Le Forum social de Porto Alegre (Brésil) qui vient de s'ouvrir accueillera cent mille militants de l'"altermondialisation", une cause qui étend sa toile. En Europe, les " no global " se sont retrouvés à Florence en novembre dernier, lors du 1er Forum social européen.

Parmi eux, de nombreux catholiques. L'Église peut-elle retrouver ses petits au sein de cet étrange melting pot où se mêlent aussi pacifistes écolo-marxistes, néo-communistes canal historique et radicaux centristes encanaillés ? En France, huit associations " animées par l'esprit conciliaire ", du patronat chrétien au CCFD, veulent " tenter de découvrir un sens à l'épreuve de la mondialisation ". Ils ont fondé les " Assises chrétiennes de la mondialisation " qui se réuniront pour la première fois les 24 et 25 janvier 2004 à Lyon, en écho aux sommets mondiaux de Porto Alegre et de Davos.

Retour à Rome, où l'hebdomadaire Tempi s'interroge avec la revue jésuite Civiltà cattolica sur l'esprit " No Global " de certains chrétiens.

[Document] - La Civiltà Cattolica considère la réunion " No Global " de Florence comme un nouveau radicalisme catholique. Ce nouveau radicalisme se réunit sous le titre, emprunté à Isaïe, de " sentinelles du matin ". Isaïe est le créateur du langage eschatologique dans l'Ancien Testament : il voit dans le retour des juifs de Babylone et l'avènement de Cyrus de Perse un acte proprement divin.

L'eschatologie d'Isaïe est également une protologie. Le prophète voit Babylone comme l'Égypte et le retour des Juifs comme un nouvel exode hors d'Égypte, une victoire sur Pharaon. La Pira (1) invoquait Isaïe dans le même sens : une sorte de paix universelle, une sorte de millénarisme apocalyptique, une paix imminente dans l'histoire et de l'histoire. Mais chez La Pira, c'était un élément joachimite, qui manque dans l'utopisme laïc des " Sentinelles ".

Pour La Pira aussi, Pharaon, c'était les États-Unis. Chez les " Sentinelles du matin ", il y a tous les mouvements catholiques, comme s'il y avait une affinité entre tous les mouvements catholiques d'un côté, les plus variés comme les moins connus, et de l'autre l'utopie verte et anti-occidentale qui unit Lilliput au No global. Pensez qu'en compagnie des lilliputiens catholiques, il y a aussi un prêtre (le Père Zanotelli) qui prédit pour l'Occident un destin similaire à celui de Babylone ! Or Babylone, ce sont les États-Unis : ce sont eux l'ennemi, celui que les pieds des pauvres doivent piétiner, comme dit le Psaume.

Pourquoi des mouvements catholiques ont-ils conflué, au nom d'une nouvelle ère de justice, dans l'utopisme vert ? Pourquoi l'idée de révolution fait-elle son apparition dans le monde catholique alors qu'elle est morte partout ailleurs ? Peut-être parce que l'idée d'imitation du Christ s'est affadie, cette valeur de la sainteté personnelle dans l'ordre historique, qui est la position catholique traditionnelle. Peut-être parce que les mouvements doivent motiver de manière sociale et collective leur christianisme collectif.

À cette considération, je voudrais ajouter un passage du texte de la note doctrinale de la Congrégation pour la doctrine de la foi sur l'engagement politique des catholiques : " La foi n'a jamais prétendu engoncer en un schéma rigide les contenus sociaux et politiques, consciente que la dimension historique en laquelle vit l'homme impose de vérifier la présence de situations imparfaites et souvent rapidement changeantes. Sous cet aspect, il faut rejeter les positions politiques et les comportements qui s'inspirent d'une vision utopique qui, retournant la tradition de la foi biblique en une sorte de prophétisme sans Dieu, instrumentalise le message religieux, orientant la conscience vers une espérance seulement terrestre qui annule ou relativise la tension chrétienne vers la vie éternelle. "

Il semble que dans l'Église ait cours de manière singulièrement neuve et paradoxale la maxime évangélique : " Que ta droite ignore ce que fait ta gauche. "

© Traduction Éric Iborra pour Décryptage.

(1) Giorgio La Pira (1904-1977). Laïc dominicain italien partageant la vie contemplative et active des frères prêcheurs de Florence, il enseigna le droit à l'université puis s'engagea dans la vie politique. Il sera député (1946), ministre puis maire de Florence (de 1951 à 1965). Il suscita de nombreuses initiatives en faveur des marginaux tant sur le plan caritatif que spirituel et fut président pour l'Italie des Conférences St Vincent de Paul. Il agira pour le rapprochement des peuples et le désarmement (en particulier contre le nucléaire). Il sera médiateur dans certains conflits internationaux en particulier durant la guerre du Vietnam et celle d'Algérie.

Source : www.op.org - Pour en savoir plus : E. de Miribel, Giorgio La Pira, espérer contre toute espérance (DDB).

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