Abolition de l’esclavage: Schœlcher, l’homme qu’il faut abattre

Source [Causeur] Des militants indigénistes antillais ont revendiqué dans un communiqué en écriture inclusive le déboulonnage des statues de Schœlcher en Martinique. Ils traduisent la progression constante de cette pensée militante qui fait peu de cas de la nuance historique. 

D’habitude si confidentielles dans le paysage médiatique national, les commémorations de l’abolition de l’esclavage en Martinique (22/05) et en Guadeloupe (27/05) ont eu cette année une résonance très particulière. La raison ? La démolition en Martinique des deux statues de Victor Schoelcher (1804-1893) par quelques militants – ayant épousé les thèses indigénistes, décoloniales – qui estiment que l’homme a usurpé son titre d’abolitionniste en chef. Succombant à la facilité de la fausse évidence, ces militants ont sans doute pensé que le geste allait laver un prétendu affront. Ils n’ont fait que réveiller et rouvrir des plaies mal refermées. La montée au créneau du Président de la République et de la ministre de l’outre-mer (Annick Girardin) pour dénoncer le déboulonnage des statues cache assez mal la fébrilité d’un personnel politique face à une histoire mal digérée. Pour mieux comprendre cette polémique sous fond de querelle raciale et coloniale, l’occasion nous est donnée de mettre un coup de projecteur à la fois sur cette période abolitionniste et ses acteurs assez mal connus. 

Louis-Philippe imite les Anglais

Schoelcher fut l’homme qui signa les décrets d’abolition de l’esclavage en avril 1848 promulgués par le gouvernement provisoire de la IIe République. Son image et son parcours restent intimement liés à l’affranchissement ultime des esclaves. Si d’autres personnalités comme Cyrille Bissette (homme noir martiniquais) autre grand artisan abolitionniste, s’étaient montrées beaucoup plus virulentes, l’histoire retiendra qu’il fut la figure de proue d’un mouvement commencé quelques années plus tôt. Dès les années 1830 il avait porté ce flambeau abolitionniste en publiant une série de réquisitoires cinglants contre la traite négrière à l’instar de son ouvrage intitulé De l’esclavage des Noirs et de la législation coloniale où il proposait une abolition sine die

Le contexte aidera à précipiter la marche de l’histoire puisqu’à partir de 1833 les Anglais vont affranchir progressivement leurs esclaves invitant implicitement le régime libéral (1830-1848) de Louis-Philippe à les imiter. La monarchie de Juillet portée par l’élan de liberté ira jusqu’à prendre des décrets pour accorder l’affranchissement à une petite poignée d’esclaves aux Antilles.  Des associations se formeront, comme la Société Française pour l’abolition de l’esclavage fondée en 1834, et à force de pétitions, feront progresser la cause abolitionniste dans le débat public. D’autres leaders de renom comme Tocqueville ou Lamartine se joindront à la cause pour faire pencher la balance vers une abolition rapide. Toutefois, la monarchie de Juillet restera prise en tenaille par la puissance des propriétaires terriens des colonies alors même que la Loi Mackau de 1845 jetait un pavé dans la mare en assouplissant très largement le régime esclavagiste (rachat de la liberté). Il n’y a guère que Mayotte qui connaîtra l’abolition en 1846 car dépourvue de propriétaire terrien européen mais sous le joug arabe. Rien n’arrête une idée dont l’heure est venue soulignait déjà en son temps Victor Hugo. L’abolition sera officialisée en mai 1848 en Martinique puis en Guadeloupe concomitamment aux révoltes des esclaves qui avaient senti le fruit assez mûr pour abattre cette institution inique. Les propriétaires furent dédommagés pour éviter la crise économique, et les esclaves rendus libres. 

Schoelcher n’est pas le Général Lee

Plusieurs siècles plus tard, le temps ne semble pas faire son effet et l’ombre de l’institution esclavagiste plane encore sur des esprits en mal de revanche. Certains militants voient dans les inégalités économiques présentes aux Antilles ou la Réunion la survivance ou le prolongement d’un régime colonial qui ne dit pas son nom. Ils ont à la fois raison et tort. Raison, car l’ancien système de plantocratie (plantation de cannes à sucre, banane) qui s’est quelque peu métamorphosé a permis à certains descendants (appelés Békés ou Gros Blanc) de faire main basse sur une grande partie de l’économie locale. Tort, car étant obnubilés par les questions raciales, ils ne peuvent s’empêcher de tout analyser sous le prisme du racisme ou de la colonisation enlevant toute souveraineté même limitée dans le comportement des individus. L’homme naît bon mais c’est la société qui le corrompt, reprenant sans le savoir le discours rousseauiste. Un comble pour ceux qui mettent au pilori le système européo-centré. Un comble pour ceux qui mettent au pilori le système européo-centré. 

Ils se nomment Kémi Séba ou Françoise Vergès, ils sont les petits-fils spirituels de Malcom X et ne sont pas avares de discours sur le racisme ou la colonisation. En cela, ils s’inspirent très largement des concepts et des modes d’action américains. D’ailleurs la polémique concernant Schoelcher n’est pas sans rappeler celle aux Etats-Unis autour de la statue du Général Lee, ce général sudiste, héros pour les uns pour ses faits d’arme lors de la Guerre de Sécession et criminel pour les autres car défenseur d’un Sud esclavagiste. Pourtant Schoelcher n’est pas le Général Lee, tout comme l’histoire américaine raciale n’est pas celle de la France. Mais cette confusion historique permet d’entretenir tous les raccourcis pour mieux adopter les positions les plus radicales et hystériser le débat public. 

Ces malgré-nous “racisés”

La pensée indigéniste trouve l’un de ses principaux matériaux dans la période de décolonisation, qui avait vu dans les années 1960 les mouvements tiersmondistes s’approprier le corpus marxiste de lutte des classes pour renverser les pouvoirs en place afin d’accéder à l’autonomie puis l’indépendance. Peu à peu vidée de sa substance de lutte des classes, elle s’est ensuite institutionnalisée à travers les études postcoloniales qui ont fleuri dans les universités américaines en s’appuyant paradoxalement sur les concepts français des auteurs de la French Theory (Deleuze, Foucault, Derrida). Les études postcoloniales ont alors visé à déconstruire le corpus classique et ouvert la voie aux thèses racialistes en faisant le postulat de la culpabilité de l’homme blanc et de la victimisation éternelle des damnés de la terre.

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