Le débat sur l'islam souhaité par Nicolas Sarkozy portera-t-il du fruit ? Dicté par la situation française, il s'annonce délicat pour la majorité, qui tâche d'en arrondir les angles sous la thématique de la  laïcité .

La chancelière Angela Merkel avait donné l'exemple mi-octobre 2010, en déclarant qu'en Allemagne, le  multiculturalisme  avait  totalement échoué . Une analyse reprise quasiment à l'identique le 5 février 2011 par le premier ministre anglais David Cameron, qui invitait à  tourner la page des politiques du passé qui ont échoué , et notamment celle fondée sur  la doctrine du multiculturalisme d'État , qui a encouragé  différentes cultures à vivre séparées les unes des autres  (Le Fil, 11 février).

Le 10 février, Nicolas Sarkozy a suivi le mouvement sur le plateau de TF1, au cours de l'émission "Paroles de Français". À l'occasion de ce débat télévisé avec des électeurs, il affirmait :  On s'est trop préoccupé de l'identité de celui qui arrivait en France, pas assez de l'identité du pays , confirmant qu'à ses yeux aussi, le multiculturalisme était  un échec .  Nous ne voulons pas d'une société dans laquelle les communautés coexistent les unes à côté des autres. Si on vient en France, on accepte de se fondre dans une seule communauté, la communauté nationale. Si on n'accepte pas cela, on ne vient pas en France  complétait-il.

La fin de la doctrine multiculturaliste ?

Derrière la critique du  multiculturalisme , il faut lire celle du modèle d'accueil de l'immigration en France depuis au moins trois décennies, qui a privilégié l'intégration au détriment de l'assimilation. Première communauté humaine et culturelle visée, celle des immigrés de tradition musulmane, dont le nombre important lance un défi aux coutumes occidentales en général, et françaises en particulier. Et Nicolas Sarkozy de rappeler une fois de plus sa vision, hostile à un islam  en France , et favorable à un islam  de France .

Le 16 février, le chef de l'État recevait les députés de l'UMP à l'Elysée, qu'il invitait à se saisir de la question :  Quelles sont les limites que nous mettons à l'islam ?  Il n'est pas question d'avoir une société française qui subirait un islam en France. Nous sommes une société laïque, où il ne doit pas y avoir d'appels à la prière. Il faut aboutir à un corpus idéologique sur la place des religions en 2011. 

Dans la foulée, le 17 février, l'UMP annonçait la programmation à son initiative d'un prochain  débat sur l'islam , par la voix de son secrétaire général Jean-François Copé. Une façon, expliquait-il, de  poser un certain nombre de problèmes de fond sur l'exercice des cultes religieux, singulièrement le culte musulman, et de sa compatibilité avec les lois laïques de la République .

Un débat qui fait débat

La proposition, pourtant, peine à enthousiasmer la majorité, consciente d'être face à un sujet épineux. François Fillon, évoquant le projet sur RTL le 28 février, déclarait ainsi : s'il  devait apparaître comme un débat qui, d'une manière ou d'une autre, conduit à stigmatiser les musulmans, je m'y opposerais . Son de cloche identique du côté d'Alain Juppé, pour qui  il faut maîtriser  ce débat, car  il n'est pas imaginable , selon lui,  de stigmatiser la deuxième religion de France .

Rama Yade, elle-même de confession musulmane, a pour sa part manifesté un désaccord franc avec l'ambition du parti présidentiel :  Six millions de musulmans vont se retrouver embarqués dans un débat et assignés à résidence religieuse alors qu'eux-mêmes ne se définissent pas d'abord comme musulmans. Ils vont se sentir comme des Français à part, plutôt que comme des Français à part entière . Patrick Devedjian, à couteaux tirés avec Sarkozy depuis les brimades subies dans les Hauts-de-Seine, n'hésitait pas à qualifier ce débat de  désastreux , car risquant de  blesser nos compatriotes musulmans destinés à vivre durablement avec nous , et  qui s'intègrent loyalement .

Recentrage sur la laïcité

La cacophonie a ses raisons. La majorité conserve en effet le souvenir désagréable du débat raté sur la question pourtant centrale de l'identité nationale, en 2009. Reproduire le même pensum, pour une utilité politique quasi-nulle, si ce n'est négative, n'emballe personne.

Mais la volonté présidentielle de ne pas laisser ce terrain en jachère, ou aux seules propositions de Marine Le Pen et du Front National, paraît ferme.  On a payé très cher la cécité sur l'immigration dans les années quatre-vingt , a argumenté Nicolas Sarkozy face à ses troupes. Or,  avec la laïcité, l'islam, c'est la même problématique . De son propre aveu, cette initiative n'est d'ailleurs que la poursuite d'un mouvement déjà initié en 2009, avec le débat sur la burqa, que juge-t-il,  on a bien fait  d'engager à l'époque.

L'UMP a donc planifié et confirmé une convention sur ce thème le 5 avril, et y proposera ses  solutions . Pour éviter les malentendus, la question a du reste rapidement été requalifiée en des termes moins explosifs :  Le débat porte sur la laïcité, il a d'ailleurs toujours porté sur la laïcité , défendait Jean-François Copé le 1er mars. Le même jour, face à l'Assemblée nationale, François Fillon adoptait le même vocabulaire, estimant  nécessaire de réévaluer le principe de laïcité et son implication pour tenir compte des évolutions de la société française .

L'islam malgré tout

Reste que si le sujet traité sera donc celui de la  laïcité , le problème qui justifie son retour dans l'agenda est bien évidemment celui de la non-laïcité de l'islam, et des impératifs religieux qu'il exporte dans la vie civile. L'ensemble des cas concrets soulevés est assez éloquent, qu'il s'agisse des prières de rue et de l'existence de lieux de culte,  question légitime  selon le premier ministre, de la discrimination sexuelle à l'hôpital ou dans les piscines, ou encore de l'intégration des menus halals à la cantine.

Autant de questions par lesquelles les chrétiens se sentiront assez peu visés, du moins directement. Pour autant, puisqu'un débat s'annonce, Mgr Luc Ravel, évêque aux armées, n'a pas manqué de rappeler le 2 mars que l'Église catholique présente  une réflexion et une pratique de la laïcité qui a émergé tranquillement sur vingt siècles , ce qui la rend à même d'être consultée  avant d'autres instances qui sont par définition areligieuses voire antireligieuses, ou avant d'autres religions qui ont besoin encore de mûrir . Dans la compréhension d'une  laïcité juste, équilibrée, respectueuse du politique d'un côté, et de la religion de l'autre , a-t-il plaidé,  notre expertise  mérite qu'on la  mette à profit  (Le Fil, 4 mars).

Mgr Philippe Barbarin, cardinal archevêque de Lyon, a quant à lui commenté le 4 mars cette actualité en affirmant que  l'islam est compatible avec les lois de la République  mais  à condition que les musulmans le veuillent . Tout est dans ce  à condition que...  sibyllin : par ce rappel à la liberté personnelle qui est source de tout engagement social, le primat des Gaules souligne non pas seulement l'enjeu du débat à venir, mais bien plus largement, celui d'une cohésion politique que la France cherche à préserver dans le siècle à venir.

 

 

Sur ce sujet :

 

 

[Sources : 20 Minutes, LCI, Le Figaro, Le Monde, Le Point, Libération, KTO]

 

 

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