Après le oui au « mariage » gay, où va l’Irlande ?

En s’attribuant le droit de définir la morale, même par le truchement du peuple, l’État irlandais a rompu un équilibre millénaire entre les pouvoirs temporels et spirituels. Même si l’Irlande s’expose à une grave crise des valeurs, son histoire est ineffaçable.

LE 22 MAI 2015, le « mariage » entre deux personnes du même sexe est devenu légal en Irlande. En elle-même, cette décision n’a rien d’original. Près de vingt nations ont précédé l’Ile verte. Ce qui est nouveau, c’est la méthode employée.

Ailleurs, le « mariage gay » a été imposé à des opinions publiques réticentes par des juges ou des majorités parlementaires. En Irlande, les citoyens eux-mêmes ont approuvé, par voie référendaire, la légalisation proposée. Qui plus est, ils l’ont fait avec un empressement difficile à imaginer dans d’autres pays : près des deux tiers des votants ont dit « oui ».

Leur zèle est d’autant plus étonnant que l’Irlande s’était distinguée, dans les décennies passées, par sa résistance acharnée à la libéralisation des mœurs qui a conquis tous ses voisins.

Les mêmes arguments

Serait-ce que les arguments présentés pour convaincre les électeurs, ont été particulièrement forts ? Non. Ils ont été les mêmes que dans les autres pays. Les partisans du « oui » ont neutralisé l’opposition prévisible de l’Église catholique, leur principal adversaire, en soulignant que la nouvelle loi ne menacerait en rien la pratique religieuse, puisque cette dernière, qui relève de choix individuels, demeurerait totalement libre.

Le vrai débat, ont-ils proclamé avec insistance, porte sur l’égalité entre citoyens : une démocratie moderne peut-elle admettre que les homosexuels aient moins de droits que les hétérosexuels ? Ce raisonnement simple a convaincu les électeurs irlandais, dont plus de 80% se déclarent catholiques.

Or il est faux. Il me semble utile de le démonter parce qu’il illustre quelle dérive dangereuse menace, à notre époque, le principe de laïcité.

La violation du principe de laïcité

Au risque de répéter ce que j’ai écrit dans des « décryptages » antérieurs, il me faut dénoncer à nouveau la thèse qui réduit le catholicisme à l’exercice privé d’un culte. La doctrine constante du magistère romain affirme son caractère politique et social. Certes, le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel doivent être distingués. L’Église et l’État ont des responsabilités différentes et l’une comme l’autre sont souverains dans leurs domaines de compétences propres. Mais, comme ils poursuivent une même fin qui est l’établissement de la justice dans les sociétés humaines, il est indispensable qu’ils agissent en accord mutuel. Or les droits de l’homme ne peuvent être définis, en dernier ressort, sans la collaboration de l’Église qui leur donne les caractères universel et intangible qui sont de sa compétence.

En décidant unilatéralement que le droit au mariage serait ouvert aux homosexuels, l’État irlandais s’immisce dans un domaine qui n’est pas le sien. Il viole le principe d’une laïcité bien comprise. Et il le fait sans l’accord de l’Église. En vain objecte-t-on que la loi en question n’est pas imposée aux évêques par un tribunal anonyme ou une majorité parlementaire de circonstance, mais décidée librement et clairement par le peuple entier. La violation d’un principe est-elle moins grave si elle est le fait d’une multitude au lieu d’être opérée par quelques hommes ?

En définitive, il reste que le pouvoir temporel de Dublin vient de rompre un accord qui avait résisté à plus de mille ans d’histoire. Il ne poursuit plus la même fin de justice que le pouvoir spirituel.

Vers le bourbier nauséabond de la PMA 

Quelle nouvelle fin l’État irlandais entend-il viser maintenant ? Quelle justice veut-il établir ? Il ne le sait pas. Passé le moment d’euphorie qui suit la victoire du « oui », il va être obligé de faire face aux conséquences du choix national.

Comme ceux de France, de Belgique et d’ailleurs, il va patauger dans les bourbiers nauséabonds de la PMA et de la GPA. Comme eux encore, il sera obligé de se pencher sur les malaises d’identité qui harcèlent les descendants de familles homosexuelles. Puisque, enfin, les limites du vrai et du faux, du juste et de l’injuste en matière sexuelle deviennent brouillées, il devra affronter la crise de valeurs qui perturbe la jeunesse des pays qui ont précédé l’Irlande.

Aucun de ces problèmes n’a été évoqué dans la campagne électorale. Chacun devra être résolu à mesure qu’il s’imposera comme une urgence. Que pensera alors l’opinion publique ? Les hommes politiques savent tous qu’elle est un souverain capricieux et confus. Elle pourrait se retourner avec fureur contre ceux qu’elle vient d’acclamer.

La responsabilité de l’Église

Comment le vieux peuple de saint Patrick en est-il arrivé là ? Il semblait si attaché à sa religion qu’il n’y a pas si longtemps, la Commission de Bruxelles avait dû, pour obtenir son acceptation des traités européens, garantir solennellement qu’ils ne porteraient jamais aucune atteinte, directe ou indirecte, à la sévérité des lois qui encadrent les mœurs nationales à commencer par l’interdiction de l’avortement.

Le revirement brutal de la semaine dernière a besoin d’être expliqué. On devine qu’il a pour cause immédiate les abominations pédophiles qui ont éclaboussé le clergé de l’île et discrédité la hiérarchie sacerdotale. Mais ce scandale n’est lui-même qu’un symptôme d’un mal plus profond : l’Église d’Irlande est lentement devenue une institution dont la puissance matérielle cache mal la somnolence spirituelle. Elle ne sait pas répondre à la soif de renouveau de la jeunesse. Elle ressemble à ces belles façades de palais anciens derrière lesquelles tout est vermoulu.

Les observateurs reconnaissent tous que, par son vote, le peuple irlandais a moins voulu manifester son soutien au mariage gay que son impatience face à un christianisme croupissant. Si les évêques se sont montrés si timides pendant la campagne référendaire, c’est parce qu’eux mêmes savaient que leurs interventions publiques desserviraient la cause qu’ils avaient mission de défendre.

La leçon de Jean-Paul II

Il ne faut cependant pas accabler les responsables du catholicisme irlandais. L’engrenage qui conduit à la légalisation de l’union homosexuelle est en marche partout en Europe. J’ai tenté d’en décrire les mécanismes pour les lecteurs de Liberté politique. Tant qu’ils ne seront pas démontés, il sera très difficile d’en interrompre l’enchaînement.

Beaucoup d’hommes droits se résignent à une évolution des mœurs qu’ils pensent inéluctable ; le referendum irlandais, même s’il les attriste, les confirme dans leur sentiment d’impuissance. Il faut leur rappeler ce que Jean-Paul II proclamait devant des millions de Polonais résignés, eux aussi, à subir indéfiniment un régime communiste qui semblait inébranlable : une nation qui, une fois dans son histoire, a accepté que pouvoir temporel et pouvoir spirituel marchent en accord l’un avec l’autre, ne peut plus s’en détacher définitivement.

Bien sûr, la route que l’Histoire leur fait suivre ensemble paraît parfois longue et difficile. La joie de l’harmonie initiale peut faire place aux tiraillements que suscitent les vicissitudes de chaque étape. Des tentations de divorce se glissent dans les fissures de la liberté que la distinction des deux pouvoirs a fait éclore. Les nations peuvent se laisser entraîner à confier leur sort exclusivement à l’État. C’est pourquoi elles aussi, a ajouté Jean Paul II, seront jugées au dernier jour.

« N’ayez pas peur »

Mais il ne faut pas s’effrayer de ces victoires apparentes du mensonge. Elles ne sont rien de plus que des épreuves passagères. Elles sont un appel à l’approfondissement de la vérité. C’est dans cette perspective qu’il faut considérer l’adhésion de nos États au « mariage » gay et autres bouleversements des mœurs.

En Irlande comme en France, l’avenir appartient à ceux qui s’efforcent de réconcilier les droits de l’homme, tels que le catholicisme les définit, et la législation de leur nation.

 

Michel Pinton, ancien maire.

 

 

 

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