Quand certains Français ont pris connaissance du Livre blanc sur la défense, version 2008, à la faveur de l'été propice à la lecture, ils ont dû être aussi stupéfaits que moi.

Alors que le document — vraisemblablement influencé par les idées de Francis Fukuyama il y a vingt ans — nous parle d'un monde idyllique, rarement troublé par quelques terroristes et tsunami, nous avons assisté en direct à l'invasion de la Géorgie par la Russie.

Nous oublions trop souvent que la plupart des Russes sont plus proches de Dostoïevski que de Mendeleïev... Surprise, les Russes ont des chars, et ils s'en servent : le Livre blanc n'estimait-il pas que cet engin est à ranger au musée de Saumur ?

En léger différé, ce fut, en Afghanistan, l'accrochage entre les Talibans et l'un de nos régiments. La première impression d'un ancien militaire professionnel, c'est que nos militaires ne disposaient pas de moyens élémentaires : pas d'outils de renseignements adéquats — interprètes parlant le pachtoune, drones, hélicoptères, etc.

pas de chars : rappelons que les chars furent inventés pour protéger les combattants de la ferraille du champs de bataille. Les véhicules de transport dont ils sont aujourd'hui munis sont percés par les mitrailleuses lourdes depuis trente ans ;

pas d'appui : apparemment, il n'y avait ni artillerie, ni génie.Faut-il rappeler que les Britanniques se sont cassés les dents en Afghanistan au XIXe siècle (revoir Kipling), et les Soviétiques au XXe ?

En admettant que les Occidentaux puissent y éviter la défaite, l'Afghanistan ne sera pas une promenade militaire. Vaincre militairement une guérilla, cela exige des effectifs (un soldat pour vingt civils à pacifier),

du temps (huit à dix ans),

des moyens : le Livre blanc semble vouloir nous transformer en chair à canons pour l'Alliance Atlantique. Manifestement, les politiques et l'opinion publique ne sont pas prêts à l'accepter. Il faut d'urgence revoir la question des appuis et de la logistique de notre armée de terre. Quant à l'Est européen, oui, les Russes ont bien joué. Dès l'indépendance du Kosovo, ils avaient annoncé les risques que cet événement pouvait créer au Caucase. Empêtrés en Irak et en Afghanistan, les Occidentaux ne peuvent exercer aucune pression sur Moscou.

Essayons au moins de revoir la réorganisation de notre armée de terre à la lumière des derniers évènements...

* Jean-Germain Salvan est général (2e section), 20 août 2008.

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