Au lendemain de son élection, Benoît XVI avait indiqué la priorité de son pontificat : "La mise en œuvre du concile Vatican II en continuité fidèle avec la tradition bimillénaire de l'Église.

" Dans ses vœux de Noël aux cardinaux, à la Curie et à la prélature romaine, le nouveau pape s'est expliqué sur ce que signifie pour lui "la continuité avec la tradition bimillénaire", s'en prenant aux approximations dialectiques des partisans de "l'ouverture au monde" et de la "rupture" au nom de "l'esprit du Concile". Vatican II, dit Benoît XVI, n'avait pas "l'intention d'abolir la contradiction entre l'Évangile et les erreurs de l'homme". Une mise au point d'autant plus importante qu'en s'adressant au personnel de la curie, le pape parle à l'Église tout entière et spécialement au clergé.

La traditionnelle rencontre de Noël du pape avec la curie romaine s'est déroulée dans la salle clémentine le 22 décembre. Benoît XVI a d'abord évoqué certains grands évènements ayant profondément marqué la vie de l'Église en 2005 : le décès de Jean-Paul II, la Journée mondiale de Cologne et le 40e anniversaire de la clôture du Concile Vatican II.

 

À propos de Jean-Paul II, le pape a commenté Mémoire et Identité, son dernier livre, comme une "interprétation de la souffrance qui n'est pas une théorie théologique ou philosophique mais le fruit longuement mûri d'un long parcours personnel de souffrance, vécu grâce au soutien de la foi dans le Crucifié". Dans ce livre, le défunt pape "montre combien il est touché par le pouvoir du mal et son spectacle au long du siècle achevé, pouvoir du mal dont il a lui-même fait la dramatique expérience".

 

Évoquant les Journées mondiales de la jeunesse, Benoît XVI a relevé deux images contenues dans la parole des mages, "Nous sommes venus l'adorer" : celle du pèlerinage de l'homme en recherche de la vérité et de la juste voie, la voie de Dieu, et celle de "l'homme en adoration". Ces paroles, a ajouté le pape, nous ramènent au Synode des évêques sur l'Eucharistie et à l'Année de l'Eucharistie. "Je suis ému de voir comment se réveille partout dans l'Église la joie de l'adoration eucharistique et d'en voir les fruits. Durant la réforme liturgique, la messe et l'adoration furent souvent mises en contradiction", alors que "recevoir l'Eucharistie signifie adorer celui que nous recevons".

 

Le Concile, après quarante ans

Puis le Pape a entrepris une réflexion sur le Concile, quarante ans après sa conclusion, se demandant quels étaient ses résultats, et comment il a été reçu.

 

Les problèmes soulevés par la réception de Vatican II ont surgi d'un choc entre deux herméneutiques (interprétations) opposées, celle de "la discontinuité et de la rupture" et celle de "la réforme", du renouveau dans la continuité de l'Église unique. "L'herméneutique de la discontinuité risque de conduire à une rupture entre l'Église pré-concilaire et l'Église post-conciliaire [...]. À cela s'oppose celle de la réforme telle que l'a présentée Jean XXIII en disant que le Concile "entend transmettre la doctrine pure et intégrale, sans atténuations ni déformations" [...]. Il est nécessaire que cette doctrine immuable, qui doit être fidèlement respectée, soit approfondie et présentée selon les exigences contemporaines."

En clair, "cette mission d'exprimer une vérité déterminée de façon moderne exigeait une nouvelle réflexion à son endroit et un rapport vital nouveau avec elle [...]. C'est pourquoi le programme proposé par Jean XXIII était très exigeant, comme est exigeante la synthèse de fidélité et de dynamique." Le Saint-Père a souligné que "partout où cette interprétation a guidé la réception du Concile, une nouvelle croissance et la maturation des esprits ont donné de nouveaux fruits. Quarante ans plus tard [...] le bilan est plus positif que cela pouvait apparaître dans l'agitation des années 68".

 

À la fin du Concile, Paul VI souhaitait que dans le grand débat contemporain sur l'homme "le Concile soit en mesure de se pencher tout particulièrement sur l'anthropologie [...], et s'interroge sur le rapport entre l'Église et la foi d'un côté, l'homme et le monde contemporain de l'autre". Benoît XVI a donc abordé les difficultés ayant jalonné ce rapport, du procès de Galilée à la Révolution française, l'impact du capitalisme et des deux guerres mondiales, les idéologies nazie et communiste, sans oublier les questions posées par l'avancement de la science et de la critique historique appliquée à l'Écriture.

 

Trois cercles de questions s'étaient formés, qui attendaient une réponse : "Définir à nouveau le rapport entre la foi et la science [...], entre l'Église et l'État moderne [...] (problème auquel est relié généralement la question de la tolérance religieuse) [...], mais aussi le rapport entre l'Église et la foi d'Israël".

 

Dans tous ces domaines, a observé le Pape, il est possible de trouver des formes de discontinuité, "mais la continuité des principes ne doit pas être abandonnée même si l'on fait les distinctions dues aux circonstances historiques [...]. Et c'est justement l'ensemble discontinuité/continuité à divers niveaux qui est la nature même de la réforme authentique. Dans ce processus rénovateur dans la continuité, il fallait mieux comprendre que les décisions de l'Église prennent en compte des situations concrètes, certaines formes du libéralisme par exemple[...]. Il fallait donc apprendre à reconnaître que dans ces décisions, les principes seuls fournissent le sens de la permanence, car ils demeurent au fond et motivent les décisions de l'intérieur".

 

Ensuite, le Pape a évoqué la question de la liberté religieuse et rappelé qu',"en reconnaissant et faisant sien par le décret sur la liberté religieuse un principe essentiel de la société moderne, l'Église se réappropriait son héritage le plus ancien [...]. L'Église primitive priait naturellement, et par devoir, pour les empereurs et les détenteurs de pouvoir [...], mais elle refusait de les adorer, s'opposant ainsi clairement à la religion officielle [...]. Une Église missionnaire qui sait devoir annoncer son message à tous tout en assurant peuples et gouvernants de ne pas enfreindre ainsi leur identité et leur culture, sait leur apporter la réponse qu'ils attendent au plus profond d'eux-mêmes, une réponse dans laquelle la variété des cultures ne se perd pas mais s'accroît dans l'unité des hommes et dans la paix des peuples".

 

"Avec la nouvelle définition du rapport entre la foi de l'Église et certains des éléments essentiels de la pensée moderne, le concile Vatican II a analysé, inclus et corrigé certaines décisions historiques. Cette discontinuité, apparente, a sauvegardé et approfondi sa nature profonde et sa véritable identité [...]. Mais celui qui pensait qu'avec cette ouverture fondamentale à la modernité, toutes les tensions se seraient évaporées et que l'ouverture au monde serait pure harmonie, sous-évaluait les tensions internes comme les contradictions mêmes de la modernité".

 

"De nos jours aussi - a poursuivi Benoît XVI - l'Église demeure un signe de contradiction [...] et il n'était pas dans les intentions du Concile d'abolir cette contradiction de l'Évangile face aux dangers et aux erreurs de l'homme. En revanche, il était de sa volonté d'écarter les positions erronées ou superflues de l'exigence évangélique, et de la présenter au monde dans toute sa grandeur et sa pureté."

 

L'avancée opérée par le Concile vers le monde moderne, a conclu Benoît XVI, "relève en définitive du problème constant existant entre foi et raison, qui se représente toujours sous de nouvelles formes. Ainsi pouvons-nous aujourd'hui regarder Vatican II avec gratitude. Et si nous le lisons et le recevons guidés par une juste herméneutique, il sera de plus en plus la force nécessaire au renouveau de l'Église".

Source : VIS.

Pour en savoir plus :

> Le discours du pape à la curie en italien

> P. de Plunkett, "Vatican II : un immense anniversaire, snobé par les médias", (Décryptage, 16 décembre 2005)

> B. Seillier, "Quarante ans après, l'enseignement politique de Vatican II", (Décryptage, 2 décembre 2005)

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