obligation morale » sous peine de trahir la confiance d’une société ordonnée. Duch dénoncera dans les mêmes termes la désobéissance à l’ordre communiste comme criminel. C’est d’ordre moral !

Tout ceci est d’une actualité impressionnante. Les germes d’une mécanisation du mal, d’une inculturation tranquille de l’odieux, sont déjà non pas proposés par la loi mais imposés par la loi.

La mort médicalement pratiquée d’un enfant dans le sein de sa mère permet d’évaluer combien nous avons intégré la banalisation de l’odieux. Des médecins pratiquent, des enseignants présentent, comme une libération ce que notre pape a dénoncé encore le 15 mai dernier comme un crime insupportable.

Plus anecdotique, Le Figaro révèle qu’après la rafle d’une vingtaine de jeunes sous prétexte que l’un d’entre eux portait le tee-shirt de La Manif pour tous, les CRS s’étaient excusés en disant : « Ce n’est pas contre vous qu’on en a, mais contre les ordres ridicules qu’on nous donne ! » (16 mai).

La loi de la conscience

N’est pas Antigone qui veut ! mais quand l’ordre est idiot on ne l’applique pas ! C’est justement le propre de l’homme d’agir en fonction de sa dignité parce qu’à la différence de l’animal il a une conscience.

Antigone convoque des foules gigantesques pour dénoncer la combinaison de l’absurde d’idéologues déments et de sophistes lâches qui prétendent garantir le droit.

Le soulèvement indigné contre la normalité du mal est descendu dans la rue à Paris ce 26 Mai. C’est la conscience d’un peuple qui est en marche…

 

Yves Meaudre est directeur général des Enfants du Mékong, Grand Prix des droits de l’homme de la République française, chroniqueur à Radio Notre-Dame.

 

 

Aff_hannah-arendt

Hannah Arendt, de Margarethe Von Trotta avec Barbara Sukowa.
 En salle depuis le 24 avril 2013.

1961 - La philosophe juive allemande Hannah Arendt est envoyée à Jérusalem par le New Yorker pour couvrir le procès d'Adolf Eichmann, responsable de la déportation de millions de juifs. Les articles qu'elle publie et sa théorie de "la banalité du mal" déclenchent une controverse sans précédent. Son obstination et l'exigence de sa pensée se heurtent à l'incompréhension de ses proches et provoquent son isolement.
La bande annonce
 

 

Duch-Dvd

Le Maître des forges de l’enfer, de Rithy Panh.
 En DVD hd, disponible sur Amazon.fr

Sous le régime khmer rouge, Kaing Guek Eav, dit Duch, a dirigé la prison M13 pendant quatre ans, avant d'être nommé à la tête du S21, la terrifiante machine à éliminer les opposants au pouvoir en place. Quelques 12.280 Cambodgiens y trouvèrent la mort. En juillet 2010, Duch fut le premier dirigeant khmer à comparaître devant une cour de justice pénale internationale, qui le condamna à 35 ans de prison. Il fit appel du jugement.

 

-