Chateaubriand, quand le conservatisme était vraiment à la mode

Source [Causeur] Chateaubriand naît six ans après le Contrat social et disparaît quelques mois avant le Manifeste du Parti communiste. Élégiaque, il meurt en 1848 « avec l’Europe ». Nous sommes en 2018 ; 170 ans après sa mort ; bientôt 250 après sa naissance, combien de lecteurs s’en souviennent encore, autrement qu’à travers l’image convenue d’un orateur des tempêtes, d’une voie surgie des tombeaux voussoyant la mer les soirs de pleine lune ?

L’auteur fut fameux à une époque où le conservatisme était devenu la nouvelle mode. Gentilhomme de Bretagne, il parcourt l’Amérique et fuit la Révolution. Il végète à Londres, rejoint les émigrés et rallie la France quand Bonaparte prononce l’amnistie de ses pairs. A son retour, il lance un pavé dans la mare : le Génie du christianisme restaure l’autel et annonce sans préavis le retour à la foi des vieux jours. La génération précédente avait rangé les idoles au grenier et s’extasiait devant les machines branlantes ou les idées nouvelles. Son apologie parle aux millénaires qui précèdent ; écrite d’une traite, un crucifix à la main, il fait de sa jeune génération la plus vieille d’entre toutes. Le style est plein d’ampleur et parfois brouillon. Élégamment, il illustre une religion moins soucieuse du rappel de son dogme que des rivières, des insectes, du son des tempêtes, de la couleur des murailles et des effets de sa grâce. Le succès est alors colossal.

Trouble dans le genre poétique

C’est peu dire que l’occasion d’un tel ouvrage était favorable ; assez conforme à l’esprit de la décennie où le principat consulaire figurait le rappel à l’ordre. L’année 1793 était passée avec la guillotine et on ne rêvait plus vraiment de changer la vie… Un parti littéraire attribuait à celui des philosophes bien des extrémités révolutionnaires. Adhérant en toute conscience aux nouveaux principes, sans l’aide d’aucun autre facteur qu’une raison souveraine et éclairée, les constituants avaient, librement, poussé l’Europe dans la fosse d’un grand charnier. Et les cœurs étaient assombris. La Révolution avait renversé les places ; elle avait aussi troublé les genres. Tout homme en France s’était cru littérateur et tout littérateur s’était cru législateur. Et l’ordre social n’était plus seul en cause. On disait de la pensée rationnelle qu’elle était corrosive ; la Terreur éloignée, elle était surtout devenue ennuyeuse.

Insolemment, la contre-révolution littéraire s’arrogeait le monopole du cœur. Déjà, le XVIIIe avait mis aux prises la sensibilité et la seule conscience. Lassée des vols d’aigle théoriques comme de l’orgueil des Lumières, toute une littérature se faisait l’expression d’un être désinhibé aspirant à vivre, sensiblement, une existence libre et affranchie. La parole écrite traduit celle de l’instinct ; elle brave l’interdit d’être soi et vitupère, ironise, regrette ou pleure en toute sincérité. L’auteur s’exhibe jusque dans ce qui ne le grandit pas. Il se confesse et avec toute la bonne foi du monde préjuge, se contredit, se trompe, digresse ou va trop loin.

« Réactionnaire de charme »

Se redécouvre la pureté de l’enfant que le XVIIIe avait voulu nous faire perdre : d’une parole poétique ressuscitant la communication orale lorsque le monde était à peine moins jeune que l’expression littéraire. Chateaubriand est hanté par l’âge d’or d’une jeunesse bretonne pré-révolutionnaire ; à l’ombre de Brocéliande ou à l’abri des murs de Combourg ; quand l’histoire ne trouble pas le gentilhomme et quand aucune convention ne l’interdit de se baigner deux fois dans la même rivière.

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