Dérives ecclésiastiques et messianisme

L’émission outrancière d’Arte le 5 mars 2019 a choqué beaucoup de chrétiens et d’autres, et c’était son but, la veille du début du Carême : suggérer l’idée que les prêtres, non contents d’être des pédophiles (c’est un dogme médiatique), sont des abuseurs de bonnes Sœurs. Dans un monde où, rien qu’en Angleterre, des milliers d’enfants sont livrés chaque année aux réseaux pédophiles dans le plus grand silence des médias, ce pseudo-documentaire apparaît comme un détournement honteux de l’indignation ­– il est ce qu’on appelle une inversion accusatoire. Nous ne soulignerons pas ici ses procédés de propagande, d’autres l’ont fait. De toute façon, il faut s’habituer à l’idée que les grands médias (TV ou presse), qui sont très coûteux, n’existent que par les millions que les financiers ou les Etats y investissent ; de ce fait, ils sont globalement des outils de propagande, et, bien souvent, celle-ci est orientée fortement contre l’Eglise. Les Américains l’ont compris il y a quelques années déjà[1], les Européens pas suffisamment encore.

[1]     Même de prestigieux journalistes du système disent qu’ils en ont assez de mentir, comme Lara Logan aux USA, ou Udo Ulfkotte, un Allemand qui a été « suicidé » la veille de son voyage aux USA pour l’investiture du président Trump.

Un des mensonges de ce « documentaire », dans sa première partie, est d’omettre la cause réelle des dérives (hélas avérées pour l’essentiel) relevées chez les deux Pères Philippe, et de s’en servir alors pour attaquer globalement le sacerdoce. Cette cause, EEChO n’a pas cessé de la dénoncer – et de manière générale car il s’agit précisément d’une tentation que l’on retrouve à chaque génération et qui s’est même cristallisée en de vastes mouvements destructeurs anti-chrétiens : la tentation « messianiste ». Nous ne voulons pas diminuer ici ce que ces deux Pères ont pu faire ou susciter de bon : nous voulons dire que la tentation messianiste est subtile et vicieuse. Et jamais sans conséquences.

Elle consiste à se croire appelé(s) à jouer un rôle de salut dans l’histoire humaine. Cela se dit de manières très diverses. Il est connu (et ceci a été enregistré maintes fois) que, à l’image de ceux qui dirigeaient le peuple hébreu avant David, le P. M.-D. Philippe se voyait en nouveau Patriarche ; d’une certaine façon, il reprenait une doctrine plus ou moins à la mode au XIXe siècle, consistant à imaginer que le supérieur serait un « intermédiaire entre Dieu et les hommes » (cela a été dit aussi). Dans ce cas de figure, évidemment, les tendances présentes dans le « supérieur », bonnes ou mauvaises, risquent d’être placées au dessus de tout jugement – au moins aux yeux d’un petit cercle. Or, comme on dit, il ne faut pas tenter le diable …

Le même drame se produit inévitablement, et à une échelle souvent bien plus vaste et dramatique, avec tous ceux qui prétendent être les interprétateurs de l’Histoire et en diriger le cours : par le fait même, leurs actes ne peuvent être que moralement bons (à leurs yeux ou aux yeux de leurs sectateurs), même les plus odieux et pervers. On connaît ces systèmes messianistes qui laissent derrière eux des victimes par millions. Avec des atrocités innommables, dont beaucoup continuent d’être passées aujourd’hui sous silence, par la volonté de ceux qui mènent ce monde. C’est également le problème de fond de l’islam depuis quatorze siècles, problème que les responsables ecclésiastiques s’entêtent à ne pas voir en Occident (pourquoi ne veulent-ils pas le voir ?)[1].

Personne ne peut servir d’intermédiaire entre Dieu et les hommes, que ce soit individuellement ou communautairement. Certes, les chrétiens sont appelés à être des intercesseurs et même, de temps à autre, des médiateurs, mais il s’agit de tout autre chose. La Vierge Marie est le modèle de la médiatrice, mais seul Jésus est intermédiaire : tout passe par Lui, il est la Porte vers le Père, et il n’y a pas d’autre Porte. Cette conviction de foi – qui est aussi d’expérience – a été mise à mal à diverses époques, et en tout cas dans les années récentes par la notion très ambiguë de « peuple de Dieu ». Les chrétiens formeraient-ils moins une famille qu’un peuple, auquel cas ils auraient besoin de nouveaux Patriarches /Moïse, c’est-à-dire de chefs « éclairés », pour être guidés sur les chemins de l’histoire vers des lendemains qui chantent ?

C’est un tel jeu que certains prélats ont prétendu jouer, s’attribuant un rôle historique et utilisant l’Eglise pour faire advenir ce qu’ils croyaient être un « monde nouveau » (selon les désirs illusoires de leur idéologie plus ou moins généreuse). Et, dans ces mêmes années 55-70, beaucoup trop sont entrés dans le clergé ou dans les ordres religieux avec des motifs qui n’étaient pas sain(t)s, fussent-ils sur fond humanitaire, et il n’était pas rare que certains travers aient été tolérés voire encouragés par des « formateurs » idéologiquement très marqués. Et encore après 1970.

Tout cela, nous le payons aujourd’hui, mais il faudra encore du temps pour le reconnaître simplement. En attendant, des responsables ecclésiaux adoptent un comportement compassionnel larmoyant, ils demandent pardon aux victimes – qui n’en ont rien à faire : c’est de la part des coupables et de leurs complices qu’elles attendent une telle demande. Et ne risquent-ils pas ainsi de noyer les responsabilités et de suggérer une culpabilité collective... à la grande joie des accusateurs de l’Eglise ? Le piège était gros mais c’est à croire que certains n’attendaient que de tomber dedans...

Ce qui convenait dans l’Ancien Testament (les Patriarches, Moïse, etc.) ne convient plus comme tel dans le Nouveau. L’Esprit Saint a été donné à la Pentecôte, et Lui est désormais le seul conducteur légitime de l’Eglise dont le but sur terre n’a pas à être inventé : il est bien défini déjà, préparer la Venue glorieuse du Christ et le Jugement qui est lié à ce moment-là.

Quand on oublie ou qu’on minimise cette espérance (et « finalité ») de l’Eglise terrestre, des dérives ne tardent pas à apparaître ; ceux qui détiennent une autorité, justifiée par la poursuite communautaire de ce but, peuvent être alors tentés de la détourner et de la pervertir. Mais ceci n’est pas vraiment nouveau depuis deux mille ans. La différence, c’est que, jusqu’à une certaine époque en Occident, les chrétiens n’avaient pas oublié la Venue glorieuse, ce qui est très majoritairement le cas aujourd’hui.

Peut-on sortir de la crise sans se ressourcer auprès du christianisme des origines ?

P. Edouard-Mari

[1]     Aux rationalistes qui ne voient pas et à beaucoup d’autres, on peut conseiller de lire https://www.amazon.fr/Canevas-méthode-déradicalisation-croyance-elle-même/dp/1719040877.