[Lettre d'Amérique n. 12] — Au cours des dernières semaines, le président Obama a enregistré les démissions, ou le futur départ, de plusieurs grands collaborateurs, notamment : Rahm Emanuel, son chef d'état-major (photo) ; Jim Messina, chef d'état-major adjoint ; David Axelrod, senior adviser, membre du tout premier cercle ; Lawrence Summers, son principal conseiller économique. Et plus récemment, James Jones, le chef du Conseil de sécurité nationale.

Que penser de ces démissions ? De tels départs après un demi-mandat se produisent sous toutes les présidences et en toute configuration politique. Mais la presse affirme implicitement qu'ils sont plus importants que d'habitude et y voit un signe de l'érosion du pouvoir et du crédit du président Obama. Les démissionnaires sont au nombre des collaborateurs les plus importants. C'est le premier cercle autour du président qui se disloque et disparaît presque tout entier.
Obama travaillait, nous dit le Washington Post, avec un tout petit nombre de personnes, un premier cercle , et ne faisait vraiment confiance à personne d'autre. Il n'aimait pas les têtes nouvelles. Ces gens étaient ceux qu'il avait connus avant , ceux dont il était sûr. Ce régime a été vivement critiqué. Et ce sont ces gens qui s'en vont. Si les faits sont ainsi correctement présentés, l'image d'Obama qui s'en dégage est très claire : il serait désormais un homme seul.
Déjà l'image d'un lame duck
Il doit changer tout son mode de fonctionnement. Il va devoir trouver des têtes nouvelles, sur lesquelles il n'aura ni le même ascendant, ni le même contrôle. Pourra-t-il continuer à se passer des politiciens professionnels, et du monde des affaires, qu'il avait tenus à l'écart ?
Obama est un homme nouveau, imposé par l'électeur des primaires à l'establishment démocrate en 2008, comme les candidats Tea Party sont des novices en politique, imposés à l'establishment républicain en 2010. La moitié de ses anciens électeurs, notamment de ceux qui étaient enthousiastes, a désormais mauvaise opinion de lui. Parmi les démocrates, Hillary Clinton serait aujourd'hui mieux placée que le président pour lui succéder.
Les médias ne lui font plus aucun cadeau. Est-ce parce qu'ils font, eux, partie de l'establishment ? Ils se rendent compte que, sans Obama, homme nouveau et anti-establishment au départ, quels qu'aient été les ralliements progressifs dont il a bénéficié ensuite, il n'y aurait jamais eu le Tea Party.
Ce dernier mouvement, qu'on dit très à droite, et qui sans doute est très à droite, très conservateur, est pourtant, substantiellement, plus démocratique, quand il revendique le pouvoir dans un pays comptant désormais 56% de conservateurs, que les 18% de liberals qui voudraient monopoliser à perpétuité la démocratie et diaboliser les conservateurs.
En tout cas, les médias libéraux subissent à la fois Obama et le Tea Party, luttent contre eux, et préparent la place à Hillary Clinton, ou à quelque autre candidat dont l'élection marquerait un retour à la normalité consensuelle et libérale . Quand ils donnent l'impression qu'Obama n'aura bientôt plus que l'ombre de son pouvoir, on se demande ce qu'il faut précisément entendre par là.
L'image d'un radical isolé, obstiné, indécis
Revenons aux démissionnaires. La presse prétend que, sur le fond, ils étaient plutôt modérés, par rapport au président. Ainsi L. Summers, le principal conseiller économique repart-il à Harvard, déçu de n'avoir pas été entendu, et les "liberals" ultra-keynésiens et socialisants, amis de la relance et de la dépense publique, applaudissent. Rahm Emanuel, le chef d'état major, ne voulait pas, paraît-il, d'une réforme si audacieuse de l'assurance maladie.
Comment savoir ? Ce qui est sûr, c'est que l'Américain moyen est complètement révulsé par l'idée de cette énorme tutelle fédérale sur tous les individus, et qu'il n'y a pas beaucoup de volontaires aujourd'hui pour assumer devant l'opinion une responsabilité dans la décision. La victoire, dit-on, a beaucoup de pères, et la défaite est toujours née toute seule. Il y a bien des gens qui savent. Mais les témoignages sont contradictoires. Comment savoir qui est celui qui sait ? À qui se fier ? Voilà la bonne question.
Ce qu'il y a de sûr, c'est que la presse donne d'Obama l'image d'un radical seul et déraisonnable, abandonné même par les plus fidèles de ses amis et des gens raisonnables qui l'avaient suivi. Mais est-ce vrai ?
L'image d'un leader faible
Sur l'Afghanistan, c'est encore une autre histoire. Emanuel, avec lequel il vivait, paraît-il, comme en symbiose, était plus pour une solution minimale. Le président Obama est présenté, à la suite du livre de Bob Woodward, largement médiatisé (Washington Post, 27.10.2010), non seulement comme inexpérimenté en ce domaine, mais comme dénué d'imagination ( Give me options ! You give me no options ! ). On le montre indécis, faible puis tranchant, avec la maladroite dureté des faibles.
Apparemment sûr de lui, mais hésitant, et décevant pour ses meilleurs amis, il aurait fini par écouter les militaires et le secrétaire à la Défense, Robert Gates, surtout par peur de se tromper, tout en les mécontentant au moins autant que son chef d'état-major. Il naviguerait entre la peur des responsabilités, s'il décidait contre l'avis des experts, et la peur du qu'en dira-t-on médiatique, s'il ne pouvait gaver les médias d'annonces intéressantes et de belles histoires. En face d'une opposition de trois grands militaires, il choisit de limoger le plus petit des trois, tout en gardant les deux plus grands, et en pliant devant leur volonté. Ce portrait chargé dessine un caractère plausible. Mais est-ce le vrai ?
Bob Woodward est bien renseigné, en ce sens qu'il connaît tout le monde à Washington, et que tout le monde tient à lui parler. Mais que sait-il vraiment ? Quand la presse fait et défait les réputations, tout le monde, par prudence, donne sa version, celle qui lui est utile, peut-être celle à laquelle il croit.

L'image d'un politicien machiavélique
À cette modération qu'on lui prête sur le fond, le chef d'état-major de la Maison blanche, Emanuel, joignait un style incisif et partisan. Cette double facette de son adjoint aurait permis au Président de jouer un double jeu politique. Bien qu'il fût en réalité plus social-démocrate qu'Emanuel, il se serait servi du style agressif de ce dernier, pour donner à l'opposition l'impression du contraire. En même temps, il se servait aussi de lui pour se donner parmi les démocrates radicaux l'image du réformateur audacieux paralysé par des conseillers trop timides. Quant à la presse, qui nous montre un président prince de l'ambiguïté, manipulant ses plus fidèles serviteurs, elle se montre elle-même, sans bruit, comme celle qui démasque le fourbe et le prive de ses stratagèmes. Mais est-ce vrai ?
En définitive, pourquoi ces départs ?
Revenons encore une fois à ces démissions. On a l'impression qu'il s'agit moins de renvois déguisés que de départs politiquement inévitables, pour tenter d'apaiser divers mécontentements. En même temps, certaines de ces démissions semblent bien motivées par un mélange de fatigue et d'ambition, de lassitude et de déception.
Dans l'hypothèse de plus en plus probable d'une lourde défaite électorale dans une vingtaine de jours, le président aura beaucoup moins de pouvoir, d'autant que les élections sont devenues un référendum pour ou contre lui. Dans ces conditions, les États-Unis risquent la paralysie et les caractères réalisateurs ne sont pas intéressés à rester. Le Wall Street Journal, 1.10.2010, A4, à propos de Rahm Emanuel, résume ainsi ce point : Une grande personnalité s'en va ; un petit agenda arrive — Big personality out, smaller agenda in). Emanuel cherche à se faire élire maire de Chicago. Quelles qu'aient pu être les frictions entre les deux hommes, ils sont forcés de rester solidaires (cf. Jacques Chirac et Dominique de Villepin).
En ce qui concerne Axelrod, le second plus puissant après Emanuel, et aussi Jim Messina, tous deux sont retirés de la Maison Blanche pour préparer la délicate réélection d'Obama. L'histoire, rassurante, montre que la plupart des présidents qui ont perdu le Congrès à mi-mandat ont été ensuite réélus, par exemple, Bill Clinton. Mais elle montre aussi, inversement, qu'aucun de ceux dont la popularité à mi-mandat était aussi basse que celle d'Obama n'a pu obtenir un second mandat, par exemple, Jimmy Carter.
Pour le Washington Post du 23.09.2010 (A16 et A 17), les conseillers partants ont été sanctionnés pour avoir mal calculé la position des gens dans le pays sur les questions de l'emploi, du déficit et de la dette ; Mais la suite de l'article donne d'autres hypothèses et ne tranche pas.
En somme, on lit les articles du WP, c'est-à-dire, de ce qu'il y a de mieux renseigné sur ce genre de sujets, et tout ce qu'on sait de sûr à la fin, si c'est à eux qu'on demande une réponse claire et nette, c'est qu'on a le choix entre plusieurs possibilités, qu'on aurait pu énumérer soi-même en y réfléchissant bien. Conclusion : pour savoir, écouter, mais après avoir écouté, chercher en soi-même.

L'image du pestiféré
Il n'y a pas que du douteux. Ce qui est certain, c'est que tous ceux qui espèrent être élus à divers sièges en 2010, ou 2012, tentent de se démarquer, tantôt plus, tantôt moins, du président Obama, à l'impopularité grandissante. Je suis un démocrate indépendant. Telle est l'antienne. Pour espérer être élu, le démocrate, surtout s'il est sortant, doit souvent promettre qu'il ne votera pas les projets du président. Le taux d'approbation du travail d'Obama reste très en dessous de ce que la plupart des présidents ont enregistré au bout de deux ans, depuis qu'il y a des Gallup sur cette question. Le lien des sénateurs avec Obama pourrait être fatal, même en 2012 , écrit le Washington Times, 4.10.2010, A3.
Obama n'est plus du tout le joker des démocrates ; il est en train de devenir leur boulet. Populaire en Europe, idole en Afrique, il est en train d'être catégorisé négativement aux États-Unis, d'une manière peut-être définitive. 57% déclarent qu'ils ont été déçus par Obama, même si 47% approuvent encore son travail. Et deux tiers des Américains pensent que, sous sa présidence, le pays ne va pas dans la bonne direction.
Obama et Roosevelt
La chute graduelle d'Obama, qui tend à s'accélérer, ne tient pas à une manipulation médiatique. Elle tient à la crise, et à la médiocrité des résultats de sa politique économique, mais pas uniquement. Roosevelt, note la presse, avait aussi de mauvais résultats au bout de deux ans, mais il a gagné les élections de demi-mandat, parce que les gens croyaient qu'il avait les solutions et que sa formule allait marcher.
Le rejet d'Obama tient à ce que la masse des gens estime que le président n'a tout simplement pas les solutions adaptées. Le keynésianisme est éculé, la social-démocratie est une formule qui ne marche plus. Je le répète : le pourcentage de ceux qui se qualifient de conservateurs est de 56% (je dis bien : cinquante six pour cent). Le pourcentage de ceux qui se qualifient de liberals (progressistes ) est de 18% (dix-huit pour cent). Pour la masse, il faut d'urgence revenir à la formule qui marche . Marchera-t-elle ? C'est toute la question. Et si, appliquée de nouveau, elle ne marchait pas, le pouvoir serait à prendre et appartiendrait alors à qui aurait les bonnes idées nouvelles.
Au lieu de plier devant l'opinion, Obama lui résiste. Il s'entête. Il vante son bilan et ses mesures face à une opinion qui les juge mauvais. Il dit que le pays va dans la bonne direction, face à un pays qui pense le contraire. Il paraît ainsi idéologique et socialisant, décalé par rapport à la masse de la classe moyenne et à la tradition américaine. Il veut surtout avoir raison contre son employeur et surtout contre l'évidence. On devine trop bien comment cela peut finir.

 

*Henri Hude, normalien, philosophe, dirige le pôle d'éthique au centre de recherche des Écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan. Dernier ouvrage paru : Démocratie durable, penser la guerre pour faire l'Europe (Éd. Monceau, 2010).
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