Churchill et de Gaulle : deux monstres sacrés au musée de l’Armée

EXPO | Comparer Churchill et de Gaulle, un pari risqué mais réussi pour le musée de l’Armée. L’histoire les mit face à face. Les voici côte à côte dans une passionnante exposition organisée dans le cadre des commémorations du 70e anniversaire de la Libération et du 50e anniversaire de la mort de Churchill.

« VOUS AVEZ DES ENNEMIS ? Bien. Cela signifie que vous avez combattu pour quelque chose. » Cette phrase de Churchill illustre à merveille l’un des traits qu’il partagea avec le général de Gaulle. Et ce n’est pas le seul. Tout en suivant un fil chronologique agrémenté par un grand nombre d’objets personnels, l’exposition met en évidence ce qui rapproche et distingue deux personnalités si singulières. Deux monstres sacrés de la politique et de la guerre, aux parcours assez semblables, tour à tour complices et rivaux, en conflits permanents mais toujours pleins d'estime l'un pour l'autre. Bref, deux pointures inséparables.

Les modernisateurs

Juste avant de passer le porche de l’hôtel des Invalides, deux chars se font face. L’un français, le « B 1 bis » qui équipa la 4e DCR (Division cuirassée de réserve) du colonel de Gaulle engagée dans les combats de Montcornet et Abbeville en 1940. L’autre, joliment baptisé « Matilda II » est son homologue anglais. Churchill en est directement à l’origine.

Premier lord de l’Amirauté en 1911, il demanda à ses arsenaux de concevoir un vaisseau de terre (landship) capable de franchir les tranchées. Malgré ses revers politiques, la mise au point de ces chars sera pour lui une obsession. En 1934, ce sera de Gaulle qui insistera sur la nécessaire motorisation des armées et la création de divisions cuirassées. Ces deux chars venant du musée des Blindés de Saumur sont le témoin du rôle commun de Churchill et de Gaulle dans la modernisation des armées.

Les visionnaires

Un autre point commun se dégage de l’exposition : la clairvoyance dont ils firent preuve entre les deux guerres et pendant la Seconde Guerre mondiale. À la signature des accords de Munich (dont l’exemplaire anglais est présenté aux Invalides), tous deux sont lucides, à contrecourant des politiques et des opinions publiques de leurs pays.

De Gaulle écrit à son épouse le 1er octobre 1938 : « Nous boirons le calice jusqu’à la lie. »  À la Chambre des Communes, Churchill lance le 5 octobre : « Nous venons de subir une défaite totale et absolue. » Très tôt, il a pris conscience du danger nazi et pèsera de tout son poids pour que l’Angleterre prenne sa part sans ce combat qui la dépasse et l’implique à la fois. De son côté, le Général, refusant la défaite, continue la lutte. On peut entendre son appel (en réalité, celui du 22 juin, celui du 18 n’ayant jamais été enregistré).

Les communicants

Tous deux ont mesuré la puissance du soutien des opinions publiques. L’un comme l’autre expérimenteront d’ailleurs douloureusement leur versatilité. Habiles rhéteurs, ils sont les as de la propagande par les ondes. Un studio de la BBC reconstitué pour l’occasion laisse entendre les voix des deux hommes. À tel point que de Gaulle, encore inconnu en 40 sera surnommé « le Général micro » et que la propagande de Vichy le représentera sur ses affiches avec un visage laissé dans l’ombre, faute d’en avoir vu les traits.

Si l’un comme l’autre manient l’art de la formule avec un formidable talent, Churchill gagne la palme de l’image. Chapeau, cigare, frac, whisky, humour, il campe son personnage à coups de détails et de formules.

Les mémorialistes

L’art du discours les rapproche, l’écriture les unit. Après son échec aux élections en 1945, Churchill écrit ses mémoires, bientôt suivi par le général démissionnaire. Les brouillons exposés permettent de comparer leurs méthodes de travail : l’un emploie une équipe de secrétaires qui se relaient jour et nuit, l’autre écrit seul. La reproduction des fenêtres de leurs bureaux permet d’imaginer les grands hommes à la tâche, levant de temps en temps la tête pour contempler qui, son jardin fleuri de Chartwell dans le Kent, qui celui de la Boisserie en Haute-Marne.

Les adversaires

En désaccord sur bien des sujets, les deux hommes s’opposèrent avec force, faisant valoir les intérêts de leurs pays respectifs. « Pauvre Churchill ! Il nous trahit et il nous en veut d’avoir à nous trahir… » dira de Gaulle le 1er octobre 42. Réplique cinglante début 43 de l’intéressé, exaspéré par la résistance du Français : « Si vous m’obstaclerez, je vous liquiderai. »

Mais ils s’estimèrent et leurs relations se pacifièrent après la guerre. Les échanges de lettres entre eux et leurs épouses en témoignent. Ils firent en sorte que leur rôle éminent soit honoré comme il convient par leurs pays respectifs. De Gaulle reçut la Victoria Cross. Churchill fut décoré le 18 juin 1958 de l’Ordre de la Libération exceptionnellement réouvert (l’Ordre fut fermé en 1946).

Les héros

« Nous sommes tous des vers mais je crois que je suis un ver luisant » dit un jour Churchill. Le Général avait sans doute la même perception de son rôle mais certainement pas la même capacité d’autodérision si britannique ! Tous deux ont conscience de leur valeur. Non pas pour en tirer une gloire personnelle, mais parce qu’ils sont au service de leur pays. Pourtant, leurs funérailles les sépareront : de Gaulle est enterré chez lui dans l’intimité. Churchill reçoit à Londres un hommage national. Des films permettent de mesurer ce contraste abyssal.

Une seule chose les réunit cependant dans la mort : les larmes coulant sur les visages des personnes présentes. Cinquante ans plus tard, leur popularité demeure intacte.

B. de St-G.

 

 

Musée de l’Armée, hôtel des Invalides, jusqu’au 26 juillet 2015
www.churchill-degaulle.com  

  • Livrets de visite et livrets-jeux pour les enfants à partir de neuf ans téléchargeables sur le site et disponibles à l’exposition.
  • 8.50 €. Gratuit pour les moins de 18 ans.
  • Publication : catalogue de l’exposition « Churchill - de Gaulle », Editions de la Martinière, 288 p., 28 €.

 

 

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