Dans un article paru récemment sur ce site, Matthieu Grimpret évoquait l'idée d'un "CRIF catholique". Face aux réactions reçues, positives et négatives, il a voulu préciser son idée. En contrepoint de celle-ci, nous publions le point de vue de la Fondation de service politique, un avis critique (cf.

infra). Mais sur le sujet de la présence des chrétiens dans le débat public, il faut lire aussi dans cette édition la réflexion italienne de G. Cesana (Communion et Libération, "Les catholiques dans la bataille pour le pouvoir") et méditer l'exemple de l'Église d'Espagne ("Renouvellement stratégique, après l'Italie...").

P:first-letter {font-size: 300%;font-weight: bold;color :#CC3300; float: left}Deux interrogations doivent impérativement être formulées. La création d'un CRIF catholique serait-elle juste ? Serait-elle par ailleurs justifiée ? En d'autres termes, posons la double question de sa conformité à la foi catholique et de son utilité. Mais précisons d'abord que l'expression CRIF catholique est évidemment un abus de langage destiné à provoquer la réflexion et à laisser entrevoir quels contours pourrait prendre un tel organe : l'universalisme présent de manière inchoative dans le judaïsme – matrice essentielle de la foi chrétienne , a récemment rappelé Benoît XVI – est pleinement assumé dans le catholicisme, et lui seul.

Que serait, dès lors, un CRIF catholique ? Suivons la comparaison avec le vrai CRIF. Le Conseil représentatif des institutions juives de France est l'héritier du Comité général de défense juive créé en 1943 et dont la première tâche consistait à unifier les actions de sauvetage des Juifs traqués par les nazis et le régime de Vichy. Sa finalité est donc d'abord communautaire, ad intra. Il est moins la représentation officielle des croyants juifs auprès des autorités de l'État qu'un organisme visant à faire entendre une voix juive unitaire au sein de la société.

On ne peut comprendre l'opportunité d'un tel modèle pour les catholiques si l'on n'est pas convaincu : 1/ que la communauté catholique doit s'intégrer, elle aussi, dans un paysage sociologique et un jeu démocratique nouveaux dont les acteurs se révèlent être, de plus en plus, des communautés plus que des citoyens, et 2/ qu'elle a, elle aussi, des intérêts à défendre de manière unitaire – peu importe d'ailleurs que ces intérêts soient ceux de tout l'homme et de tous les hommes : peut-être est-elle la dernière à les porter, c'est toute sa grandeur, c'est sa vocation de peuple de la vie comme l'écrit Jean Paul II dans Evangelium Vitae...Du côté de la classe politique, nos dirigeants – et en ce moment nos candidats – doivent pouvoir être mis face aux chrétiens , du nom d'une célèbre émission de radio, et leur rendre des comptes, le cas échéant.

Un CRIF catholique , gardons cette expression éloquente, n'aurait rien de contraire à la doctrine catholique. Sur le forum ouvert à ce sujet par Patrice de Plunkett (cf son blog), un internaute écrit : Un CRIF catholique ne correspondrait pas à la structure ecclésiale – voulue par le Christ – du catholicisme. Il faut ici distinguer les plans. Certes, il ne s'agit pas de contester l'autorité des évêques : en communion avec le pape, ils sont chefs de l'Église. Mais l'Église comme corps d'appartenance surnaturelle, et la communauté catholique comme acteur de la vie politique – et en somme corps d'appartenance naturelle – ne se confondent pas strictement. Non seulement un CRIF catholique ne contreviendrait pas au donné objectif de la foi, mais il correspondrait aux situations nouvelles [qui] exigent aujourd'hui, de façon toute particulière, l'action des fidèles laïcs ("Christifideles Laïci", 3).

Tout le monde connaît le cardinal Barbarin, primat des Gaules, le cardinal Ricard, président de la Conférence épiscopale de France, ou le cardinal Lustiger, ancien archevêque de Paris. Qui connaît – même parmi les catholiques ? – le nom du président des Associations familiales catholiques, pourtant interlocuteur statutaire de l'État, ou celui du secrétaire général de l'enseignement catholique ? D'ailleurs, des rabbins siègent au CRIF – que des clercs siègent dans un CRIF catholique n'enlèverait rien à son identité de structure laïque.

Certes, il y a la question des divergences d'opinion, soulignée par Patrice de Plunkett : Dans l'état actuel des esprits, l'idée d'un CRIF catho est problématique, parce que les laïcs catholiques confondent volontiers – dans le domaine politique, économique et social – leurs divers préjugés de milieux avec une analyse évangélique. Chaque clan, chaque tendance, chaque micro-milieu habille de "religion" ses propres réflexes mentaux. Voyez le catho chroniqueur économique ultralibéral, et le catho militant altermondialiste : chacun des deux croit que l'autre est aliéné aux pires superstitions. Voyez le catho eurofédéraliste, qui a voté chrétiennement oui en 2005, et le catho souverainiste, qui a voté chrétiennement non : chacun des deux dit que l'autre veut nous ramener aux heures les plus sombres de l'histoire. Imaginez tous ces gens dans un CRIF catholique ! Ce n'est pas un faux problème. Trois remarques peuvent être faites.

En premier lieu, l'unité n'est pas un préalable à l'action. Elle est un paramètre du combat. Tous les juifs ne se sentent pas représentés par le CRIF, tous les Noirs ne se sentent pas représentés par le CRAN, tous les musulmans ne se sentent pas représentés par le CFCM. Ces organismes n'en sont pas moins les plus représentatifs, non parce qu'ils rassemblent le plus d'adhérents (logique de la quantité, logique obsolète de la démocratie de masse) mais parce qu'ils sont les plus habiles à faire entendre un message fort. Jusqu'au jour où les rapports de forces se renverseront...

Mais – et c'est la deuxième remarque – les catholiques peuvent-ils s'adonner à ce jeu du rapport de forces, au sein même de leur communauté ? Oui, et avec d'autant moins d'inquiétude qu'ils sont soumis à des critères d'ecclésialité censés empêcher les dérives et la rupture de la communion fondamentale. Quels sont-ils ? Christifideles Laïci les énonce au paragraphe 30 : Le primat donné à la vocation de tout chrétien à la sainteté ; l'engagement à professer la foi catholique en accueillant et proclamant la vérité sur le Christ, sur l'Église et sur l'homme, en conformité avec l'enseignement de l'Église, qui l'interprète de façon authentique ; le témoignage d'une communion solide et forte dans sa conviction, en relation filiale avec le Pape et avec l'Evêque ; l'accord et la coopération avec le but apostolique de l'Église ; l'engagement à être présents dans la société humaine pour le service de la dignité intégrale de l'homme, conformément à la doctrine sociale de l'Église. Les membres d'un CRIF catholique s'engageraient par serment à respecter ces critères. Est-il naïf de croire qu'en ce domaine comme dans les autres, les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent ? C'est là que l'autorité spirituelle proprement dite pourrait intervenir et déclarer fermement : Tel comportement, telle théorie, tels propos ne sont pas catholiques. On ne peut dignement représenter les catholiques tout en y souscrivant.

Enfin, sous l'effet de l'écrémage auquel nous assistons actuellement et dont un récent sondage du Monde des Religions rendait compte, on peut estimer que l'homogénéité des convictions, au sein de la communauté catholique, est en train de se renforcer – en tout cas sur l'essentiel. Nous ne sommes plus au temps où des religieuses animaient des centres de Planning familial et des prêtres militaient à la CGT, syndicat marxiste.

Les catholiques sont aujourd'hui, à l'égard des autorités de l'État, dans une relation de collaboration – avec tout ce que ce mot évoque. Ils pratiquent une cogestion illusoire. Ils sont des partenaires dont la compétence est d'ailleurs unanimement reconnue par les experts et parfois même par la société civile tout entière (dans l'éducation notamment – avec toutes les réserves que Mgr Cattenoz a émises en dressant l'état des lieux de l'enseignement catholique dans un livre récent). Bref, les catholiques ont leurs noms sur des morceaux de papier à en-tête de la République.

Dans un célèbre jeu d'enfant, la feuille de papier gagne toujours : contre la pierre, qu'elle enveloppe et neutralise, contre le puits, qu'elle recouvre et étouffe. Le papier gagne toujours, sauf contre les ciseaux. Mais les ciseaux doivent être à bouts pointus, non pas à bouts ronds. Foin des catholiques à bouts ronds, vive les catholiques à bouts pointus !

*Matthieu Grimpret est professeur d'histoire, chercheur à l'Ecole doctorale de Sciences Po Paris, essayiste. Vient de faire paraître Dieu est dans l'isoloir, – Politique et religions, des retrouvailles que Marianne n'avait pas prévues, Presses de la renaissance, janvier 2007, 268 p., 18 €

Inopérant.

L'avis de la Fondation de Service politique

Rien n'est plus opportun que l'engagement d'une réflexion sur la visibilité du message chrétien dans une société laïciste, ravagée par les effets du relativisme moral et culturel, et où les catholiques cohérents, selon le mot du père Garrigues, sont devenus minoritaires. Pour autant, l'identité catholique demeure une exception. Peu de "modèles" de présence religieuse lui sont transposables, pour des raisons théologiques fondamentales, bien plus que pour des raisons expérimentales.

Très brièvement, la visibilité de la présence chrétienne dans le monde s'articule autour de plusieurs distinctions :

1/ le domaine doctrinal et moral qui est celui de l'Église dans sa fonction d'enseignement, et qui passe par la parole de ses pasteurs en communion avec le pape (autre est la question de leur conscience de devoir le faire et de leur courage à le faire) ;

2/ la traduction politique concrète de ce contenu qui relève d'un jugement de prudence à exercer ici et maintenant par les laïcs dans leur domaine propre, sous leur responsabilité, de façon plurielle dans l'ordre des moyens ; ce champ propre de l'action chrétienne, s'il les engage eux-mêmes dans la cohérence de leur foi et de l'exemplarité de leur vie personnelle comme instrument d'apostolat, n'engage pas l'Église en tant que telle, en raison de l'autonomie des réalités terrestres, que Dieu a voulu tel ;

3/ le domaine des intérêts catégoriels et matériels qui peut ressortir des uns ou des autres selon l'objet (par exemple : aux évêques, certainement, les questions pratiques relevant de l'exercice du culte et des bâtiments qui y sont consacrés) mais qui, en aucun cas, ne relève de la même problématique.

Le respect de ces distinctions justifie le caractère organique et non procédural de la présence chrétienne dans la société. On pourra regretter ses imperfections, ses lacunes, ses faiblesses. La réponse est bien plus spirituelle et morale que technique. Le poids d'une présence dans la vie sociale et dans toute communauté, son autorité, vient avant tout de la légitimité du service rendu.

En outre, la comparaison avec le CRIF est inopérante. La compétence de celui-ci ne portait, et ne porte encore dans le principe, que sur les questions matérielles (ce qui s'explique par ses origines). Mais le fait précisément que ses membres aient tenté de déborder ce cadre pour s'immiscer dans la vie religieuse et publique, voire dans les questions théologiques, et qu'ils aient pris part aux débats internes, parfois violents, à la communauté juive qu'a suscité la question d'Israël, en a montré les limites et les dangers.

Fondation de Service politique

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Sur ce sujet, dans cette édition de Décryptage :

■ Les catholiques dans la bataille pour le pouvoir

■ Evolution stratégique des Eglises en Europe

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