Les Français ne mesurent pas le big bang qui est en train de se produire dans les services publics. On leur a appris que service public implique monopole public : la grande tradition de la SNCF, d'EDF, de la Poste, de GDF, de France Telecom, etc. Or ce modèle est mort.

Ce modèle s'éloigne en effet en raison de l'évolution technique, qui condamne les monopoles, en raison des désordres provoqués par les grèves, qui écœurent les usagers et les font réfléchir, et surtout en raison des directives européennes. Pour Bruxelles, un service public (on dit alors un service d'intérêt général ) peut parfaitement être assuré par des entreprises privées en concurrence.
Ils vont pouvoir bientôt le mesurer à la SNCF. Déjà, le secteur du fret est ouvert à la concurrence, mais cela concerne moins les Français au quotidien. Mais à partir du 14 décembre 2009, le trafic voyageur sera lui aussi ouvert à la concurrence, du moins pour le transport international (ce sera pour plus tard pour le transport intérieur). Or une ligne internationale peut permettre de desservir plusieurs villes nationales au cours du trajet. Pour permettre cette évolution, on a déjà depuis longtemps séparé la SNCF de Réseau ferré de France (RFF) : plusieurs trains en concurrence (dont ceux de la SNCF) peuvent circuler sur les mêmes rails, ceux de RFF.
Pour cette année, les entreprises de transport ferroviaire avaient jusqu'au 13 avril pour demander un sillon, c'est-à-dire un créneau horaire. Bien entendu, la SNCF, via RFF, a tout fait pour retarder et compliquer l'échéance. De plus, il faut un certain temps aux concurrents pour se procurer le matériel nécessaire, capable de rivaliser avec les TGV SNCF. Résultat, dans cette première étape, seule Trenitalia a déposé une demande officielle. Mais on annonce pour bientôt Virgin sur Paris-Londres, Deutsche Bahn sur Francfort-Paris-Marseille, etc.
Trenitalia, c'est la branche voyageurs des chemins de fer italiens (Ferrovie dello Stato). Elle avait d'abord demandé un sillon Paris-Marseille, mais on lui a répondu que la France n'était pas obligée d'ouvrir les lignes strictement intérieures à la concurrence : nouvelle manœuvre de retardement. Mais l'entreprise italienne s'est rabattue sur Milan-Paris et Paris-Milan, matin et soir, dès 2010, en passant par Lyon. Un voyageur pourra donc monter à Paris et descendre à Lyon, ou l'inverse. Il aura donc le choix entre un TGV français et un TGV italien, pour l'instant. Ce n'est évidemment qu'un début.
Ce n'est qu'un début
Pourquoi cette ligne ? Parce qu'on sait que la SNCF profite de son monopole pour y dégager des marges de l'ordre de 25% : de quoi attirer les concurrents. Commentaire du Figaro Economie : Pour s'imposer progressivement en France, la firme italienne devrait miser sur des services différents et surtout sur des prix plus attractifs. Ainsi, la concurrence se fait soit par des services de meilleure qualité, soit par la baisse des prix, soit les deux. Il y a alors toujours un bénéficiaire, c'est le client.
Soit, une seule ligne, c'est peu. Mais on comprend que ce n'est qu'un début, comme on l'a vu déjà dans le téléphone portable, puis fixe, l'électricité, l'avion, la poste, le gaz, etc. Ce n'est donc qu'un round d'essai. D'autres concurrents suivront. La SNCF elle-même devrait alors s'adapter, pour les services, pour les prix, pour la régularité. Si les syndicats persistent à multiplier les grèves, la SNCF finira un jour par être désertée.
Les syndicats devront choisir : ou couler l'entreprise, ou admettre les adaptations nécessaires. On ne peut se permettre les mêmes comportements en monopole et en concurrence. Les usagers ne pourront que se féliciter de cette évolution et les combats d'arrière-garde n'y changeront rien. Aux autres transporteurs français maintenant de relever le défi, pour ne pas laisser les transporteurs étrangers prendre tout le marché : on parle déjà, par exemple, de TGV Air France...

*Jean-Yves Naudet est professeur à l'université Paul-Cézanne (Aix-Marseille), président de l'Association des économistes catholiques.

 

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