Le Financial Art, création d'avant-garde de la "com" née du concept d'"Art contemporain", ce produit dérivé savamment élaboré en réseau, est en train de connaître le même destin que les autres produits dus à la créativité financière de New York, Shanghai et Londres.

La Première Guerre mondiale avait mis fin au XIXe siècle. Le XXe siècle se termine avec la "Très-Grande-Crise", ce krach financier qui affecte toute la planète. Une époque s'achève, y compris dans l'art...

Signes des temps : morbidité et visions sans espoir
En France on a vu la même année, dans les lieux de prestige et de pouvoir, apparaître des icônes funèbres de la grande catastrophe humaine, intellectuelle et artistique : un squelette à Versailles de quinze mètres de long dans la cour d'honneur ; une accumulation de pierre tombales signée Yann Fabre au Louvre ; deux stèles funéraires de Richard Serra au Grand Palais, des ornements en plastique de Jeff Koons dans la Galerie des Glaces à Versailles. Tandis qu'à Londres, la dernière cote astronomique d'avant l'apocalypse financière se faisait sur un veau plongé dans du formol.
Pour ne pas être en reste, le centre culturel catholique des Bernardins affichait trois visions hantées par la mort : les traces d'une bibliothèque incendiée, un labyrinthe de cristal brisé évoquant la nuit du même nom, et un cimetière de cloches fêlées montrant du doigt les fautes passées de l'Église et sa ruine présente.
Remarquons au passage l'hypocrisie d'une société qui étale le spectacle d'une violence sans espoir dans les hauts lieux de la culture mais interdit, comme c'est le cas en ce moment à Gaza et ailleurs, aux journalistes d'accéder aux champs de bataille avec leurs caméras et appareils de photo. L'AC [1] ne serait-il pas un une entreprise de camouflage de la violence contemporaine en la réduisant à l'état d'œuvre d'art ou plus exactement de concept ?
La cote s'effondre, la critique se libère
Dans ce climat d'apocalypse, vingt ans après la chute du mur de Berlin, survient l'effondrement d'une autre utopie du XXe siècle, celle de Marcel Duchamp : la déclaration verbale crée l'œuvre et sa valeur tout comme le nominalisme appliqué aux finances crée la monnaie, le regardeur fasciné légitime ces pratiques.
Communication et travail en réseau ont remplacé l'archaïque création de chefs d'œuvres et le fonctionnement de la planche à billets. Produits dérivés et cotes de l'AC ont été fabriqués avec les mêmes méthodes, les mêmes réseaux et les mêmes protagonistes.
Leur effondrement simultané, libère les regardeurs de leur fascination. Le réel apparaît, la parole se libère. Les doutes refoulés refont surface. La sensibilité, l'esprit critique, le bon sens honni reprend ses droits. C'est ainsi que l'on voit un peu mieux une critique de ce système, occultée jusque là, elle a l'avantage de répondre aux questions que l'on se pose. L'Internet comble le grand vide critique des médias dominants. Les blogs commentent aujourd'hui l'actualité des marchés financiers et de l'AC, chaque article qui paraît dans les grands médias est passé par eux au crible et démystifié : Débat art contemporain (debat-art-contemporain.blogspot.com), Face à l'Art (face-art-paris.org), D0010 (d0010.org), MDA 2008 (mda2008.blogspot.com), La Peau de l'Ours (lapeaudelours.free.fr), Chroniques Culturelles , Tribune de l'Art (latribunedelart.com), Arts contemporains dissidents (artsdissidents.org), etc. font le travail de décryptage que tout le monde attend. Sous la pression de cette réalité qui apparaît malgré tout, les grands médias sont obligés d'accepter quelques propos non conformistes dans leurs colonnes.
Les théoriciens imperturbables continuent leurs discours
Pourtant, dans les colloques universitaires sur "l'art contemporain" de cet automne à Paris, on a disserté de l'Art et l'Argent , Ethique et Esthétique L'essai d'art , Art et Mécénat [2]. Les maîtres théoriciens de l'AC ignorants sans doute l'ébranlement de la Très Grande Crise nous ont servi la dernière collection de prêt-à-penser comme si rien ne s'était produit.
On assista au défilé annuel des concepts ultra "créatifs" pour rendre l'AC plus arty et plus glamour . On a vu apparaître un abîme entre auditoire et créateurs de concepts . Aucun de ces derniers n'avait songé à faire un rapport entre ces sujets vus par eux comme des concepts et la réalité. Les questions, le moment du débat venu, pleuvaient. Qu'est-ce qui fait la valeur de l'AC ? Quels sont les critères ? Et vous, théoriciens à quoi jouez vous ? Où est la critique de ce qui se passe ? Qui a prévu ? Qui est responsable de quoi ? N'avaient-ils pas toujours professé que l'AC avait pour fonction de questionner, de déstabiliser, de rompre les stériles certitudes ?
...Pour la première fois, après chaque question, on entendit un silence de mort : les maîtres étaient sans voix ! Le pouvoir de déclarer la réalité sans contestation possible leur a échappé soudainement. Ils ne savaient pas encore qu'ils appartiennent au siècle passé.

Toujours l'amour est neuf
L'art comme produit financier dérivé fut l'art officiel de la fin du siècle dernier.
Il connaît aujourd'hui un krach financier. Le chaos et le désordre engendré permet au débat sur l'art, souterrain depuis trois décennies, d'apparaître. La création dans toute sa diversité redeviendra visible tôt ou tard.
Comme tous les matins, l'esprit libre, entrons dans l'atelier et mettons nous à l'œuvre qui attend son accomplissement. Les diverses idéologies totalitaires du siècle passé ont cessé de nous aliéner.

*Aude de Kerros est peintre graveur, auteur de L'Art caché- Les dissidents de l'Art Contemporain (Eyrolles, 2008).

 

 

[1] AC : Acronyme de Art Contemporain, employé par Christine Sourgins dans Les Mirages de l'art contemporain (La Table ronde), qui permet de ne pas le confondre avec tout l'art d'aujourd'hui et met en relief son idéologie.
[2] L'art et l'Argent , séminaire organisé à l'IEP par Laurence Bertrand-Dorléac le 9 octobre 2008 - Art et Mécénat à l'Assemblée Nationale le 13 novembre 2008– L'Essai sur l'Art à I'IEHA le 28 et 29 novembre 2008 – Ethique et Esthétique à la TGB et à l'IEHA le 12 et 13 décembre 2008.

 

 

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