Le dossier de Dominique Strauss-Kahn est premièrement juridique. Il est en effet question d'un homme soupçonné d'avoir commis un crime selon la loi. Les preuves de sa culpabilité son encore à apporter devant un tribunal et il ne revient pas aux médias trop empressés de le juger ni de le condamner. La justice reste l'apanage de l'Etat et non de l'opinion publique même en démocratie.

Ceci étant bien entendu, on ne peut pas contourner l'emballement médiatique autour de ce que les journaux, friands de formules, appellent l' affaire DSK . Depuis ce fameux dimanche du quinze mai lors duquel les français ont découvert éberlués l'ancien ministre des finances menotté, les colonnes ne désemplissent plus des réactions ou analyses des uns et des autres. En France comme à l'étranger ! A tel point qu'il ne s'agit plus de savoir si DSK est coupable ou non du crime dont on l'accuse. Non, le malaise est bien plus profond. Il s'agit d'une crise qui met en cause toute la classe politique et l'image de la France !

De ce point de vue la presse internationale est intéressante. Stephen Clarke, correspondant britannique en France du New-York Times a publié récemment une charge féroce et acide contre l'establishment français relayée par Courier International. Il y fait un tableau noir de la classe politique française intéressant à plus d'un titre, non pour sa méchanceté ou son aspect comique, mais plutôt parce qu'il met en lumière le fond du problème et la raison pour laquelle l'affaire DSK est un tel déclencheur.

Il commence par décrire le choc français face à la nouvelle et à la violence des images :  le spectacle d'une importante personnalité politique française traitée comme un criminel ordinaire est à peu près aussi rare qu'une photo de la reine d'Angleterre en bikini.  Pour le journaliste, est en cause non pas DSK mais la France qui semble cultiver une exception politique. Tous ses dirigeants seraient selon lui construits sur le même modèle que Strauss-Kahn et ne doivent leur salut qu'au fait de résider en France et de ne pas s'être fait prendre pour faute de mœurs en dehors des frontières.

Si le propos est excessif, l'argumentation qui suit donne néanmoins raison au britannique. En effet, il rappelle à juste titre qu'il ne s'agit pas de la première affaire  criminelle impliquant un politique français :  En 2004, Alain Juppé, un ancien Premier ministre, a été reconnu coupable de corruption. Il a été condamné à 18 mois de prison avec sursis et 10 ans d'inéligibilité parce que, dans les mots du juge, il avait  trahi la confiance du peuple français . Mais il a fait appel et il est aujourd'hui ministre des Affaires étrangères, représentant de la France sur la scène mondiale.  Le journaliste ne se prive pas non plus de rappeler que notre ancien président, Jacques Chirac, est mêlé à la même affaire judiciaire pour laquelle il n'a toujours pas été jugé.

Pour Clarke, le nœud du problème de la classe politique est que  la France est persuadée qu'elle a fait la révolution, alors qu'elle s'est juste donnée une nouvelle élite, encore plus puissante . Pour lui, la classe politique française se croit si indispensable  à la bonne marche du pays  qu'il est inutile de  tenter de la détrôner.  C'est pourquoi, explique-t-il, la classe dirigeante française voit M. Strauss-Kahn en victime, plutôt que la femme de chambre traumatisée qui, selon la police, a été agressée. 

Pour compléter le tableau et finir d'interpeller le lecteur tout en accablant l'hexagone et ses  politiques , le journaliste se lance dans un parallèle bancal mais troublant avec une autre affaire : celle de Polanski.

L'homme avait fuit les Etats-Unis en 1978 pour se réfugier en France et échapper à une condamnation pour détournement de mineure (il avait eu des relations sexuelles avec une adolescente de 13 ans). En 2009, à la demande des autorités américaines, il a été arrêté en Suisse. De nombreux représentants français du monde de la culture sont alors montés au créneau pour prendre sa défense. Depuis, le cinéaste a sortit The Ghost Writer, pour lequel Polanski a été récompensé.  Selon Le Monde, écrit Clarke, ce film marquait "son retour dans la famille après ses ennuis judiciaires". On aurait dit qu'il avait eu une contravention pour excès de vitesse. 

Hélas cette analyse, faite par un confrère européen n'est pas la seule qui mette en cause dans l'affaire DSK, non pas l'homme mais la classe politique française toute entière. Ainsi, un quotidien algérien relevait que  Au-delà des conséquences sur les orientations futures du FMI et sur la scène politique française, le comportement sexuel compulsif de DSK est le énième avatar licencieux des liaisons sulfureuses entre politique et libido en France. Au pays des Gaulois, pouvoir politique et aventures galantes ont toujours fait bon ménage 

En Italie, tout comme Roland Hureaux cette semaine sur notre site, Lucia Annunziata associe l'affaire DSK à la place des femmes en politique.  Ainsi, pour la journaliste, cette affaire pourrait faire émerger  un modèle féminin autre que celui de la femme belle et subalterne habituellement proposé en politique . Pour cette dernière qui parle dans son article de  véritable révolte des femmes contre une certaine conception du pouvoir politique et économique qui se dessine , le petit monde de la politique franchie une étape significative.  Le modèle qui a permis à John Fitzgerald Kennedy d'enchaîner les con­quêtes et à François Mitterrand d'entretenir deux familles dans un consentement unanime fait définitivement partie du passé.  Mais plus important encore, Lucia Annunziata en analysant les raisons de cette chute constate que ce ne sont ni les discours idéologiques, ni les concepts qui sont à l'origine du changement mais bien les actes (qui devraient être exemplaires)  de la classe politique.  Les masques sont tombés, et pas sous les coups d'un nouveau moralisme engagé dans des campagnes idéologiques, mais à la suite des vicissitudes concrètes de relations concrètes entre individus. Plus que le personnage, c'est le concept qui est en cause : l'idée que les femmes constituent, au même titre que la voiture de fonction ou les stock-options, un des avantages en nature du pouvoir. 

Mais si de nombreux médias pointent du doigt DSK et toute la classe politique française, la théorie du complot a elle aussi trouvé une certaine tribune dans les médias étrangers comme ce journaliste Burkinabe qui s'interroge  :  Comment a-t-il pu perdre le contrôle à un moment aussi décisif pour sa carrière ? C'est à croire qu'il a été "wacké" [ensorcelé], travaillé par les marabouts de ses adversaires, tant cet homme est bien placé pour savoir qu'aux Etats-Unis les histoires de fesses, ça ne pardonne pas. On ne s'explique pas encore ce geste de DSK, à moins que des forces occultes ne l'aient entraîné dans ces beaux draps. En tout cas, si tel est le cas, ces marabouts sont vraiment forts. 

Ce qui ressort, à la lecture de ces articles et de bien d'autres c'est avant tout l'indignation. Mais contrairement à la mode française qui consiste surtout à avancer l'argument de la présomption d'innocence – faisant passer Strauss-Kahn du statut d'accusé à celui de victime – les journalistes étrangers semblent ne pas comprendre comment nous autres français avons pu accepter cette situation aussi longtemps. C'est directement notre classe politique mais également notre responsabilité de citoyen qui est en cause. La France est aujourd'hui trainée dans la boue parce qu'elle est jugée à l'aune de la qualité de ses représentants... Il fallait s'y attendre !

Il ne reste plus qu'à souhaiter – mais surtout à faire en sorte – que cet événement politique, juridique et médiatique serve de déclic à notre génération pour produire et faire émerger une classe politique nouvelle dans laquelle les français se reconnaissent et qu'ils puissent prendre pour exemple. Bref, revenons aux fondamentaux et réformons le politique, le reste suivra...

 

 

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