Euthanasie

Afin de donner du temps à la concertation et au débat dans le dossier brûlant de la fin de vie, le chef de l’Etat a annoncé cet été la création d’une mission de réflexion dirigée par le professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique. Une initiative qui est loin de nous rassurer.

Alors que de nombreux commentateurs craignaient que l’euthanasie se retrouve dans les tuyaux du Parlement dès la session de rentrée, François Hollande a donc choisi de temporiser en confiant une mission de réflexion au professeur Didier Sicard.

Ancien chef de service de médecine interne à l’hôpital Cochin et ancien président du Comité consultatif national d’éthique de 1999 à 2007, Didier Sicard est considéré par ses pairs comme un « sage ». Spécialiste des questions d’éthique médicale, le professeur Sicard a eu l’occasion de faire preuve de liberté d’esprit, notamment lorsqu’il s’était illustré en dénonçant l’existence d’un eugénisme anténatal en France. Sur la question de l’euthanasie, sa position est plus difficile à cerner. Lui-même reconnaît d’ailleurs ne pas avoir de conviction arrêtée. A la question lui demandant sa position sur la fin de vie, l’éminent professeur répond qu’il n’en a pas de définitive, qu’il se méfie de ses propres convictions, lesquelles ont par ailleurs changé au cours des années[1]. Il faut par ailleurs se souvenir que c’est sous son mandat que le CCNE rendit en 2000 un rapport prônant déjà une « exception d’euthanasie solidaire [2]». N’est-il pas resté sur la même ligne idéologique lorsqu’il redit aujourd’hui qu’ « il n’est pas impossible que dans une situation individuelle totalement insupportable et face à une demande, il puisse être apporté une facilité à mourir [3]» ?

Sursis précaire avant la légalisation de l’euthanasie ?

Quoi qu’il en soit de son avis, le professeur Sicard, jugé consensuel par la gauche dont il est proche, a donc été missionné par François Hollande pour lui remettre des propositions sur une possible évolution de la loi Leonetti au plus tard fin décembre, après quoi le Comité consultatif national d’éthique sera lui-même saisi du dossier. Le processus s’annonce donc particulièrement long avant que le législateur ne s’empare à son tour de la question.

 

Beaucoup se sont réjouis de l’instauration d’un débat que François Hollande a qualifié de « noble et digne [4]». Il est vrai qu’après avoir présenté à l’opinion pendant la campagne électorale la légalisation de l’euthanasie comme inéluctable, la mise en place d’une mission de réflexion donne le sentiment d’avoir obtenu un sursis avant que le pire ne se produise.

Un choix incohérent

Il nous semble toutefois utile de redire ici que tant sur la forme que sur le fond, ce débat est inacceptable. D’un simple point de vue pragmatique, il nous semble complètement incohérent d’envisager une modification de la loi Leonetti alors même que celle-ci est encore largement méconnue d’une frange importante des soignants et de la grande majorité des Français aux dires de toutes les enquêtes dont nous disposons. Le travail des pouvoirs publics devrait donc en priorité se concentrer sur la formation éthique de l’ensemble des étudiants et professionnels de santé ; à ce jour seuls les spécialistes de la médecine palliative et les équipes de réanimation semblent maîtriser les enjeux complexes des décisions en fin de vie. L’accent devrait d’autre part porter sur l’information de nos concitoyens dont l’écrasante majorité ignore encore qu’une loi votée à l’unanimité en 2005 interdit tout acharnement thérapeutique et fait de l’accès aux soins palliatifs et du traitement de la douleur un droit individuel opposable à l’Etat. Ce n’est qu’en encourageant par des mesures concrètes la formation des soignants et la pédagogie en direction de l’opinion publique qu’il sera dans un second temps possible d’évaluer correctement l’application de la loi relative à la fin de vie et éventuellement l’améliorer sur quelques points précis comme le déroulement de la procédure collégiale avant une décision de suspendre un traitement disproportionné, le rôle de la personne de confiance, l’utilité des directives anticipées, etc… La mission dirigée par le professeur Sicard aurait donc dû avoir pour unique objectif de réfléchir sur la façon de mieux faire appliquer la loi, mieux la faire connaître et ce, dans le respect de la dignité des personnes jusqu’à la fin naturelle de leur vie.

Légaliser l’euthanasie, une défaite morale pour celui qui la théorise 

Sur le fond d’autre part, il apparaît essentiel de redire avec Christine Boutin que « débattre de la possibilité pour une société d’approuver le fait qu’une personne est bonne à mourir et de délivrer un permis de tuer ne peut en aucun cas être noble et digne ». Dans une société de droit, nous n’avons pas à débattre pour savoir s’il est légitime de tuer les plus faibles pour abréger leurs souffrances ou supprimer leur handicap. Il y a des principes comme celui du respect de la dignité humaine qui s’impose à tous, qu’on ne peut négocier ou remettre en cause sous peine de rendre caduques les exigences fondamentales sur lesquelles repose la société.

En revanche, après avoir placé le principe hippocratique de bienfaisance au sommet de notre échelle de valeurs, il faut tout faire pour, ensemble, trouver les solutions les plus humaines, les meilleures, à l’égard des plus fragiles. Dans ce cas, il est en effet judicieux de se mettre autour d’une table pour dégager les moyens les plus favorables pour développer un accompagnement solidaire de la fin de vie. Aussi, l’euthanasie d’un malade – ce dernier étant par définition, du fait de sa vulnérabilité, le membre d’une communauté humaine qui a le plus besoin de notre soin, de notre attention, de notre intelligence –, est d’abord une défaite morale pour celui qui la théorise avant même qu’il ne la mette en pratique.

Le tribunal de l’opinion 

Enfin, on nous pardonnera d’être sceptiques sur la procédure prévue pour conduire les travaux de la mission. On nous parle de cinq ou six débats « démocratiques » réunissant des jurys citoyens appelés à se faire leur propre opinion sur la légitimité d’aller plus loin que ce que la loi actuelle permet. L’idée est de demander directement l’avis à des Français tirés au sort pour éviter que « cette mission soit une énième audition d’experts [5]». Mais justement, il nous apparaît regrettable de faire fi des recommandations des spécialistes qui ont depuis presque dix ans largement rejeté toute remise en cause de l’interdit de tuer. Il suffit de consulter les deux volumineux rapports parlementaires de 2004 et 2008 pour se rendre compte qu’exceptés les représentants d’associations militantes ou de loges franc-maçonnes, quasiment pas un juriste, pas un médecin, pas un philosophe sur les dizaines de personnalités entendues, ne s’est prononcé pour une dépénalisation de l’euthanasie dans notre pays. On peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas parce qu’aucun d’entre eux n’a prôné la transgression d’un principe jugé unanimement comme intransgressible qu’on se rabat aujourd’hui vers le tribunal de l’opinion publique pour tenter de passer en force. L’expérience des « conférences citoyennes » mises en place en 2009 dans le cadre des Etats généraux de la bioéthique n’est pas faite non plus pour nous rassurer. Rappelons-nous que les « panels de citoyens » avaient à l’époque préconisé la suppression du principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon, une recommandation dont heureusement le précédent gouvernement n’avait pas tenu compte pour rédiger la nouvelle loi de bioéthique.

La marque de fabrique de nos démocraties postmodernes, c’est le relativisme moral et ce refus de reconnaître le vrai bien conforme à la dignité de l’être humain. Quand les hommes ne savent plus quel bien promouvoir ni quel principe protéger, ils peuvent toujours se doter de procédures compliquées sensées aboutir à un consensus. Faute d’éthique solidement fondée, que reste-t-il en effet sinon des mécanismes procéduriers vus comme le lieu d’émergence du « consensus démocratique »? Lorsque ce consensus est un « consensus dans le mal » comme l’a récemment remarqué Benoît XVI, il s’oppose inévitablement aux exigences fondamentales du bien commun, détruit à petit feu nos sociétés et frappe en premier les plus vulnérables.

[1] Laetitia Clavreul, « Le question de la fin de vie n’appartient pas aux médecins », Entretien avec le professeur Sicard, Le Monde, 18 juillet 2012.

[2] CCNE, « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie », Avis n. 63, 27 janvier 2000.

[3] Ibid.

[4] Pierre Bienvault, « Sur la fin de vie, François Hollande se donne le temps de la concertation », La Croix, 18 juillet 2012.

[5] Coline Garr, « Entretien avec le professeur Didier Sicard », Le Quotidien du Médecin, 20 juillet 2012.