GPA : Christiane Taubira est-elle républicaine ?

Dans un documentaire diffusé sur Canal+ mardi 20 octobre, Mme Taubira a relancé le débat sur la PMA en déclarant « légitime » la revendication d'accéder à la PMA pour les couples de femmes. La vague libertaire dont le ministre de la Justice se fait le bras armé au gouvernement s’exerce systématiquement contre le droit des plus faibles, à rebours de la tradition républicaine du respect d’autrui dans les limites fixées par la loi.

SUR TOUS LES TERRAINS, Christiane Taubira épouse les positions les plus à gauche qu'elle peut. Quitte à en épouser aussi les contradictions. Elle déborde même vers les extrêmes de type Mélenchon qui pourtant, lui, n'est pas ministre.

La contradiction de l'extrémisme, surtout en matière sociétale, est la suivante : plus on élargit les droits des uns, plus on leur donne le droit d'abuser des autres.

Il en est ainsi de la gestation pour autrui (GPA) à laquelle Christiane Taubira a ouvert la porte par la circulaire du 25 janvier 2013 qui prescrit de reconnaître la nationalité française à un enfant né à l'étranger dont l'acte de naissance étranger reconnaît un parent français, alors même que ce serait à la suite d'une « convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui ». Le Conseil d'État, jamais en retard d'une dérive idéologique, comme presque toutes les juridictions suprêmes désormais en Occident, a validé cette circulaire.

Dernièrement, le garde des Sceaux a refusé de désavouer la décision du TGI de Nantes qui permet la transcription sur les registres d'état-civil des actes de naissance de trois enfants nés par GPA à l'étranger, pourtant contraire aux engagements du gouvernement, spécialement de M. Valls. Aux ordres, le procureur général de la Cour de cassation, saisie, va dans le même sens.

Un grave abus de faiblesse

La GPA, ouverte aux couples homosexuels dans beaucoup d'États étrangers, en voulant élargir les droits de certains, entraîne ce qu'on peut appeler un abus de faiblesse grave à l'égard d'autres, en permettant de mettre, contre argent, une femme dans une situation à la fois humiliante et potentiellement traumatisante. Elle vend ce qu'elle a de plus intime, l'usage de son utérus, et si d'aventure, ce qui risque fort d'arriver, elle s'attachait à cet enfant qu'elle aura porté de bout en bout, il lui serait arraché.

En outre, comme dans le cas de procréation assistée par un couple de lesbiennes, l'enfant est définitivement condamné à ne pas avoir deux parents de sexe différents. Il ne naîtra pas « égal en droits ».

Cela ne gêne pas, on le sait, le milliardaire Pierre Bergé qui dit récemment avec un insoutenable mépris : « Moi je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? C'est faire un distinguo qui est choquant. »

Dominique Reynié, candidat tête de liste LR-UDI de Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon s'était aussi prononcé en faveur de la GPA. En revanche, des personnalités de gauche et pas n'importe lesquelles : Sylviane Agacinski, José Bové, ont pris position contre.

Le regretté Charb, victime de l'attentat du 7 janvier 2015, avait lui aussi pris une position nette. À la Une de Charlie-Hebdo, il avait publié un dessin définissant la GPA comme « deux parents et une esclave » : on y voyait deux homosexuels blancs et une femme noire en position humiliante. Inutile de dire que ce dessin avait fait scandale dans le landernau où son auteur évoluait.

La logique de l’esclavage

Il y a deux lois Taubira (en attendant la désastreuse réforme de la justice que le garde des Sceaux nous prépare) : d'abord la loi Taubira du 21 mai 2001 qualifiant l'esclavage (mais la traite des Noirs vers l'Amérique seulement, pas les autres traites) comme un crime contre l'humanité ; ensuite la loi du 18 mai 2013 instaurant le mariage homosexuel. La contradiction entre les deux n'est, semble-t-il, pas apparue à l'auteur de ces lois.

Dans la mémoire antillaise, l'homosexualité n'est pas séparable du souvenir des abus de certains planteurs à l'égard de jeunes esclaves mâles, ce qui a amené les députés des Antilles et de la Guyane, droite et gauche confondues, à refuser de voter la loi Taubira. On s'en souvient, elle n'avait pu être déclarée adoptée que par un tout de passe-passe scandaleux : un vote à main levée surprise, sans décompte, sur la seule foi du président (socialiste) du Sénat qui a déclaré dans le brouhaha qu'il y avait une majorité pour le oui, déclaration qui, selon le règlement, aurait pu être contestée par les chefs de groupes de l'opposition mais qui ne l'a pas été. De fait, à cause des Antillais, la loi n'a pas été votée.

« La liberté consiste à pouvoir faire ce qui ne nuit pas à autrui » (article 4 de la Déclaration des droits de l'homme). Or, en toutes choses, il y a un point où l'exercice de la liberté nuit à autrui, même si ce dernier, en position de faiblesse, y consent formellement. Si un certain nombre de citoyens se mettent d'accord pour organiser entre eux des jeux de cirque à l'ancienne avec combat à mort de gladiateurs dument rémunérés et consentants, faudra-t-il l'autoriser au nom de la liberté ?

L'article 4 de la Déclaration du 26 août 1789 poursuit : « Ces bornes [à la liberté] ne peuvent être déterminées que par la Loi », ce que Lacordaire développa de la manière suivante : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »

Il semble que Mme Taubira, comme les partisans de la GPA, et même la plupart des féministes françaises, si vigilantes par ailleurs, n'aient pas conscience de cette limite, s'agissant des femmes que leur pauvreté contraindrait à accepter une convention de gestation pour autrui.

La superstitieuse théorie du genre

Mais il faut bien dire que la reconnaissance, légitimement odieuse à beaucoup, de la GPA, vers laquelle nous allons, se situe, comme l’avaient dit Frigide Barjot et, avec elle, tout le mouvement de La Manif pour tous, dans la rigoureuse logique de la loi Taubira de 2013, qui, non seulement institue un droit au mariage entre personnes du même sexe, mais encore — il suffit de la relire pour le voir — rend officielle la théorie du genre. Une théorie selon laquelle, homme et femme sont interchangeables, fongibles, le sexe physique des uns et des autres étant indifférent aux yeux de la loi (et donc de l'école, de l'ensemble du droit, de la société tout entière). Interdire que des couples unisexe aient recours à des artifices pour avoir, eux aussi, des enfants, serait tenu pour une discrimination entre les couples, contraire à ce principe d'indifférenciation, quelques abus auxquels puissent conduire ces artifices.

On dit que la loi Taubira est désormais intouchable. C'est même l'opinion de presque toute la droite. Elle a pourtant des conséquences inacceptables sur le plan des droits de l'homme et de la femme — auxquelles conduit, on l'a vu, le déroulement inexorable de la logique initiale.

À cette considération morale, on ajoutera cette autre, rarement évoquée, que la théorie du genre sur laquelle repose la loi n'est pas scientifique. Tout se passe comme si avait été votée une loi fondée sur l'astrologie ou le créationnisme. Or, en France, la République a, dès le départ, partie liée avec la science. Il suffit de se reporter aux déclarations de Jules Ferry à ce sujet : c'est parce qu'ils soupçonnaient, à tort ou à raison, l'Église de faire obstacle au progrès scientifique (et donc d'affaiblir la France face à la Prusse !) que les pères de la IIIe République voulurent instaurer la laïcité de l'État.

La théorie du genre n'est pas une superstition religieuse, mais elle est une superstition idéologique, analogue à la théorie de l'hérédité des caractères acquis (fausse) de Lyssenko imposée par Staline.

Elle éclaire une vérité que la vague libertaire occulte : on ne peut pas être à la fois républicain et idéologue. Ce qui fait que Mme Taubira n'est pas républicaine. Quoi qu'en pensent Alain Juppé et Nathalie Kosciusko-Morizet, la loi Taubira est contraire aux principes de la République et pour cette raison doit être abrogée.

 

Roland Hureaux

 

Sur ce sujet :
 GPA : l’escalade entre contradictions et irresponsabilité, par Elizabeth Montfort (LP.com, 05/06/2015)
 « Abrogation » : protéger le mariage après la loi Taubira, Liberté politique n° 66, hiver 2015

 

 

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