Dans le cadre des transplantations d'organes, la règle éthique fondamentale est que les organes vitaux soient prélevés ex cadavere, c'est-à-dire à partir du corps d'une personne dont la mort est avérée. C'est ce que l'on appelle la règle du donneur mort ou dead donor rule. Passer outre est moralement inadmissible. Il est donc impératif que le décès soit dûment constaté. Comment définir médicalement la mort d'une personne ?

Sur ce point, Jean Paul II a demandé à la communauté scientifique et médicale internationale de viser une certitude morale considérée comme la base nécessaire et suffisante pour agir de façon éthiquement correcte. Ce n'est que lorsque cette certitude existe, et que le donneur – ou son représentant légitime – a, en connaissance de cause exprimé son accord, qu'il est moralement admissible d'initier les procédures techniques nécessaires au prélèvement d'organes destinés à la transplantation [1] .
Benoît XVI a également insisté sur la notion de certitude en l'absence de laquelle doit primer le principe de précaution :

Ces dernières années, la science a réalisé de nouveaux progrès dans l'établissement de la mort du patient. Il est donc bon que les résultats obtenus reçoivent le consentement de toute la communauté scientifique, afin de favoriser la recherche de solutions qui donnent une certitude à tous. Dans un contexte comme celui-ci, en effet, il ne peut y avoir le moindre soupçon d'arbitraire et le principe de précaution doit prévaloir là où l'on n'est encore arrivé à aucune certitude [2].

Mort clinique et mort biologique
Il s'agit d'abord d'opérer une distinction précieuse entre d'une part, la mort de la personne ou mort clinique déterminée à partir de critères médicaux diagnostiques précis et par ailleurs, la mort biologique des organes ou tissus qui la composent. Il existe en effet un décalage chronologique entre la mort de l'organisme et les mécanismes de nécrose des organes sur lequel se fonde le concept même de médecine de transplantation.
Quand peut-on considérer avec certitude qu'une personne est morte ? Jean Paul II a fourni une réponse extrêmement intéressante à cette interrogation :

La mort d'une personne est un événement unique qui consiste en la désintégration totale de cet ensemble unitaire et intégré qu'est la personne. Elle résulte de la séparation du principe de vie (ou âme) de la réalité corporelle de la personne. La mort de la personne, selon cette signification fondamentale, est un événement qu'aucune technique scientifique ou empirique ne peut directement identifier (Ibid.).

La mort signifie cette rupture se produisant lorsque le principe spirituel qui assure l'unité de l'être humain ne peut plus exercer ses fonctions sur et dans l'organisme, dont les éléments, laissés à eux-mêmes, se dissocient et vont progressivement se décomposer [2].
La science médicale serait-elle donc impuissante à nous aider à résoudre la question ? Pas du tout, explique Jean Paul II, car l'expérience humaine montre que lorsque la mort survient, certains signes biologiques suivent inévitablement, signes que la médecine a appris à reconnaître avec de plus en plus de précision. En ce sens, les critères permettant de constater la mort et qui sont utilisés par la médecine aujourd'hui ne devraient pas être compris comme la détermination technique et scientifique du moment exact de la mort d'une personne, mais comme un moyen scientifique solide d'identifier les signes biologiques qui montrent qu'une personne est effectivement morte (Ibid.).
Le critère neurologique
La définition médicale de la mort a longtemps été uniquement liée à la fin de l'activité cardiaque et respiratoire. L'arrêt des battements cardiaques et de la respiration, ou critère cardio-respiratoire, est en effet le moyen diagnostique le plus aisé à observer. L'absence de circulation sanguine conduit à un arrêt total de l'oxygénation des différents tissus de l'organisme, signe du début de leur destruction biologique. Le premier ensemble cellulaire qui se nécrose est le système nerveux qui subit des dommages irréparables après quelques minutes de manque d'oxygène.
Comme l'explique le professeur Pablo Requena Meana, le rôle régulateur de ce système est tel que sa perte rend impossible le maintien de l'intégration propre de l'organisme comme un tout [3] . La persistance de la cessation définitive de l'oxygénation conduira par la suite à la nécrose de l'ensemble des tissus qui composaient l'organisme.
La mort cardio-respiratoire basée sur des critères hémodynamiques a représenté pendant des siècles le critère standard pour déclarer qu'une personne avait cessé de vivre. Or, à la fin des années cinquante, les progrès de la réanimation médicale vont susciter l'élaboration d'un second critère dit neurologique pour affirmer l'état de mort d'un individu. Deux médecins français, les professeurs Maurice Goulon et Pierre Mollaret, décrivent l'existence de personnes qui ne présentent plus aucune activité neurologique mais dont la fonction cardiaque peut être artificiellement maintenue plus ou moins longtemps grâce à la mise en place d'une respiration mécanique assistée. Chose jamais vue, une personne peut être morte alors que son cœur continue de battre !
En 1959, ils dévoilent leurs observations lors de la 23e réunion internationale de neurologie, puis publient une étude reprenant leurs résultats qui fera le tour du monde [4]. Le contexte est exclusivement au départ celui des soins de réanimation intensive bien avant toute considération sur les transplantations d'organes. Le nouveau critère de constatation de la mort n'est donc en aucun cas une invention de personnes peu scrupuleuses prêtes à tout pour prélever davantage d'organes.
Il est toutefois vrai que cette nouvelle définition de la mort tombe à pic en raison des progrès très rapides de la chirurgie de transplantation et l'acquisition de la compréhension des mécanismes de rejet des greffons. En effet, les sujets en état de mort encéphalique sont dits à cœur battant ou heart beating donors, possédant donc des organes d'excellente qualité ne se détériorant pas du fait du maintien de la perfusion de sang oxygéné. À partir de cette époque, les donneurs d'organes seront quasiment exclusivement des personnes placées sous ventilation artificielle et déclarées décédées sur critères neurologiques.
Un changement de paradigme
Le changement de paradigme sera entériné avec la publication le 5 août 1968 dans le Journal of American Medical Association du rapport du comité d'éthique de la Harvard Medical School, dit Rapport de Harvard, reconnaissant le constat de la mort basée sur la cessation des fonctions encéphaliques [5]. C'est la même année qu'en France la circulaire ministérielle du 24 avril 1968, anticipant de près de trente ans le décret établissant les critères de mort encéphalique, précise qu'il faut, pour certifier la mort de la personne, reconnaître le caractère destructeur et irrémédiable des altérations du système nerveux dans son ensemble . Le décret du 2 décembre 1996 relatif au constat de la mort préalable au prélèvement d'organes, de tissus et de cellules fera figurer cette définition neurologique de la mort dans le Code de la santé publique.
En contexte de médecine de réanimation, l'article R. 1232-2 dispose que si la personne, dont le décès est constaté cliniquement, est assistée par ventilation mécanique et conserve une fonction hémodynamique, l'absence de ventilation est vérifiée par une épreuve d'hypercapnie. De plus, en complément des trois critères cliniques mentionnés à l'article R. 1232-1, il est recouru pour attester du caractère irréversible de la destruction encéphalique :

1/ Soit à deux électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués un intervalle minimal de 4 heures, réalisés avec amplification maximale sur une durée d'enregistrement de 30 minutes et dont le résultat est immédiatement consigné par le médecin qui en fait l'interprétation ;
2/ Soit à une angiographie objectivant l'arrêt de la circulation encéphalique et dont le résultat est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait l'interprétation .

Si l'Académie pontificale des sciences a reconnu à deux reprises, en 1985 et 1989, la validité des critères neurologiques pour attester la mort de la personne, il appartient à Jean Paul II d'avoir précisé la position de l'Église sur l'acceptation éthique de la mort encéphalique :

Chacun sait que, depuis quelques temps, certaines approches scientifiques relatives au constat de la mort ont mis l'accent sur ce qu'on appelle le critère "neurologique" plutôt que sur les signes cardio-respiratoires traditionnels. Cela consiste en fait à établir, selon des paramètres clairement déterminés et reconnus par la communauté scientifique internationale, la cessation complète et irréversible de toute activité cérébrale (dans le cerveau, le cervelet et le tronc cérébral).
C'est alors, dit-on, le signe que l'organisme a perdu sa capacité d'intégration. En ce qui concerne les paramètres utilisés aujourd'hui pour établir la mort avec certitude – qu'il s'agisse des signes "encéphaliques" ou des signes cardio-respiratoires plus traditionnels – l'Église ne prend pas de décisions techniques. Elle se limite au devoir évangélique qui consiste à comparer les données proposées par les sciences médicales avec la conception chrétienne de l'unité de la personne, en relevant les similitudes et les conflits éventuels qui risqueraient de mettre en danger le respect de la dignité humaine.
On peut dire ici que le critère récemment adopté pour établir avec certitude la mort, c'est-à-dire la cessation complète et irréversible de toute activité cérébrale, s'il est rigoureusement appliqué, ne semble pas être en conflit avec les éléments essentiels d'une anthropologie sérieuse. La personne responsable, en milieu médical, d'établir le moment de la mort peut donc se fonder au cas par cas sur ces critères pour atteindre ce degré d'assurance dans le jugement éthique que la doctrine morale qualifie de certitude morale (Ibid.).

Destruction totale et irréversible
Les noyaux profonds du tronc cérébral unifiant les grandes fonctions de l'organisme, il est important de bien saisir que seule la destruction totale et irréversible de l'encéphale dans son ensemble — et non seulement celle du cortex cérébral supérieur — autorise à certifier que la personne est bien décédée. Ce n'est qu'après un tel constat qu'il est légitime, tout en s'assurant de l'existence du consentement du défunt ou de celui de ses proches, de procéder au prélèvement d'organes qui ne continuent à être fonctionnels que parce qu'ils sont irrigués momentanément grâce aux appareils de suppléance.
C'est l'introduction des techniques de réanimation qui permet d'assurer la respiration et la circulation forcées du sang pendant un certain temps : mais si entre-temps il y a eu dégénération irréversible des centres supérieurs, qui se traduit de manière définitive par la cessation de l'activité électrique corticale et la disparition des autres signes d'activité encéphalique, la vie humaine ne peut être réactivée, même si une certaine activité biologique peut perdurer sous l'impulsion des appareils , ainsi que l'expose Mgr Elio Sgreccia, ancien président de l'Académie pontificale pour la Vie, dans son fameux Manuel de bioéthique [5].
C'est cet écart entre d'une part la perception qu'ont les proches du défunt – son cœur continue de battre – et d'autre part le constat clinique de la mort, qui explique d'ailleurs la difficulté des médecins de rendre compte de cette réalité à la famille. Comme le rappelle fort à propos Mgr d'Ornellas, cette modalité de constat de la mort va contre l'évidence des sens, mais elle permet aux équipes médicales de disposer d'un peu de temps entre l'affirmation du décès et le prélèvement d'organes. Ceux-ci sont en effet préservés de la dégradation pendant un certain temps après la mort par le maintien artificiel de la respiration et de la circulation sanguine. Ce délai permet d'engager un dialogue avec la famille [6] .
On constate donc que la détermination neurologique de la mort est un critère alternatif valide sur le plan éthique lorsque le critère classique cardio-respiratoire ne peut être appliqué en raison de la suppléance réalisée par le respirateur artificiel en contexte de réanimation. Bien plus, renchérit le professeur Requena Meana, le critère neurologique correspond à une situation physiopathologique plus avancée que celle correspondant au critère cardio-respiratoire, puisque le dommage encéphalique est postérieur à l'arrêt cardiaque. Ce dernier critère est donc plus précis que l'antérieur [7] .
La personne n'est pas réduite au cerveau
Si le critère traditionnel est basé sur la perte définitive de l'activité du système cardio-respiratoire, le critère neurologique suppose, ainsi qu'on l'a dit, celle du système nerveux central, cerveau et tronc cérébral, d'où le terme de total brain death. Il est donc important de parler de mort encéphalique plutôt que de mort cérébrale, cette dernière expression usitée régulièrement, même par des spécialistes, risquant d'accréditer l'idée que la personne cesse d'exister quand son cortex cérébral ne fonctionne plus. Or, la personne ne saurait être réduite à son cerveau, comme si la perte d'activité de cet organe nécessaire à la vie relationnelle, signait la déchéance de la personne.
Ainsi, les personnes en état végétatif persistant ne sont en aucun cas des personnes décédées : on ne peut émettre la moindre confusion entre ces malades et ceux dont la mort encéphalique est avérée ainsi que le précise le professeur de réanimation Frédéric Baud : la situation des personnes en état de mort encéphalique est radicalement différente de celles où se trouvent les personnes dans des comas dits profonds chez lesquelles les critères de mort cérébrale ne son jamais observés [8] .
Dans le même ordre d'idées, on se souvient que le bioéthicien australien Peter Singer, bien connu pour dénier le statut de personne humaine aux nouveaux-nés handicapés, a pu écrire que les théologiens catholiques ayant accepté le prélèvement d'organes dans le cas de la mort cérébrale, ils devraient être théoriquement en mesure de l'autoriser dans les cas d'anencéphalie.
Il est aisé de réfuter le raisonnement de Singer : les nouveaux-nés anencéphales sont atteints de lésions cérébrales partielles, qui quoique gravissimes, ne touchent pas les structures du tronc cérébral, si bien qu'ils sont capables de maintenir pendant un certain temps des fonctions vitales comme la circulation sanguine ou la respiration de manière totalement autonome. On se reportera avec profit à l'argumentation rigoureuse de Mgr Sgreccia sur la situation de ces enfants, personnes humaines à part entière, ne pouvant en aucun cas être considérés comme des donneurs d'organes potentiels [9].
La position de la communauté scientifique et médicale, rejointe par celle du magistère catholique, est donc très ferme : accepter les critères neurologiques de mort encéphalique ne signifie pas réduire la personne au fonctionnement de ses hémisphères cérébraux supérieurs, il faut prouver avec certitude que l'intégralité de l'encéphale est détruite de manière irréversible.
En France, le nombre de sujets en état de mort encéphalique déclarés à l'Agence de la biomédecine a plus que doublé entre 1994 et 2007 avec une croissance concomitante des prélèvements de 80%. La mort encéphalique se produit principalement à la suite d'un accident vasculaire cérébral (56% des cas), d'un accident sur la voie publique (12%), d'un autre traumatisme (12%) et d'une anoxie cérébrale (7%) [10].
On constate que la part des traumatismes crâniens recule en raison de la diminution importante d'accidents sur la voie publique suite aux restrictions de vitesse — le nombre de décès sur la route a chuté de moitié entre 1986 et 2006 — tandis que la part des accidents vasculaires cérébraux augmente (55% des donneurs recensés en 2007 contre 42% en 1996).
Conséquence logique, l'âge des donneurs est de plus en plus élevé, estimé à 52 ans en moyenne en 2008 contre 41 ans en 2000 et 37,5 ans en 1996. Le pourcentage des donneurs dont l'âge dépasse les 65 ans est passé de 6,6 % en 2000 à 25,7% en 2008 alors que celui des donneurs dans la tranche d'âge 16-49 ans représente 38% et ne cesse de diminuer (62,5% en 2000). Les spécialistes s'accordent à reconnaître que les marges de progression sont restreintes du fait de l'avancement en âge des donneurs, de la stabilisation de leur nombre et de l'absence de diminution du taux de refus autour des 30% comme on l'a dit.
Face à la pénurie de greffons fonctionnels — le terme lui-même ne relève-t-il pas du lexique consumériste ? — la tentation était grande de modifier le cadre réglementaire du don d'organes. En raison de l'inadéquation entre l' offre et la demande , la pression était forte pour recruter de nouveaux donneurs potentiels. À cette fin, la stratégie adoptée par les autorités sanitaires a consisté à développer depuis 2005 les prélèvements dits à cœur arrêté pourtant abandonnée par la France après 1970. Nous verrons prochainement que l'encadrement éthique de cette nouvelle pratique, loin de faire l'unanimité, est au cœur des débats actuels sur le don d'organes.
Articles précédents :
L'Église et le don d'organes : les enjeux éthiques, Décryptage, 15/04/2010.
Don d'organes (II) : le consentement présumé est-il acceptable sur le plan éthique ? Décryptage, 23 avril 2010
À suivre :
La question des prélèvements à cœur arrêté.
[1] Jean Paul II, Discours au 18e Congrès médical international sur les transplantations, 29 août 2000.
[2] Benoît XVI, Discours aux participants au congrès international sur le thème du don d'organes organisé par l'Académie pontificale pour la Vie, 7 novembre 2008.
[3] Jean Paul II, Discours à un groupe de travail de l'Académie pontificale des sciences sur la détermination du moment de la mort, 14 décembre 1990. Cf. aussi Jean Paul II, Salvifici doloris, n. 15 et Concile Vatican II, Gaudium et spes, n. 18.
[4] P. Requena Meana, À propos de la mort cérébrale, Institut européen de bioéthique, 17 décembre 2009.
[5] P. Mollaret. M. Goulon, Lecoma dépassé , Rev. Neurol. (Paris) 1959 ; 101: 3-15.
[6] Harvard Medical School, A definition of irreversible coma, JAMA 1968, 205, p. 337-340.
[7] Elio Sgreccia, Manuel de bioéthique, Mame Edifa, Paris, 2004, p. 732.
[8] Mgr Pierre d'Ornellas, Bioéthique, propos pour un dialogue, op.cit., p. 50-51.
[9] P. Requena Meana, op.cit.
[10] Jean-Yves Nau, Le Monde, À l'heure exacte de notre mort , 2 novembre 2008.
[11]Mgr Elio Sgreccia, op.cit., pp. 742-743.
[12] L'ensemble des chiffres cités sont fournis par la Mission d'information sur la révision des lois de bioéthique, Favoriser le progrès médical, respecter la dignité humaine, Rapport parlementaire n. 2235, tome 1, janvier 2010, p. 395-396.

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