France, le sursaut qui vient

Pourquoi est-il lucide de croire à un sursaut français ? Depuis une décennie, les signaux faibles d’un renouveau sont apparus malgré les effondrements économiques successifs. Ces signaux se sont multipliés depuis un an. Ils n’ont pas été forcément perceptibles dans la mesure où nous avons désappris à valoriser les succès qui dépassent le cadre strict du profit économique. Pourtant les signaux qualitatifs ne manquent pas.

À l’évidence, les minorités énergiques et créatrices ont prévenu un effondrement généralisé du pays en décuplant leur productivité tout en réduisant leurs loisirs. Or ces minorités sont disséminées dans l’ensemble du corps social. Elles sont souvent situées à des postes de responsabilité, suffisamment proches du pouvoir pour pouvoir lui fournir une aide technique professionnelle mais suffisamment écartées pour être empêchées d’en saisir les rênes.

Si l’administration a nettement marginalisé les éléments les plus vivants, c’est-à-dire les plus courageux et les plus innovants, une évolution différente s’est faite sentir dans l’entreprise.

Deux stratégies

En effet, face aux difficultés, deux principales stratégies ont été adoptées. D’un côté, certaines entreprises ont été tentées par une attitude défensive. Celle-ci a consisté à limiter les pertes en réduisant les coûts et les investissements. Ces firmes se sont concentrées sur ce qu’elles savaient bien faire, elles ont planifié leurs actions de recherche, standardisé leurs procédures, misé sur les investissements informatiques et capturé leurs abonnés grâce à des formules de forfaits.

À l’inverse, certains entrepreneurs ont adopté une posture offensive : ils ont profité de la crise pour prendre des positions, conquérir des clients, pousser la recherche et le développement et investir dans le long terme. Ces entreprises ont misé sur leur idéal de référence et leurs réseaux afin de résister. Elles n’ont pas hésité à aller à contre-courant, quitte à inventer leur propre modèle.

À l’évidence, les chevauchées hardies ont davantage payé que le repli dans la citadelle. Les entreprises gagnantes ont été mues par des personnalités charismatiques, sachant s’entourer, ayant une vision globale du monde ainsi que de véritables capacités d’anticipation.

Les stratèges qui ont émergé sont à la fois des pacificateurs et des hommes de guerre. Leurs objectifs dépassent de loin l’horizon des crises conjoncturelles, ils sont fixés dans la durée. On ne s’étonnera pas qu’ils soient souvent des artistes capables d’entraîner les imaginations et d’inventer des solutions inédites.

Mais surtout, ces hommes placent le bien commun au dessus de leur intérêt personnel. Les véritables stratèges qui ont émergé sont des altruistes. La force du stratège, c’est en fin de compte sa vision de l’homme et de l’au-delà. Conscientes des chutes de l’homme, les stratégies gagnantes ne font jamais l'économie du sacrifice et à ce titre contrastent avec des mesures technicistes prétendant remédier au mal sans poser de véritables choix.

Discrètes élites

Mais les nouvelles élites qui ont émergé ne se montrent pas. Et comment le pourraient elles ? Au sein de l’appareil d’État, leur talent représente pour l’instant une trop grande menace pour qu’elles assument les responsabilités qui leur reviennent. Elles y préservent des espaces de créativité malgré l’inertie et l’indécision étouffantes.

Au sein de l’entreprise, ces nouvelles élites sont en grandes partie expatriées. Communauté active et aventurière, les Français de l’étranger doivent continuellement puiser dans leur créativité afin de répondre aux défis que présente leur expatriation. Cette stimulation continuelle de leur imagination – outre qu’elle fait d’eux un groupe original et parfois incompris dans leur propre patrie – stimule leur esprit d’entreprise. Aussi n’est-ce pas un hasard si les entreprises viennent régulièrement puiser dans la créativité des cadres expatriés, afin d’y trouver recul et idées nouvelles.

Les élites nouvelles de demain fédèreront les créatifs de l’appareil d’État, réduits au silence et les êtres innovants de l’entreprise, partis chercher fortune à l’étranger face à la stérilisation étatique de l’initiative. Cette alliance est inéluctable. Elle va déboucher sur un sursaut.

Un nouvel humanisme

Celui-ci ne saurait tarder dans la mesure où les renversements politiques sont toujours précédés de victoires intellectuelles. Or le libéralisme libertaire, qui n’a apporté ni la prospérité, ni une plus grande liberté, connaît une défaite retentissante. Il sera supplanté demain par un nouvel humanisme. Celui-ci ne pourra faire l’impasse sur la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Aussi, la première mesure qui devra être prise par la force politique qui prendra la relève, sera de faire un audit de la France. À partir de ce bilan sans concession, pourront être prises les mesures exigeantes qui s’imposent : pour être pleinement réhabilitée la politique devra à nouveau faire des choix, au risque de s’attirer un mécontentement passager. Toutefois, lorsque la survie même du pays est engagée, qui oserait refuser l’effort ?

 

Thomas Flichy de la Neuville est historien. Vient de faire paraître avec Olivier Hanne, L'Endettement ou le Crépuscule des peuples (L’Aube, septembre 2014).

 

 

***