Comment accompagner dignement un proche en fin de vie

Le 17 mars dernier, la proposition de loi sur la fin de vie Claeys-Leonetti a été adoptée à l'Assemblée nationale. Le texte n’autorise ni euthanasie ni suicide assisté, mais instaure un « droit » de mourir par sédation jusqu’au décès, ce qui revient au même. Face à cette loi, qui entretient à dessein toutes les confusions, il convient d’abord de revenir aux véritables distinctions pour éclairer en priorité les personnes confrontées à l’accompagnement des malades en fin de vie.

LE PAPE Pie XII dans un discours aux médecins rappelait que « la raison naturelle et la morale chrétienne disent que l’homme a le droit et le devoir, en cas de maladie grave, de prendre les soins nécessaires pour conserver la vie et la santé ainsi que de prendre soin de la vie et de la santé de ses proches ».

« Ce devoir qu’il a envers lui-même et ses proches, précisait le pape, découle de la charité bien ordonnée, de la soumission au Créateur, de la justice sociale et même de la justice stricte ainsi que de la piété envers sa famille. Il s’applique d’autant plus que la personne malade est en situation de faiblesse, de vulnérabilité, soit en raison d’un handicap soit parce qu’elle est proche de sa fin corporelle. »

Les débats récents et plusieurs annonces publiques montrent l'urgente nécessité d'une parole de sagesse, audible, sur la fin de la vie humaine. De nombreuses idées réductrices, maints travestissements des faits circulent fréquemment dans certains médias, suggérant que la manière la plus efficace de lutter contre la souffrance serait de causer délibérément la mort.

« Mourir dans la dignité »

Il convient d'abord de relever la méprise dont est aujourd'hui l'objet l'expression « Mourir dans la dignité ». Mourir dans la dignité, ce n'est pas être supprimé par une piqûre létale mais c'est, que l'on soit ou non en état d'exprimer sa volonté, jouir d'une pleine considération, retenir l'attention, inspirer le respect, voir maintenue la relation avec ses proches, en recevoir l'affection, bénéficier d'amour et de soins jusque dans les ultimes moments ; c'est être le sujet, à domicile comme en institution, d'un accompagnement adapté aux situations d'angoisse et de souffrance intolérables.

Malheureusement, ainsi que plusieurs enquêtes récentes l'ont montré, la fin de vie est encore, dans notre pays, trop souvent maltraitée. La mise en place des soins palliatifs et l'exercice d'accompagnement exigent des efforts constants. Ils ont un coût élevé pour la société et demandent davantage de présence de la part des proches. Pourtant, celui qui accompagne dans ses dernières semaines une personne proche, parente ou amie, éprouve « expérimentalement » l'imprescriptible dignité de chaque être humain. Celle-ci transcende l'état de santé du moment et la beauté du corps, la dépendance et l'absence d'espoir de guérison. Plus encore, en vertu de soins palliatifs appropriés, les derniers jours atteignent une valeur inestimable de communion humaine.

Ainsi, dans la plupart des cas observés, les demandes d'euthanasie résultent de la méconnaissance par le patient en fin de vie ou par ses proches des possibilités de soulagement par les soins palliatifs, ou encore des insuffisances dans la prise en charge par l'institution médicale et par la famille. Il est remarquable que le nombre des demandes d'euthanasie diminue de facto aussitôt que les mesures d'accompagnement appropriées sont mises en œuvre.

L’intention légale de donner la mort

Nous considérons ainsi fermement que l'autorisation par la loi civile de la pratique de l'euthanasie lèverait un interdit social et moral fondamental, pilier de toute société avancée : « Tu ne tueras pas », et pourrait engendrer de nombreuses dérives. Dans les pays qui ont fait le choix de la légalisation, on observe déjà de nombreux abus sur la liberté des personnes. En vérité, la légalisation de l'euthanasie constitue un moyen au rabais et trompeur de faire face aux difficultés ; si elle était adoptée dans notre pays, elle ne ferait que retarder la mise en place de mesures permettant d'améliorer de manière durable la fin de vie de nos concitoyens ; « elle entraînerait, ici comme ailleurs, une moindre responsabilité des proches »  (Académie pontificale pour la vie, Rome 2012).

Les projets du gouvernement actuel sont une modification de la loi Léonetti dans le sens de l’article suivant :

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Art 3 : « À la demande du patient afin d’éviter toute souffrance et de ne pas prolonger inutilement sa vie, un traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès associé à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie est mis en œuvre dans [certains] cas. »

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Dans cet article 3, l’expression « ne pas prolonger inutilement la vie » est claire. Elle exprime une volonté de donner la mort : la sédation profonde n’est ainsi ni plus ni moins qu’un geste euthanasique. Le terme « inutile » laisse également supposer que certaines vies peuvent être jugées inutiles (par qui ? on se le demande !), devenues « vaines » (pour qui ? on se le demande aussi !). Nous sommes toujours dans la même logique de la culture de mort qui décide arbitrairement que certaines personnes ne méritent tout simplement pas de vivre. La qualité de la vie devient plus importante que l’essence même de la vie qui perd ainsi son caractère absolu.

De plus, attention : l’alimentation et l’hydratation sont abusivement considérées dans cette proposition de loi comme des traitements. Sous prétexte qu’il ne doit pas y avoir d’obstination déraisonnable en termes de traitement, ces deux composantes nécessaires à la vie seront donc arrêtées, entraînant irrémédiablement la mort. Mise à mort qui concernera également les personnes vivantes et non forcément en fin de vie mais tout simplement incapables d’exprimer leur volonté (c’est le cas de Vincent Lambert).

Les distinctions nécessaires

1/ L’usage d’antalgiques sous forme de « sédation » est légitime pour soulager la douleur même si cela doit entraîner un léger abrègement de la vie car ce n’est pas la mort qui est visée mais le soulagement de la souffrance avec des doses d’antalgiques raisonnables n’entraînant pas la mort à court terme.

2/ On doit éviter aussi bien l’acharnement thérapeutique qu’un geste d’euthanasie. La cessation de procédures médicales onéreuses, périlleuses, extraordinaires ou disproportionnées avec les résultats attendus peut être légitime. C’est le refus de l’acharnement thérapeutique. On ne veut pas ainsi donner la mort mais on accepte de ne pas pouvoir l’empêcher. Il est donc légitime d’interrompre un traitement médical dont on ne peut plus espérer une guérison ni une amélioration de l’état du malade (cf. CEC n. 2276-79).

3/ Tout homme quelle que soit sa situation et même s’il est un criminel a le droit de manger, de boire et de respirer ; le priver d’un de ses besoins est un crime ! C’est pourquoi toute personne en fin de vie a droit à l’alimentation, l’hydratation et à respirer même si c’est sous assistance.

4/ Distinguons bien les traitements et les soins. Les « traitements » visent à une amélioration de l’état du malade ; ils peuvent être légitimement arrêtés si ils deviennent inefficaces pour l’amélioration de l’état de santé du malade ; continuer à les utiliser relève de « l’acharnement thérapeutique ». En revanche, les « soins » : hydratation (éventuellement par perfusion) ; alimentation (éventuellement par sonde gastrique) et ventilation (éventuellement par assistance respiratoire) sont obligatoires. L’interruption d’un de ces trois « soins » entraînerait obligatoirement la mort et serait de l’euthanasie (cf. Questions posées à la Congrégation pour la doctrine de la foi et réponse du cardinal Levada, 1er août 2007).

5/ La Loi Léonetti ne fait pas de distinction entre traitements et soins ; elle autorise l’interruption de l’alimentation ou de l’hydratation, ce qui est illégitime.

6/ La « sédation profonde et continuée jusqu’au décès » avec un mélange de narcotique, neuroleptique, morphinique, entraînant la mort dans un délai bref est évidemment un geste d’euthanasie.

7/ L’acte euthanasique comprend deux aspects, l’intention et le moyen utilisé : a/ la volonté de donner la mort dans un délai bref ; b/ l’abstention d’un « soin », l’usage d’un cocktail lytique ou d’une sédation profonde qui va provoquer la mort rapidement.

8/ Le « suicide assisté » est un dispositif proposé au malade décidé à en finir. Ce dispositif, tel qu’il est proposé dans les cliniques en Suisse, va provoquer la perfusion du produit létal qui va tuer le malade. De la part des responsables, il y a évidemment complicité de crime.

Les soins palliatifs

Les soins palliatifs mettent en place un protocole d’accompagnement de la personne en fin de vie qui respecte sa vie jusqu’au bout : protocole de soulagement de la douleur, aide psychologique et spirituelle, en lien avec la famille. Pour Mgr Rey, évêque de Fréjus-Toulon,  « il est urgent de développer en France une “culture palliative” ainsi qu’un effort de formation en direction des professionnels du soin, en particulier les jeunes soignants, afin qu’ils sachent toujours mieux accomplir ces tâches difficiles qui nécessitent de solides qualités humaines et médicales ».

Les conséquences d’une légalisation

Si une loi autorisait l’euthanasie… les conséquences seraient très graves, d’abord pour la personne à qui d’une certaine manière on va « voler sa mort » (Marie de Hennezel). La vraie dignité de l’homme est d’assumer sa vie jusqu’au bout.

Ensuite, on mettra le personnel médical dans des situations qui risquent d’engager leur jugement de conscience. Que va faire l’infirmière qui voit sur la prescription du médecin que les doses à donner à Mme X sont en fait mortelles… et qui, si elle refuse, risque de perdre sa place ? De quel droit nos députés qui vont légiférer sur ces questions vont contraindre le personnel soignant « au nom de la loi » à commettre un crime que leur conscience réprouve ?  Que ces députés viennent eux-mêmes poser ce geste mortel !

Que va devenir la relation de confiance entre le malade et le médecin si je peux craindre que le médecin qui entre dans ma chambre va en sortir pour donner un ordre d’euthanasie à l’infirmière de service ? C’est toute la relation du malade avec le médecin qui est en cause (le médecin par le serment d’Hippocrate s’est engagé à servir la vie et non la mort).

Enfin, l’euthanasie légalisée va devenir rapidement l’euthanasie obligatoire. Le malade, quand son aspect physique se dégrade, lorsqu’il devient dépendant des autres pour des actes simples de la vie quotidienne, risque de sentir une gêne vis-à-vis des proches. Il se sent une charge pour l’aide-soignante, une charge pour l’infirmière qu’il faut appeler parce qu’on respire mal, qu’on est anxieux… une charge pour le conjoint et les enfants qui se sentent obligés de venir chaque jour.

Que va-t-il penser quand il sait que des malades ont été « euthanasiés » pour en finir plus vite et soulager tout le monde ? Que va-t-on penser de ce malade qui se singularise en tenant à sa vie malgré son état de déchéance qui impose tant de contraintes à ses proches ? Dans le fond, quel égoïsme ! L’euthanasie légalisée s’imposera progressivement à tous à cause de la pression sociale ; il sera très mal de la refuser pour soi-même.

Que faire quand un proche est en fin de vie ?

Naturellement, il faut lui procurer tous les soins nécessaires dont il a besoin en veillant à ce qu’il ne soit pas privé de manger, de boire et de respirer. Attention à ceux qui prétendent qu’on recourt à des « moyens artificiels ». Le mot « artifice » signifie simplement qu’on utilise un intermédiaire (sonde, perfusion…) pour assurer la vie. Si la maman n’a plus de lait, vous trouvez naturel d’utiliser un biberon, non ?

Mais le plus important reste l’assistance spirituelle. Éviter par-dessus tout le mensonge réciproque : le malade sait bien qu’il est proche de la mort et sa famille le sait aussi par le médecin. Il faut en parler avec le malade simplement et en vérité, cela le soulagera et l’aidera à mourir en chrétien : il faut impérativement lui proposer la visite d’un prêtre pour qu’il puisse recevoir les sacrements, confession et communion en viatique. C’est le temps où il peut y avoir des pardons donnés, des réconciliations familiales, qui permettront au mourant de partir en paix avec Dieu et avec ses proches. Il faut être auprès de lui jusqu’au bout l’entourant de tendresse d’amour et de prière.

Que répondre à l’argument de la mort « douce » ?

« Depuis vingt ans que je reçois en consultation des gens, c’est le contraire, affirme Marie de Hennezel. Il y a une violence extrême dans le fait de donner la mort. 

« Les médecins qui l’ont fait sont souvent très déprimés après de tels actes. Quant aux familles qui demandent que soit accélérée la fin d’un proche, on constate qu’elles sont très mal à l’aise et s’absentent souvent dans les derniers moments au lieu d’accompagner leur proche. Cela prouve bien la violence symbolique et réelle de tels actes. »

 

Le père Jean-Régis Fropo, prêtre du diocèse de Fréjus-Toulon, exorciste (2005-2014).

 

Pour en savoir plus :
 Blog http://findevie.catholique.fr/
 Documents de références de l’Eglise de France
 Maison médicale Jeanne-Garnier (Paris)
 Notre dossier Les droits de la fin de vie

 

 

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