De la morale des taux négatifs

A partir des considérations traditionnelles sur "l’usure" : quelle moralité y-a-t-il derrière les taux négatifs pratiqués aujourd'hui ?

Pourquoi un taux d’intérêt ?

Le taux d’intérêt est censé représenter la rémunération du service rendu par le prêteur qui se défait d’un somme d’argent pour un certain temps en la confiant à un emprunteur qui est censé la rendre à la fin de la période. Cette rémunération couvre cependant plusieurs réalités. Il est intéressant de les examiner à la lumière du débat ancien et fourni sur le taux d’intérêt, appelé alors usure.

Il y a d’abord et surtout l’usage alternatif possible de la somme, et notamment l’investissement, en fonds propres ou en immobilier locatif . On sait que l’Eglise lorsqu’elle prohibait le taux d’intérêt admettait des exceptions, dont ce qu’on appelait le lucrum cessans : le cas d’un professionnel, en général d’un commerçant au sens large, qui distrayait une somme de ses actifs pour la prêter, somme qui utilisée professionnellement aurait contribué à lui faire obtenir un certain gain, lui-même légitime. On admettait alors un certain intérêt. Or à l’époque actuelle on peut considérer qu’il y a une forme de lucrum cessans généralisé, compte tenu des possibilités d’investissement acceptables par ailleurs offertes, ce qui rend un certain taux d’intérêt légitime.

A cela peuvent s’ajouter d’autres considérations, comme le prix du temps : le fait qu’il est plus intéressant de disposer d’un bien tout de suite que dans l’avenir. A l’époque l’Eglise ne le reconnaissait pas comme motif valable pour une rémunération ou un dédommagement. Cela dit, on pourrait le mettre sous le terme de damnum emergens, qui était alors accepté, et qui est le dédommagement dû pour un inconvénient subi par le prêteur du fait même du prêt. Reste alors à l’évaluer. Pour cela, la considération de ce qu’aurait pu produire l’argent s’il était investi est sans doute à nouveau une bonne référence morale : qu’est-ce que mon argent aurait pu contribuer à créer ? Sachant qu’il convient cependant de le préciser, car de l’argent mis de côté et recherchant une certaine sécurité n’est pas a priori placé dans les mêmes conditions que celui inséré dans un processus productif à risque. J’y reviendrai.

Un autre critère alors également accepté était le periculum sortis, qui répond à un autre problème, à savoir la couverture du risque que l’emprunteur ne rembourse pas – évalué en général sur base statistique.

Nous considérerons dès lors ci-après qu’il est en soi légitime qu’il y ait une rémunération ‘raisonnable’ d’un prêt, sur la base de ces différents critères de justification, mais à préciser.

Les taux négatifs

En bonne logique les motivations ci-dessus conduisent à un taux d’intérêt positif, et tout au plus nul. Comment peut-il devenir négatif ? Sans entrer dans le détail technique, deux cas sont à distinguer.

Le premier est celui de la déflation, de la baisse des prix (sur une durée suffisante). Car s’il y a déflation le pouvoir d’achat de la monnaie augmente avec le temps ; et donc si j’emprunte 100 € à Paul et que je lui rends 98 deux ans après, mais que les prix ont baissé de 4 %, ce que je lui rends aura un pouvoir d’achat comparable à 102 aujourd’hui. En termes réels on peut donc considérer que je lui ai payé 2% d’intérêt. Bien entendu dans un monde déflationniste un problème est posé par l’argent liquide, qui s’apprécie tout seul, ce qui pousse les gens à le thésauriser. Dans le cas des espèces, c’est limité par le coût du stockage et le risque de vol. Dans le cas des comptes bancaires, cela justifierait le prélèvement par la banque d’un intérêt négatif par ponction sur la durée, même si cela choque les gens. Dit autrement, s’il y a déflation il faut raisonner algébriquement. Ou encore, ne considérer que le taux d’intérêt réel : taux nominal corrigé par l’inflation ou la déflation.

C’est ce qu’a connu le Japon. Mais ce n’est pas la situation actuelle en Europe, car l’inflation y est légèrement positive. Nos taux d’intérêts réels sont donc négatifs. Pourquoi ?

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