Grâce à Tsipras, la Russie tient l’Union européenne à sa merci

Le voyage en avril à Moscou du Premier ministre grec Alexis Tsipras, ne sera pas le dernier. Un événement considérable à relire sur fond de crise entre Bruxelles et Athènes sur la restructuration de la dette du pays.

Il n'est pas sûr que tout le monde ait mesuré combien l'accession au pouvoir de Syriza à Athènes bouleverse la donne européenne, en particulier à l'égard de la Russie.

Comme on pouvait s'y attendre, la pression de la communauté européenne et sans doute des États-Unis, des milieux économiques et d'une partie de l'opinion grecque sont tels que le jeune premier ministre a renoncé à quitter l'euro [d’où son recours au referendum, Ndlr].

Même si l'équilibre qu'il doit tenir entre le souci de la dette, ses engagements électoraux et les promesses d'aide des organes européens est éminemment fragile, Tsipras peut craindre que s'il en venait à claquer la porte de l'euro, son pays ne soit soumis à un boycott européen et occidental de première grandeur auquel ce qui reste de la Grèce ne survivrait peut-être pas.

La carte russe

Il n'en serait pas de même s'il pouvait, dans ce cas, se retourner vers Moscou et obtenir de ce nouveau partenaire à la fois des marchés, des fournitures et une aide financière. Même si la Russie est affaiblie par les sanctions et surtout la chute des prix du pétrole, elle aurait encore les moyens de porter à bout de bras le frère orthodoxe que constitue la Grèce.

Il n'est pas sûr que cette perspective enchante Poutine mais il tient là un moyen de pression sans précédent à l'égard de l'Union européenne. Il a même, n'hésitons pas à la dire, sur elle pouvoir de vie et de mort. Pourquoi ?

Une entreprise idéologique

Si l'union monétaire européenne était une construction "naturelle", un pays pourrait s'en retirer, surtout un petit pays, sans que cela remette en cause l'équilbre de l'ensemble.

Mais tel n'est pas le cas : l'union monétaire européenne n'est pas une simple coalition d'intérêts comme la politique classique en offre maints exemples. Elle est une entreprise idéologique qui vise bien plus que l'intérêt mutuel : instaurer un monde nouveau dépassant le fait national, prélude à une union politique de tout le continent européen et, qui sait ? de tout l'Occident. La plupart de ceux qui croient en l'euro n'hésitent guère à dire que l'étape suivante pourrait être une fusion de l'euro et du dollar, prélude à une union monétaire mondiale.

Dans une entreprise aussi grandiose, autant que l'était autrefois le socialisme, il n'est pas de retour en arrière possible !

C'est pourquoi la sécession de la petite Grèce suffirait à mettre en péril toute l'entreprise, comme le retrait d'une carte dans un château de cartes fait tomber tout le château.

Le jeu de Poutine

Vladimir Poutine qui a passé sa jeunesse à l'ombre d'un projet eschatologique du même genre, le socialisme soviétique, lequel était marqué du même caractère d'irréversibilité et vulnérable à tout retour en arrière, comprend parfaitement ce mécanisme. Il a été vérifié à partir du moment où Gorbatchev a voulu réformer le système : c'est tout l'édifice qui s'est effondré.

Il ne tiendrait donc qu'à lui, s'il poussait un peu Tsipras, de faire éclater l'euro.

Même s'il ne le fait pas, il dispose désormais d'une carte majeure face à une Union européenne qui continue à l'égard de la Russie les gestes agressifs, comme la relance, dérisoire, par Juncker du projet d'armée européenne, explicitement dirigée contre elle.

Utilisera-t-il cette arme ? Il est probable que Poutine préfèrera, comme d'autres, comme les États-Unis par exemple, tenir à sa merci une Europe affaiblie qu'être directement à l'origine d'une turbulence majeure.

 

Roland Hureaux

 

 

 

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