Jeudi 27 octobre 2005. La rumeur d'après laquelle deux adolescents sont morts par électrocution, suite à une interpellation policière, se répand comme une traînée de poudre dans la ville de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), dont les deux-tiers de la population vivent en zone urbaine sensible.

À la tombée de la nuit, des centaines de jeunes gagnent le principal centre commercial de la ville et l'échauffourée commence. Le lendemain matin, il n'est pas besoin d'être prophète pour prédire une extension de l'émeute aux Bosquets de Montfermeil.

En effet, les villes de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil sont contiguës et un "grand ensemble" se situe à la charnière entre ces deux communes : les Bosquets côté Montfermeil et le Haut-Clichy, côté Clichy. Le lendemain soir, vendredi 28, et les cinq nuits suivantes, les Bosquets deviennent donc à leur tour le théâtre de violences, avec de nombreux départs de feu et la dégradation d'équipements publics. Le jet d'une grenade lacrymogène à proximité de l'entrée d'une mosquée du grand ensemble ravive encore la tension.

La suite, tout le monde la connaît. L'émeute se propage aux territoires de presque toutes les villes de la Seine-Saint-Denis, de l'Ile-de-France, puis de province. Les émeutiers changent toutefois de tactique : on passe d'affrontements directs des jeunes avec la police à des attaques par petits groupes très mobiles, parfois cagoulés, au volant de véhicules sans plaques d'immatriculation, contre des équipements publics, mais aussi privés. L'action n'est pas toujours située dans les quartiers réputés les plus chauds. Pas ou peu de revendications de la part des émeutiers, si ce n'est sur le manque de considération à l'égard des jeunes de banlieue ou contre les propos du ministre de l'Intérieur.

Pourquoi une telle éruption de violence ? Spontanée à Clichy, elle prend la forme d'une guérilla quasi-organisée. Il est encore bien tôt pour déceler si derrière ces événements se cachent des réseaux pré-existants, décidés à déstabiliser la société, en se servant habilement d'un mouvement de colère spontané à l'origine.

Ce qui est plus intéressant est de s'interroger sur le terreau sur lequel prospère cette violence. D‘où vient que l'air de la banlieue soit si inflammable ? En particulier à Clichy-Montfermeil, où une simple rumeur peut déclencher une émeute ?

Un territoire classé " politique de la ville "

Plantons le décor, un décor que l'on peut transposer dans de nombreux quartiers de la banlieue parisienne et de certaines villes de France.

Au milieu des années 60, sur commande de promoteurs immobiliers privés, un " grand ensemble " de 3.600 logements est édifié sous la direction d'un élève du Corbusier, sur le plateau de Clichy-sous-Bois/Montfermeil. L'objectif est d'y accueillir des cadres, en quête d'un habitat moderne en bordure de la forêt de Bondy. Une autoroute (A 87) doit rendre le site accessible aux bassins d'emploi de Paris, Roissy et Marne-la-Vallée. Mais le projet d'A 87 est abandonné au profit de la Francilienne. Le site perd brutalement de son attrait. S'y installe une population à revenus de plus en plus faibles, bientôt exclusivement ou presque d'origine étrangère.

Le site du Plateau devient rapidement surpeuplé. Les copropriétaires endettés ne peuvent plus assumer l'entretien des immeubles. La spirale de la dégradation s'enclenche. La vie quotidienne devient de plus en plus difficile. Tous les Français de souche quittent le quartier. Les commerces disparaissent. L'enclavement géographique persistant du quartier, ni desservi par RER ni par autoroute, entretient la coupure de la population, déjà très faiblement qualifiée, avec le marché du travail. Le taux de chômage du quartier dépasse ainsi les 35 %. Ce cumul de fragilités rend le grand ensemble explosif dès les années 80, avec des actes de délinquance quotidiens.

C'est donc tout naturellement que le territoire entre dans la politique de la ville, qui s'ébauche à la fin des années 80 à l'échelle nationale, pour traiter simultanément les facteurs d'exclusion urbaine et sociale des quartiers en difficultés. Le territoire de Clichy-Montfermeil bénéficie ainsi de tous les dispositifs créés : Développement social des quartiers (1989-1993), Contrat de ville (depuis 1994), Grand projet urbain (1996), Zone franche urbaine et fonds structurels européens (à partir de 1997) et à présent le dispositif de rénovation urbaine mis en place par M. Borloo.

Les fonds publics ainsi mobilisés, en provenance de l'État, la Région, le Département et l'Union européenne, servent à soutenir les projets des associations, très nombreuses à s'installer sur le grand ensemble à partir des années 90, ainsi que les projets municipaux de Montfermeil et de Clichy-sous-Bois en direction des habitants du quartier. Ils servent aussi à financer des opérations d'urbanisme au moyen de démolitions/reconstructions/ réhabilitations des immeubles du grand ensemble.

Tous ces dispositifs servent-ils à quelque chose ? Difficile de répondre. Il est évident que la plupart des problèmes du grand ensemble dépassent le cadre du quartier. Ce n'est pas la politique de la ville qui peut traiter le problème du chômage, du logement, et des transports, premiers facteurs d'exclusion des habitants des cités. Toutefois, une marge d'action existe à l'échelle locale, par définition proche des habitants.

Armée des moyens de la politique de la ville, une collectivité locale peut agir en faveur de ce qu'on appelle assez pompeusement le " lien social " et qui s'apparente en fait, lorsque le public en question est très majoritairement d'origine étrangère, à une politique d'intégration dans la société française.

C'est pourquoi l'accent est mis de plus en plus à Montfermeil sur la médiation sociale entre familles et institutions, parents et écoles, jeunes et policiers, des projets éducatifs pour l'apprentissage des règles de vie en société, l'autonomisation des femmes dont la plupart sont musulmanes, des cours d'alphabétisation, puis de français à plusieurs niveaux et la connaissance de la culture française. Les villes de Clichy et de Montfermeil se sont également lancées pour les cinq ans à venir dans un projet de rénovation urbaine de 460 millions d'euros – le plus cher de France – destiné à modifier radicalement la physionomie du grand ensemble.

Un travail de très longue haleine, en somme, dont l'impact sur les habitants est souvent peu quantifiable et qu'une flambée soudaine de violence peut occulter totalement. Il n'empêche que si tous ces efforts au quotidien sont encore insuffisants, ils restent absolument nécessaires.

> Le site de la ville de Montfermeil

> D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à Décryptage

>