L'excellent article de Tugdual Derville ("Fin de vie, l'arroseur arrosé?", Décryptage, 24 sept.) invite à expliciter plus avant la notion de dignité humaine. Celle-ci est en effet mise en avant dans le rapport de la mission parlementaire présidée par le député Jean Léonetti, dans lequel revient l'expression " droit de mourir dans la dignité ", revendiquée par les tenants de la légalisation de l'euthanasie en France.

Ce concept de dignité est peut-être sur le point de retrouver son sens fondamental alors qu'il n'a cessé d'être brandi de manière si contradictoire qu'il en est devenu inconsistant.

On peut considérer qu'il existe deux usages possibles de cette notion.

Le premier renvoie dans le langage courant à une image de soi dégradée. Faire preuve de dignité, c'est être présentable vis-à-vis des autres. C'est épargner à autrui le spectacle d'une image altérée, que l'on juge comme telle. C'est estimer que son état ne correspond plus à une norme que la société me renvoie et qui pourrait importuner les autres, à commencer par ceux qui me sont le plus proches. Jacques Ricot parle dans ce cas-là de dignité-décence (Dignité et euthanasie, Pleins Feux, 2003). C'est évidement en exploitant ce sens que l'Association pour le Droit de mourir dans la dignité (ADMD) joue pleinement sur la peur, la seule réponse préconisée à l'éventualité d'une dégradation insupportable de son corps étant l'euthanasie. Dans nos sociétés hédonistes et matérialistes, sans aucune perspective transcendante, il suffit que la vie perde son éclat, c'est-à-dire sa dignité-décence pour qu'on se sente le droit de l'éliminer.

Le second sens est celui qui émerge des grandes déclarations internationales contemporaines : c'est le sens ontologique qui tire sa signification de l'humanité même de l'homme. Ainsi dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 : "Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde [...] l'assemblée proclame."

Ce que Jacques Ricot commente ainsi : " La dignité humaine ainsi entendue n'est pas une qualité que nous possédons par nature comme telle caractéristique physique ou psychique, elle n'est pas une détermination de l'être humain, elle est le signe de son intangibilité, renvoyant à la valeur absolue accordée à la personne humaine en sa singularité, valeur inconditionnelle qui jamais ne peut être perdue. Nul n'a le pouvoir de renoncer à sa dignité car elle ne dépend ni de l'idée que l'on se fait de soi-même, ni du regard posé par autrui" (p. 11).

Ainsi le respect de la dignité de la personne est un concept absolu qui ne peut tolérer aucune concession en fonction des appréciations subjectives des uns et des autres. Bref, dans ce sens, l'euthanasie, qui est le meurtre délibéré d'une personne, ou l'acharnement thérapeutique qui éclipse l'acceptation de notre humaine condition devant la mort, sont des actes qui portent atteinte à la dignité essentielle de la personne en fin de vie, quel que soit par ailleurs son état physique.

Si l'expression "droit de mourir dans la dignité" reprise par le ministre de la Santé s'inscrit dans ce cadre sémantique, on peut espérer que le concept de dignité retrouve sa signification principale, celle de l'intangibilité du principe d'humanité. Il nous faudra donc être particulièrement vigilants dans les prochaines semaines pour voir se confirmer cette tendance qui coupe l'herbe sous les pieds de tous les promoteurs de l'euthanasie.

*Pierre-Olivier Arduin est responsable de la formation bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon.

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